Par Ikbal Sayah
Le Maroc change. Des chantiers imposants s’y déploient et dessinent les contours d’une nation tournée vers l’avenir. Dans cinq ans, notre pays va coorganiser avec l’Espagne et le Portugal, la Coupe du Monde de football. Il devra donner à voir au monde le meilleur de lui-même. Il devra aussi faire de cette échéance un catalyseur et un levier pour se hisser, avec assurance, parmi les grandes nations émergentes.
Le « Mundial » permet en effet d’engager une méthode de l’action publique dont l’efficacité suppose qu’un certain nombre de conditions soit réuni.
La première, c’est l’ambition. La barre est en effet placée haut. Il ne faut pas avoir peur de faire grand malgré, il est bon de le souligner, des contraintes interne et externe importantes. Il s’agit d’écrire une belle histoire, celle d’un peuple fier, digne et uni, attaché à ses valeurs et disposé à porter une voix singulière dans ce monde instable. Ce cap de l’ambition doit donc être tenu car il est à la base du rayonnement géopolitique de notre pays.
La deuxième est de tenir le rythme. La difficulté du « Mundial » ne réside pas que dans l’ampleur du chantier, mais sur le fait que pas une heure de retard n’est possible. Le Maroc a rendez-vous avec le monde à date fixe. Le compte à rebours est implacable et nous devons être parfaitement clair sur nos temps de passage, en mettant en place une planification rigoureuse et une coordination optimale. Cela sera alors notre premier succès de ce « Mundial ».
La troisième a trait à la gouvernance. Celle-ci se doit d’être agile : dans un projet aussi important et de surcroît tenu par la dictature du temps, il est essentiel d’être en capacité d’arbitrer dans l’incertitude et d’inventer des solutions concrètes et adaptées. Il faut pour cela des structures de pilotage fortes, qui abattent les silos et introduisent de la transversalité. La Fondation Maroc 2030 devra jouer ce rôle au quotidien, en facilitant la coordination de toutes les parties prenantes pour faire de cette Coupe du Monde de football un immense succès collectif.
La quatrième condition est en relation avec le devoir de transparence. Des dizaines de milliards de dirhams sont en effet programmés d’ici 2030. Il s’agit d’un montant conséquent qui, incidemment, nous oblige à nous ériger à terme en nation sportive. C’est un acquis des plus précieux tant le sport peut contribuer à entretenir la flamme morale d’un pays, permettre à sa jeunesse défavorisée de s’épanouir et de s’intégrer, sans parler de son impact sur le développement durable.
Mais les projets qui seront initiés devront faire l’objet d’une gestion exemplaire et d’une évaluation rigoureuse. Le Parlement devra être en mesure d’en assurer le suivi pour garantir l’efficacité des actions menées, dans le cadre d’un débat exigeant.
Dans le même esprit, il conviendra de rendre régulièrement compte devant les médias sur l’avancée du projet, afin d’éliminer tout risque de polémiques stériles assises sur des préjugés ou des contre-vérités. Ce risque n’est pas à négliger et nous pousse à être vigilant tant l’enthousiasme populaire autour du « Mundial » est bien réelle. Elle serait le corollaire, comme l’analyse finement Anas Abdoun, d’un contrat psychologique implicite liant l’Etat et la population. Autrement dit, celle-ci accepte un « retard de gratification » dans l’espoir de pouvoir en bénéficier après 2030. Cette attitude consensuelle, plus alimentée par des valeurs aspirationnelles que rationnelles, ne pourra cependant pas être soutenu sur le moyen et long terme.
La cinquième condition est liée à l’adoption d’une approche responsable. Le « Mundial » de 2030 devra être aussi un modèle économique équilibré, doublé d’une vraie exigence sociale et environnementale. Des résultats devront être atteints en matière de renforcement de l’Etat social, d’insertion économique des femmes et des jeunes, de lutte contre le travail informel et d’accès des TPME aux marchés publics, quel que soit le domaine considéré. En matière environnementale aussi, tout devra être mis en œuvre pour réduire nettement l’empreinte carbone de l’évènement, soutenant ainsi le plan national de lutte contre le changement climatique.
Enfin, une Coupe du Monde réussie a un mérite inestimable : celui de toujours rappeler que c’est la recherche de l’excellence qui définit le mieux les grandes nations. Il s’agit là de la sixième et dernière condition. A l’avenir, cette quête de l’excellence devra constituer la matrice de toute notre économie, tant elle est source de création de richesse et porteuse de valeurs positives et inclusives.
