La disruption politique est en marche : quand la réforme Royale bouscule les partis


Rédigé par le Lundi 20 Octobre 2025



Jeunes, femmes, et avenir : le Maroc choisit la disruption politique

Il y a des semaines où l’Histoire s’amuse à monter des diptyques. Celle-ci juxtapose, sans prévenir, deux images qui n’auraient jamais dû se répondre aussi brutalement : d’un côté, un monde économique qui consacre, via le Nobel, les vertus de la disruption, cette capacité à bousculer des rentes, déplacer la frontière de l’innovation, faire naître des marchés là où subsistait l’habitude.

De l’autre, au Maroc, un Conseil des ministres présidé par SM le Roi qui décide d’injecter de la disruption… dans la mécanique politique elle-même. Le même mot, importé des start-ups, vient ainsi percuter la vieille fabrique des partis : changer le pipeline des candidats, ouvrir grand la porte aux moins de 35 ans, simplifier l’entrée dans l’arène, y compris hors parapluie partisan, et financer jusqu’à 75 % de leurs dépenses de campagne. C’est inédit, puissant, et cela appelle une réflexion qui dépasse le seul commentaire du jour. 

Commençons par le cœur de la réforme. Le projet adopté en Conseil des ministres revisite la loi organique 27.11 relative à la Chambre des représentants. Il moralise, verrouille mieux les candidatures indignes, durcit les peines contre la fraude électorale, mais surtout, il reconfigure l’accès des jeunes au jeu : simplification des conditions de candidature (avec ou sans investiture), et prise en charge par l’État de 75 % des frais de campagne pour les moins de 35 ans.

En clair : on ne se contente plus de plaider la “représentation de la jeunesse”, on met de l’argent, du droit, et des procédures au service d’un renouvellement réel. Pour un pays où l’on a trop souvent confondu “jeunisme de discours” et “verrouillage de listes”, l’inflexion est majeure. Elle transforme un alibi rhétorique en politique publique vérifiable. 

L’intuition stratégique est simple : réduire le coût d’entrée pour les nouveaux venus, c’est créer les conditions de l’émergence d’une offre politique plus diverse. Dans le langage de l’économie de l’innovation, on dirait qu’on subventionne l’amorçage, on baisse le coût marginal de la première campagne, et l’on concurrence enfin les rentes d’appareil. On peut refuser le jargon : l’idée n’en demeure pas moins lumineuse. La démocratie, comme un marché, ne prospère pas quand quelques acteurs verrouillent l’accès au comptoir. Elle a besoin de frictions productives, de contestations éclairées, de talents qui ne passent pas par le rite du parrainage sénior. La réforme, ainsi comprise, n’est pas un cadeau à une génération : c’est un investissement collectif dans la qualité de la représentation.

Il y a aussi un effet de levier moral. En assumant que l’argent est un obstacle réel — la campagne coûte, la logistique use, la communication écrase mais l’État retire à beaucoup de partis l’argument commode : “Nous aurions bien pris des jeunes, mais ils n’avaient pas les moyens.” Le transfert financier tue l’excuse. Il oblige. Il place les directions devant leur miroir : s’ils écartent encore des candidats moins de 35 ans, ce ne sera plus faute de budget ; ce sera un choix politique, donc assumable, donc critiquable. Et cela change tout. Les électeurs, eux, sauront lire les listes.

Bien sûr, le texte ne promet pas à lui seul la régénération du système. On ne décrète pas la culture démocratique par article de loi. Mais l’on sait, par l’expérience internationale, que les architectures institutionnelles façonnent les comportements : baisser les barrières d’entrée, c’est mécaniquement augmenter le nombre de candidatures ; diversifier les profils, c’est mécaniquement enrichir le débat ; soutenir l’inclusion des femmes et des jeunes, c’est mécaniquement rapprocher l’hémicycle du pays réel. L’architecture nouvelle prépare donc, si les partis jouent le jeu, un Parlement plus jeune et plus féminin et non par “effet de mode”, mais par redéfinition des incitations. 

Reste la question qui fâche : les partis suivront-ils ? La disruption, on l’applaudit volontiers quand elle bouscule les autres. Dans nombre d’états-majors, la tentation sera forte de s’adapter sans se réformer, de caser “quelques jeunes” en périphérie pour donner le change, de continuer à verrouiller les circonscriptions gagnables pour les mêmes combinards, les mêmes trajectoires de carrière, les mêmes réflexes d’évitement. C’est là que la réforme devient politiquement intéressante : elle met à nu la stratégie de chaque formation. Avec les budgets dédiés et l’allègement des procédures, tout parti qui n’opère pas un vrai renouvellement exposera en plein jour sa préférence pour la reproduction des élites contre l’oxygénation du corps politique.

Et c’est ici que l’actualité nous a offert une ironie, disons, peu heureuse. Le même week-end où l’État met la jeunesse au centre des prochaines échéances, l’USFP reconduit son Premier secrétaire pour un quatrième mandat. Sur la forme, on peut y voir la stabilité d’une ligne. Sur le fond, c’est le symbole inverse de ce que le pays tente d’impulser : quand l’exécutif promeut la circulation des générations, une partie de l’opposition confirme l’enracinement d’un leadership long, saturé d’habitudes. Le contraste saute aux yeux, et il est d’autant plus brutal qu’il se joue sur la même temporalité. 

Attention : il ne s’agit pas de clouer un parti au pilori, l’USFP n’est pas seul à pratiquer la longévité des directions, mais de nommer la dissonance. On ne peut pas, sérieusement, appeler les jeunes à “investir la chose publique”, et, dans le même souffle, leur expliquer que la salle des machines reste réservée aux titulaires du bail. On ne peut pas vouloir des hémicycles rajeunis et maintenir des appareils grippés. Si la réforme voulue au plus haut niveau n’est pas relayée par un aggiornamento interne, elle fera grincer au lieu d’entraîner : des candidats jeunes mais parachutés, financés mais isolés, mis en vitrine mais pas embarqués.

