La "barbe commerciale" au Maroc : quand la piété devient stratégie


Rédigé par le Lundi 22 Septembre 2025

Dans les rues animées de Casablanca, les souks de Fès ou encore les quartiers calmes de Rabat, une tendance intrigante se dessine depuis quelques années. Elle est discrète, mais de plus en plus visible. On l'appelle la "barbe commerciale" : ce phénomène où l’apparence religieuse – barbe soignée, discours pieux, références spirituelles – est utilisée non pas par foi, mais comme outil stratégique pour gagner la confiance, séduire, vendre ou asseoir une forme d'autorité.



Quand la foi devient façade

Au Maroc, où la religion occupe une place centrale dans la vie sociale et culturelle, afficher sa piété peut ouvrir bien des portes. Un homme barbu, parlant avec douceur et citant des versets du Coran, sera spontanément perçu comme honnête, respectable, digne de confiance. Et dans bien des cas, il l’est réellement.

Mais il y a aussi ceux pour qui cette image devient un costume, un masque soigneusement ajusté pour obtenir quelque chose : un contrat, un crédit, un poste, voire même une relation personnelle. On ne vend plus seulement un produit ou une idée, mais une "image" de vertu.


Dans les affaires comme dans la politique

Ce phénomène ne se limite pas aux souks ou aux petites échoppes de quartier. Dans les milieux professionnels, certains consultants, chefs d'entreprise ou fonctionnaires s’entourent de codes religieux pour rassurer et légitimer leurs discours : "Je suis pieux, donc je suis fiable."

Et en politique ? La "barbe commerciale" y joue parfois un rôle plus subtil, mais tout aussi puissant. Dans une société marocaine encore très attachée à ses valeurs spirituelles, l’apparence religieuse peut être utilisée pour construire un capital moral. On devient un « homme de confiance », un « bon musulman », et donc, un prétendant crédible pour représenter le peuple.


Un piège pour les plus vulnérables

Ce jeu d’apparences peut avoir des conséquences graves. Derrière une barbe soignée et des mots doux, certains profitent de la crédulité ou de la fragilité des autres. Des familles se font arnaquer, des jeunes se font manipuler, des projets tombent à l’eau. Et chaque fois, la confiance est un peu plus abîmée.


Mais au-delà des cas individuels, c’est l’image même de la foi et de la sincérité qui est mise en danger. Quand le religieux devient un outil de stratégie, c’est toute une société qui risque de confondre l’authenticité et la manipulation.


Ce que cela dit de nous

Ce phénomène nous interroge profondément : Pourquoi associons-nous automatiquement foi et intégrité ? Pourquoi avons-nous tant besoin de signes extérieurs pour faire confiance ?


La "barbe commerciale" n’est pas un simple jeu d’apparences. C’est le miroir d’un déséquilibre social, où la spiritualité devient parfois un raccourci vers le pouvoir ou l’argent. Et c’est aussi un appel à l’éveil collectif : apprendre à regarder au-delà de l’image, à questionner, à ne pas se laisser éblouir par les apparences – même si elles portent la couleur de la foi.


Un enjeu pour l’avenir du Maroc

Alors que les législatives de 2026 se profilent, cette question devient encore plus sensible. Si la religion est instrumentalisée pour gagner des voix, si l’apparence religieuse devient un outil électoral, alors la frontière entre foi sincère et stratégie politique se brouille dangereusement.


Préserver l’intégrité de la spiritualité, c’est protéger à la fois les croyants et la démocratie.

La "barbe commerciale" n’est pas une critique de la foi. Elle est une alerte contre l’usage opportuniste du religieux dans une société où la sincérité spirituelle est profondément respectée. Il est temps d’apprendre à séparer la vraie lumière intérieure des ombres de l’intérêt personnel.


Parce qu’au fond, la confiance, comme la foi, ne devrait jamais être à vendre.


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Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC. Dompteuse de mots, je jongle avec… En savoir plus sur cet auteur
Lundi 22 Septembre 2025
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