Aujourd’hui, des administrations, des organismes et des entreprises nationales ont la possibilité de relever un grand défi et de donner la pleine mesure du talent de leurs membres. Ceux-ci doivent être remarquables d’engagement pour la réussite de ce rendez-vous planétaire. Ils sont le cœur battant de l’équipe « Maroc », celle de tous les Marocains, qui devra maintenir ce momentum jusqu’à de l’échéance de ce « Mundial » que nous voulons tous formidable.
A l’évidence, le « Mundial » impose un « métabolisme » accéléré. Il est à espérer que ce climat d’urgence créatrice puisse survivre au « Mundial » et permettre au Maroc de relever l’un de ses plus grands défis structurels. Il ne s’agit pas moins que d’éviter l’établissement d’une société à deux vitesses, avec des gagnants et des perdants qui finiraient par se regarder en chiens de faïence. Les chiffres récents publiés par le HCP sont sans équivoque à ce sujet et témoignent d’une cristallisation inquiétante des lignes de fractures sociales et territoriales dans notre pays en dépit de dépenses affectées au social qui ne cessent de croître. Cela appelle des actions de fond qui devront être conduites de façon systémique et dont le déploiement sur le terrain se fera en lien avec les collectivités territoriales.
A vrai dire, un Maroc des excellences existe bel et bien. Grâce aux orientations stratégiques qu’il s’est tracé, les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, des énergies renouvelables, de l’agroalimentaire et du tourisme affichent des performances remarquables, tant en termes d’investissements que de création d’emplois. Bien inséré dans les chaines de valeur mondiales, les exportations industrielles, en particulier celles liées aux métiers mondiaux, dégagent de solides excédents. Néanmoins, ce renouveau industriel sans précédent demeure polarisé dans trois régions, ce qui pèse sur l’équité territoriale et freine l’émergence de systèmes de production locaux.
Ce Maroc des excellences est ouvert sur le monde. En effet, à la faveur des accords de libre-échange qu’il a contracté avec une multiplicité de partenaires, l’économie nationale est liée à plus de trois milliards de consommateurs. Son ouverture économique représente une formidable opportunité de partir à la conquête du monde, pour y exporter des produits à plus forte valeur ajoutée. Notre pays est déjà une terre accueillante pour les touristes et les investisseurs du monde entier, dès lors que l’accueil et la qualité des services publics sont au rendez-vous.
Mais la quête de l’excellence est plurielle : elle n’a pas de secteur réservé. Elle peut être partout, car elle est d’abord une attitude, une démarche productive, fondée sur la qualité des produits et des services. Elle repose sur divers facteurs, tels que les savoirs scientifiques, la créativité, l’excellence de la main-d’œuvre et des savoir-faire, le design, les marques et labels, le service et l’accueil, le respect des délais.
Ce Maroc de l’excellence est un Maroc inclusif, ouvert à tous, non réduit à la stupide opposition gagnant-perdant. Il se nourrit de tous les talents : celui des ingénieurs, des chercheurs, des enseignants, des techniciens, mais aussi des artisans, des commerçants, des agriculteurs. L’excellence dans la production est une matrice qui peut rassembler tous les Marocains, autour de valeurs fortes comme le goût de l’effort et du travail bien fait. Elle peut redonner de la fierté, de la dignité, de l’ancrage local. Elle permet aussi de mettre fin à la tyrannie confondante de la réussite scolaire unique : il est en effet possible de s’accomplir en misant sur la qualité comme technicien, commerçant, artisan ou exploitant agricole dès lors que des moyens sont mobilisés.
Pour construire ce Maroc des excellences, le levier essentiel est celui de l’éducation. Nous ne pourrons opérer la montée en gamme de toutes nos productions sans opérer en parallèle celle de nos qualifications : pas de qualité des produits sans qualification des hommes, de tous les hommes. Alors, luttons davantage contre l’analphabétisme, l’illettrisme et le décrochage scolaire. Diversifions les voies de la réussite scolaire : incitons les jeunes à s’orienter certes vers des formations scientifiques, mais aussi vers les métiers de la créativité et du service. Faisons de la formation tout au long de la vie un droit effectif et non une promesse inachevée.