Or, il y a mieux à faire. Les partis peuvent saisir l’occasion pour refondre leurs procédures d’investiture, dépoussiérer leurs écoles politiques, ouvrir leurs commissions à des profils non affiliés, contractualiser avec les candidates et candidats jeunes, objectifs de mandature, calendrier d’évaluation, transparence des dépenses et, pourquoi pas, organiser des primaires locales encadrées. L’idée n’est pas de singer la Silicon Valley en politique, mais d’accepter sa leçon la plus utile : quand un écosystème veut accélérer, il crée des sas d’entrée simples, des mentors, des règles du jeu lisibles, et il tolère le risque. Il préfère l’erreur expérimentale au confort immobile.

Cette réforme peut aussi corriger un biais territorial. Le financement public de 75 % des campagnes des moins de 35 ans n’est pas qu’un tremplin sociologique ; c’est une béquille géographique. Dans des circonscriptions périphériques où l’argent manque et où l’emprise des notables reste forte, l’injection de fonds fléchés pour des candidatures jeunes peut fissurer le monopole local.

À une condition : que l’administration qui distribuera ces financements le fasse avec des garde-fous, des critères transparents, et un suivi ex-post rigoureux. L’État a posé un principe ; la mise en œuvre dira s’il fabrique de l’exemplarité ou des contentieux. Les textes adoptés au Conseil des ministres soulignent d’ailleurs l’effort de moralisation des prochaines élections — exclusions pour condamnations entraînant la perte d’éligibilité, sévérité accrue contre les atteintes à l’intégrité du vote. Ce n’est pas secondaire ; c’est la charpente de la confiance. 

N’omettons pas le contexte : le même Conseil a validé les grandes orientations d’un PLF 2026 qui muscle fortement la dépense en santé et éducation, deux secteurs au cœur des demandes de la jeunesse mobilisée ces dernières semaines. En politique, la cohérence compte. Encourager les jeunes à entrer au Parlement, c’est une chose ; leur donner prise sur des politiques publiques visibles, écoles, hôpitaux, mobilité sociale, c’en est une autre, complémentaire. Le signal budgétaire et le signal institutionnel se répondent ici. S’ils convergent, la scène publique marocaine peut se rajeunir sans se fracturer, s’ouvrir sans se perdre, et tenir ensemble un cap social et un cap démocratique. 

Reste la psychologie des appareils. Il serait naïf d’imaginer qu’une direction longuement installée se dépossède gaiement. Les résistances viendront, elles viennent déjà, parfois au nom de l’expérience, parfois au nom de l’unité. Mais l’argument de l’expérience cesse d’être recevable lorsqu’il devient dogme d’irremplaçabilité. L’unité, elle, n’est pas l’uniformité : une organisation politique vivante sait intégrer des contradictions, prototyper des trajectoires, accueillir des leaderships montants. À l’inverse, le “j’y suis, j’y reste” fabrique de la cynique apathie. Et l’apathie, en politique, n’est pas un état neutre : c’est une fuite des meilleurs vers d’autres voies (entrepreneuriat, ONG, diaspora), une perte sèche pour l’intérêt général.

Le contraste de la semaine : réforme Royale qui nivelle vers le haut face à la reconduction symboliquement lourde d’un SG pour un quatrième mandat  a donc valeur de test. Non pas le test d’un parti contre les autres, mais le test d’un système face à sa promesse de renouvellement. La balle n’est plus seulement dans le camp des pouvoirs publics ; elle est, très directement, dans les mains des partis. Ils peuvent résister, ruser, recycler. Ou ils peuvent saisir ce moment pour faire, enfin, ce que la société attend d’eux : organiser la compétition loyale des idées, ouvrir les portes aux talents qui n’avaient pas les codes, et accepter que la démocratie marocaine ne grandira pas à l’ombre de quelques arbres centenaires.

La disruption n’est pas une posture. C’est un effort continu pour rendre possible ce que l’on disait impraticable, pour redistribuer les cartes sans casser la table, pour protéger la règle tout en bousculant les routines.

Le Conseil des ministres du 19 octobre a pris sa part, en assumant que l’égalité d’accès n’est pas un slogan mais un coût à prendre en charge et un cadre à sécuriser. Aux partis, désormais, d’aligner les actes sur les discours. S’ils le font, le prochain hémicycle sera plus jeune, plus féminin, plus proche du pays réel et, n’en déplaise aux gardiens de rentes, probablement plus exigeant. S’ils ne le font pas, le décalage deviendra cinglant, la confiance s’effritera, et l’Histoire retiendra que l’État a tendu la main quand les appareils s’accrochaient au dossier de leur fauteuil.

Les circonstances heureuses et malheureuses ne sont pas des fatalités. Elles sont des révélateurs. Cette semaine nous rappelle qu’une décision publique bien conçue peut créer de la chance pour des centaines de jeunes femmes et hommes qui n’attendaient qu’un signe pour franchir le seuil et qu’un réflexe d’appareil peut, en un congrès, caricaturer l’avenir.

Entre ces deux images, il y a un pays qui bouge. À chacun, maintenant, de choisir le bon côté du diptyque

​Pistes à surveiller :

Les décrets d’application précisant les modalités de remboursement, le calendrier de dépôt des candidatures “indépendantes” des moins de 35 ans, et la façon dont chaque parti traduira  noir sur blanc cette réforme dans ses règles d’investiture. Parce qu’une disruption, en politique comme en économie, se mesure d’abord à ses effets concrets.

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Lundi 20 Octobre 2025
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