La Silver Economy au Maroc : Un Marché Émergent Face au Vieillissement de la Population




Par Abdelghani El Arrasse

Le Maroc connaît une transition démographique marquée par un vieillissement accéléré de sa population. La baisse du taux de natalité et l’augmentation de l’espérance de vie, qui est passée de 47 ans en 1962 à plus de 75 ans aujourd’hui, ont profondément transformé la structure démographique du pays. Selon les projections du Haut-Commissariat au Plan, les personnes âgées de 60 ans et plus représenteront environ 23 % de la population marocaine d’ici 2050, contre seulement 11 % en 2022. Cette évolution démographique soulève des défis majeurs, notamment en matière de santé, de logement, d’assistance sociale et d’inclusion économique des seniors.

Malgré cette réalité grandissante, le Maroc peine encore à structurer une véritable Silver Economy, un secteur économique dédié aux besoins des personnes âgées. Les services destinés aux seniors restent limités, tant dans le domaine de la santé que dans celui du logement ou de l’assistance quotidienne. De nombreux retraités se retrouvent dans une situation de précarité en raison de pensions souvent insuffisantes. Par ailleurs, les infrastructures urbaines ne sont pas adaptées aux besoins spécifiques des personnes âgées, restreignant leur mobilité et leur autonomie. L’inclusion numérique constitue un autre frein majeur, rendant difficile l’accès aux services modernes et aux démarches administratives en ligne. De plus, la société ne valorise pas suffisamment l’apport économique et social des seniors, alors qu’ils pourraient contribuer activement à la vie collective à travers l’entrepreneuriat, le mentorat ou d’autres formes d’engagement.

Toutefois, le développement de la Silver Economy au Maroc ne pourra pas s’appuyer sur des modèles étrangers sans une adaptation aux réalités culturelles et sociales du pays. Contrairement aux sociétés occidentales où les maisons de retraite sont monnaie courante, la culture marocaine repose sur un fort attachement familial et une prise en charge des aînés au sein du foyer. Placer un parent âgé dans une institution spécialisée reste une décision souvent mal perçue par la société. Ainsi, toute stratégie visant à structurer ce secteur émergent devra tenir compte de cette dimension et proposer des solutions adaptées aux attentes des Marocains.

Pour répondre aux défis du vieillissement, plusieurs pistes doivent être explorées. L’amélioration des services de santé destinés aux seniors est une priorité. Il est essentiel de renforcer la gériatrie pour assurer une prise en charge adaptée aux pathologies liées à l’âge, tout en développant la télémédecine et les soins à domicile afin de faciliter l’accès aux consultations médicales et d’assurer un suivi continu des patients. En parallèle, la mise en place d’une couverture santé complémentaire et d’une assurance dépendance permettrait de réduire le reste à charge des retraités et d’améliorer leur qualité de vie.

L’adaptation des infrastructures urbaines et de l’offre de logement est également un levier clé pour favoriser l’autonomie des seniors. Il est indispensable de repenser les espaces publics et les transports afin de garantir un cadre de vie accessible aux personnes âgées. Le développement de résidences-services, qui allient autonomie et accompagnement, constituerait une alternative intéressante aux maisons de retraite traditionnelles, en respectant les valeurs familiales tout en apportant un soutien aux seniors qui en ont besoin.

L’inclusion numérique des personnes âgées doit également être au cœur des préoccupations. Pour que les seniors puissent bénéficier pleinement des services en ligne et des innovations technologiques, des programmes de formation adaptés doivent être mis en place. L’utilisation d’objets connectés pour la santé et le bien-être pourrait par ailleurs faciliter leur quotidien, tandis que des plateformes simplifiées, accompagnées d’une assistance dédiée, permettraient de lever les barrières liées à l’usage du numérique.

Par ailleurs, le potentiel économique et social des seniors reste sous-exploité. De nombreux retraités possèdent une expertise précieuse qui pourrait être valorisée à travers l’entrepreneuriat ou le mentorat intergénérationnel. Encourager la création d’entreprises par les seniors en facilitant leur accès au financement pourrait stimuler l’économie tout en offrant une seconde carrière à ceux qui le souhaitent. En parallèle, la mise en place de dispositifs de mentorat permettrait aux jeunes entrepreneurs de bénéficier de l’expérience et du savoir-faire des générations précédentes, créant ainsi un échange enrichissant pour l’ensemble de la société.

Un autre enjeu majeur concerne le soutien aux familles qui prennent en charge leurs aînés. Puisque la solidarité familiale joue un rôle central dans la prise en charge des personnes âgées au Maroc, il est primordial d’apporter un appui aux aidants familiaux. La professionnalisation des auxiliaires de vie permettrait d’alléger leur charge, tandis que des aides financières et fiscales pourraient être envisagées pour soutenir les familles s’occupant de leurs proches âgés. Les entreprises pourraient également être incitées à adopter des politiques de flexibilité pour leurs employés aidants, en leur offrant des aménagements tels que le télétravail ou des congés spécifiques.

Ainsi, la Silver Economy représente une opportunité majeure pour le Maroc, à la fois pour dynamiser son économie et pour améliorer la qualité de vie des seniors. Toutefois, son développement ne pourra être efficace que s’il est pensé en adéquation avec les réalités culturelles et sociales du pays. Plutôt que d’opter pour un modèle basé sur les maisons de retraite, il serait plus pertinent de favoriser les services à domicile, d’améliorer la couverture santé, d’adapter l’urbanisme et de renforcer l’inclusion numérique.

L’élaboration d’une stratégie nationale dédiée à cette question permettrait d’anticiper les défis liés au vieillissement de la population et de transformer cette évolution démographique en un véritable moteur de croissance économique et sociale. 

Rédigé par Abdelghani El Arrasse


Vendredi 7 Mars 2025

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