Affichons enfin une stratégie de gestion des talents. Si l’on veut intégrer l’économie du savoir, le Maroc doit viser sans complexe l’excellence en matière de capital humain et d’expertise. Cela implique de dupliquer le succès étourdissant du Lydex, qui arrive à placer des dizaines d’élèves généralement issus de milieux particulièrement défavorisés dans les plus grandes écoles françaises, mais aussi d’attirer et de retenir nos talents installés à l’étranger. Le Maroc souffre en effet de l’exode massif de ses meilleures forces vives. Il s’agit-là d’un phénomène bien réel, mesurable, qui prive notre pays d’esprit d’entreprendre au moment même où il peine à dynamiser l’investissement privé.
Certes, il y a bien là un problème d’opportunité et de salaire : pour un premier emploi, la rémunération d’un jeune ingénieur en France peut aller du simple au quadruple par rapport au Maroc. Mais pour les plus brillants d’entre eux, c’est la possibilité d’être intégrés à des écosystèmes qui, de toutes les façons, procurent des niveaux de compréhension et d’expertise sectorielle plus importants.
Il est plus que temps de comprendre que le concept d’économie ouverte s’applique aussi aux talents. Sans eux, le risque est de voir notre pays pâtir d’un modèle d’économie « bas de gamme », ce qui accentuerait davantage la demande de social, affaiblirait l’économie et finirait par précariser notre corps social dans son entier.
Inverser la tendance est encore à notre portée, mais à condition de déployer des mesures fortes de compétitivité, comme par exemple, le renforcement du système universitaire marocain grâce à une sélection juste et assumée, la sanctuarisation des écosystèmes de R&D ou la constitution de mécanismes de financement long grâce à une épargne réinventée. Il n’est pas trop tard pour s’y atteler, mais nos institutions doivent agir avec clarté, coordination et sens de l’urgence. Il y va de notre souveraineté économique dans un contexte géopolitique tendu où le savoir s’impose désormais comme un levier de soft power redoutable.
Les métamorphoses authentiques survivent toujours à leurs prétextes. Faisons donc de cette méthode « Mundial » une vraie démonstration d’excellence que nous sommes appelés à porter en héritage pour réussir dans le vaste monde. Par sa capacité à mobiliser l’intelligence collective, elle devrait inspirer bien d’autres secteurs, à condition de transformer notre système d’éducation.
Ikbal Sayah.
Docteur Es-Sciences économiques de l’Université de Paris Dauphine.
Expert en évaluation des politiques de développement humain.
Le « Mundial » permet en effet d’engager une méthode de l’action publique dont l’efficacité suppose qu’un certain nombre de conditions soit réuni.
La première, c’est l’ambition. La barre est en effet placée haut. Il ne faut pas avoir peur de faire grand malgré, il est bon de le souligner, des contraintes interne et externe importantes. Il s’agit d’écrire une belle histoire, celle d’un peuple fier, digne et uni, attaché à ses valeurs et disposé à porter une voix singulière dans ce monde instable. Ce cap de l’ambition doit donc être tenu car il est à la base du rayonnement géopolitique de notre pays.
La deuxième est de tenir le rythme. La difficulté du « Mundial » ne réside pas que dans l’ampleur du chantier, mais sur le fait que pas une heure de retard n’est possible. Le Maroc a rendez-vous avec le monde à date fixe. Le compte à rebours est implacable et nous devons être parfaitement clair sur nos temps de passage, en mettant en place une planification rigoureuse et une coordination optimale. Cela sera alors notre premier succès de ce « Mundial ».
La troisième a trait à la gouvernance. Celle-ci se doit d’être agile : dans un projet aussi important et de surcroît tenu par la dictature du temps, il est essentiel d’être en capacité d’arbitrer dans l’incertitude et d’inventer des solutions concrètes et adaptées. Il faut pour cela des structures de pilotage fortes, qui abattent les silos et introduisent de la transversalité. La Fondation Maroc 2030 devra jouer ce rôle au quotidien, en facilitant la coordination de toutes les parties prenantes pour faire de cette Coupe du Monde de football un immense succès collectif.
La quatrième condition est en relation avec le devoir de transparence. Des dizaines de milliards de dirhams sont en effet programmés d’ici 2030. Il s’agit d’un montant conséquent qui, incidemment, nous oblige à nous ériger à terme en nation sportive. C’est un acquis des plus précieux tant le sport peut contribuer à entretenir la flamme morale d’un pays, permettre à sa jeunesse défavorisée de s’épanouir et de s’intégrer, sans parler de son impact sur le développement durable.
Mais les projets qui seront initiés devront faire l’objet d’une gestion exemplaire et d’une évaluation rigoureuse. Le Parlement devra être en mesure d’en assurer le suivi pour garantir l’efficacité des actions menées, dans le cadre d’un débat exigeant.
Dans le même esprit, il conviendra de rendre régulièrement compte devant les médias sur l’avancée du projet, afin d’éliminer tout risque de polémiques stériles assises sur des préjugés ou des contre-vérités. Ce risque n’est pas à négliger et nous pousse à être vigilant tant l’enthousiasme populaire autour du « Mundial » est bien réelle. Elle serait le corollaire, comme l’analyse finement Anas Abdoun, d’un contrat psychologique implicite liant l’Etat et la population. Autrement dit, celle-ci accepte un « retard de gratification » dans l’espoir de pouvoir en bénéficier après 2030. Cette attitude consensuelle, plus alimentée par des valeurs aspirationnelles que rationnelles, ne pourra cependant pas être soutenu sur le moyen et long terme.
La cinquième condition est liée à l’adoption d’une approche responsable. Le « Mundial » de 2030 devra être aussi un modèle économique équilibré, doublé d’une vraie exigence sociale et environnementale. Des résultats devront être atteints en matière de renforcement de l’Etat social, d’insertion économique des femmes et des jeunes, de lutte contre le travail informel et d’accès des TPME aux marchés publics, quel que soit le domaine considéré. En matière environnementale aussi, tout devra être mis en œuvre pour réduire nettement l’empreinte carbone de l’évènement, soutenant ainsi le plan national de lutte contre le changement climatique.
Enfin, une Coupe du Monde réussie a un mérite inestimable : celui de toujours rappeler que c’est la recherche de l’excellence qui définit le mieux les grandes nations. Il s’agit là de la sixième et dernière condition. A l’avenir, cette quête de l’excellence devra constituer la matrice de toute notre économie, tant elle est source de création de richesse et porteuse de valeurs positives et inclusives.
Aujourd’hui, des administrations, des organismes et des entreprises nationales ont la possibilité de relever un grand défi et de donner la pleine mesure du talent de leurs membres. Ceux-ci doivent être remarquables d’engagement pour la réussite de ce rendez-vous planétaire. Ils sont le cœur battant de l’équipe « Maroc », celle de tous les Marocains, qui devra maintenir ce momentum jusqu’à de l’échéance de ce « Mundial » que nous voulons tous formidable.
A l’évidence, le « Mundial » impose un « métabolisme » accéléré. Il est à espérer que ce climat d’urgence créatrice puisse survivre au « Mundial » et permettre au Maroc de relever l’un de ses plus grands défis structurels. Il ne s’agit pas moins que d’éviter l’établissement d’une société à deux vitesses, avec des gagnants et des perdants qui finiraient par se regarder en chiens de faïence. Les chiffres récents publiés par le HCP sont sans équivoque à ce sujet et témoignent d’une cristallisation inquiétante des lignes de fractures sociales et territoriales dans notre pays en dépit de dépenses affectées au social qui ne cessent de croître. Cela appelle des actions de fond qui devront être conduites de façon systémique et dont le déploiement sur le terrain se fera en lien avec les collectivités territoriales.
A vrai dire, un Maroc des excellences existe bel et bien. Grâce aux orientations stratégiques qu’il s’est tracé, les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, des énergies renouvelables, de l’agroalimentaire et du tourisme affichent des performances remarquables, tant en termes d’investissements que de création d’emplois. Bien inséré dans les chaines de valeur mondiales, les exportations industrielles, en particulier celles liées aux métiers mondiaux, dégagent de solides excédents. Néanmoins, ce renouveau industriel sans précédent demeure polarisé dans trois régions, ce qui pèse sur l’équité territoriale et freine l’émergence de systèmes de production locaux.
Ce Maroc des excellences est ouvert sur le monde. En effet, à la faveur des accords de libre-échange qu’il a contracté avec une multiplicité de partenaires, l’économie nationale est liée à plus de trois milliards de consommateurs. Son ouverture économique représente une formidable opportunité de partir à la conquête du monde, pour y exporter des produits à plus forte valeur ajoutée. Notre pays est déjà une terre accueillante pour les touristes et les investisseurs du monde entier, dès lors que l’accueil et la qualité des services publics sont au rendez-vous.
Mais la quête de l’excellence est plurielle : elle n’a pas de secteur réservé. Elle peut être partout, car elle est d’abord une attitude, une démarche productive, fondée sur la qualité des produits et des services. Elle repose sur divers facteurs, tels que les savoirs scientifiques, la créativité, l’excellence de la main-d’œuvre et des savoir-faire, le design, les marques et labels, le service et l’accueil, le respect des délais.
Ce Maroc de l’excellence est un Maroc inclusif, ouvert à tous, non réduit à la stupide opposition gagnant-perdant. Il se nourrit de tous les talents : celui des ingénieurs, des chercheurs, des enseignants, des techniciens, mais aussi des artisans, des commerçants, des agriculteurs. L’excellence dans la production est une matrice qui peut rassembler tous les Marocains, autour de valeurs fortes comme le goût de l’effort et du travail bien fait. Elle peut redonner de la fierté, de la dignité, de l’ancrage local. Elle permet aussi de mettre fin à la tyrannie confondante de la réussite scolaire unique : il est en effet possible de s’accomplir en misant sur la qualité comme technicien, commerçant, artisan ou exploitant agricole dès lors que des moyens sont mobilisés.
Pour construire ce Maroc des excellences, le levier essentiel est celui de l’éducation. Nous ne pourrons opérer la montée en gamme de toutes nos productions sans opérer en parallèle celle de nos qualifications : pas de qualité des produits sans qualification des hommes, de tous les hommes. Alors, luttons davantage contre l’analphabétisme, l’illettrisme et le décrochage scolaire. Diversifions les voies de la réussite scolaire : incitons les jeunes à s’orienter certes vers des formations scientifiques, mais aussi vers les métiers de la créativité et du service. Faisons de la formation tout au long de la vie un droit effectif et non une promesse inachevée.
Affichons enfin une stratégie de gestion des talents. Si l’on veut intégrer l’économie du savoir, le Maroc doit viser sans complexe l’excellence en matière de capital humain et d’expertise. Cela implique de dupliquer le succès étourdissant du Lydex, qui arrive à placer des dizaines d’élèves généralement issus de milieux particulièrement défavorisés dans les plus grandes écoles françaises, mais aussi d’attirer et de retenir nos talents installés à l’étranger. Le Maroc souffre en effet de l’exode massif de ses meilleures forces vives. Il s’agit-là d’un phénomène bien réel, mesurable, qui prive notre pays d’esprit d’entreprendre au moment même où il peine à dynamiser l’investissement privé.
Certes, il y a bien là un problème d’opportunité et de salaire : pour un premier emploi, la rémunération d’un jeune ingénieur en France peut aller du simple au quadruple par rapport au Maroc. Mais pour les plus brillants d’entre eux, c’est la possibilité d’être intégrés à des écosystèmes qui, de toutes les façons, procurent des niveaux de compréhension et d’expertise sectorielle plus importants.
Il est plus que temps de comprendre que le concept d’économie ouverte s’applique aussi aux talents. Sans eux, le risque est de voir notre pays pâtir d’un modèle d’économie « bas de gamme », ce qui accentuerait davantage la demande de social, affaiblirait l’économie et finirait par précariser notre corps social dans son entier.
Inverser la tendance est encore à notre portée, mais à condition de déployer des mesures fortes de compétitivité, comme par exemple, le renforcement du système universitaire marocain grâce à une sélection juste et assumée, la sanctuarisation des écosystèmes de R&D ou la constitution de mécanismes de financement long grâce à une épargne réinventée. Il n’est pas trop tard pour s’y atteler, mais nos institutions doivent agir avec clarté, coordination et sens de l’urgence. Il y va de notre souveraineté économique dans un contexte géopolitique tendu où le savoir s’impose désormais comme un levier de soft power redoutable.
Les métamorphoses authentiques survivent toujours à leurs prétextes. Faisons donc de cette méthode « Mundial » une vraie démonstration d’excellence que nous sommes appelés à porter en héritage pour réussir dans le vaste monde. Par sa capacité à mobiliser l’intelligence collective, elle devrait inspirer bien d’autres secteurs, à condition de transformer notre système d’éducation.
Ikbal Sayah.
Docteur Es-Sciences économiques de l’Université de Paris Dauphine.
Expert en évaluation des politiques de développement humain.