La petite évasion


‘’Nous sommes totalement sous surveillance de la famille, des traditions, des quartiers, du qu’en dira-t-on, etc. Eh bien on peut apprendre à être libre. Apprendre à être libre passe par des tentatives, des essais, des erreurs, mais passe essentiellement par quelque chose sur quoi, à mon avis, vous ne devrez jamais abdiquer, jamais abandonner



Par Naim Kamal

A lire ou à écouter en podcast :  (4.16 Mo)

‘’Nous sommes totalement sous surveillance de la famille, des traditions, des quartiers, du qu’en dira-t-on, etc. Eh bien on peut apprendre à être libre. Apprendre à être libre passe par des tentatives, des essais, des erreurs, mais passe essentiellement par quelque chose sur quoi, à mon avis, vous ne devrez jamais abdiquer, jamais abandonner […]’’.

La séquence se poursuivait et le court docufilm sur Noureddine Saïl pouvait continuer par sa voix, à plaider dans un drôle de prétoire pour l’accès à la culture que l’on devrait arracher à son propre temps, refuser à sa propre paresse, voler à sa propre impécuniosité…

Dans ce lieu où résonnaient ces propos, plus que dans tout autre, cette apologie de la culture comme clé de la liberté, prenait, en même temps qu’elle le perdait, tout son sens. Le lieu ? Une prison, célèbre par son nom et célèbre par son histoire, Oukacha, tous hôtes, invités et détenus, d’un geôlier pas comme les autres, Mohamed Salah Tamek.

Bouillon de culture
Délégué général de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR), ce Sahraoui a, à ce poste, tout de l’atypique. Lui-même ancien détenu pour avoir soutenu le Polisario, intellectuel qui n’a rien perdu de son intellectualité dans l’exercice de ses fonctions, entre autres Wali au ministère de l’Intérieur, enseignant universitaire, au moins quadrilingue (arabe, français, anglais, espagnol), il a mis en prison la culture pour offrir à ses pensionnaires un bouillon autre que la soupe à l’oignon des pénitenciers.

Ce mercredi 23 février, les jeunes pensionnaires de Oukacha ont cette chance rare dans un espace pareil de rencontrer à titre posthume le fervent militant de la culture que fut Noureddine Saïl, fondateur des Ciné-clubs au Maroc, qui faisaient ce jour-là leur entrée dans les prisons du Royaume.

L’initiative et le mérite du lancement des Ciné-clubs Noureddine Saïl pour les jeunes des prisons reviennent à la DGAPR et à l’Association des Rencontres Méditerranéennes Cinéma & Droits de l’Homme. Au programme ce matin, outre les raseuses officialités, Haut et Fort de Nabil Ayouch qui raconte comment des jeunes sans distinction de genre de Sidi Moumen tentent d’en sortir et de s’en sortir par le Rap. Parmi eux un ancien ‘’locataire’’ de Oukacha. N’eut été la véracité du fait, on aurait trouvé ça trop entendu, téléphoné, bref un mauvais pitch.

Une fenêtre sur la vie
Sous le grand chapiteau qui abritait l’évènement, une centaine de jeunes détenus. Qui sentaient la douche fraiche, chemises blanches immaculées les apparentant plus aux étudiants d’un pensionnat british strict et discipliné qu’à de jeunes délinquants qui sont là par manque de pot ou par la bêtise de trop. Les deux sans doute même.  A les regarder voir ce « beau monde », ministres et consorts, sapé pour l’occasion, faire son entrée dans la salle, on n’a pas de difficultés, ou plutôt si, à imaginer ce qui passe par leur tête. Dans la mienne, c’est La Grande évasion avec Steve McQueen, Les Evadés avec Tim Robbins et Morgan Freeman, sans vraiment vouloir les voir faire Papillon avec le même McQueen. Trop risqué et trop dur.

Pour l’instant c’est une escapade du féroce univers carcéral que leur offrent les Ciné-clubs Noureddine Saïl. Et dans sa darija inénarrable mais très compréhensible, Nabil Ayouch leur raconte comment dans sa ville de banlieue parisienne, le cinéma a été pour lui une fenêtre sur la vie et un voyage à travers le monde qu’il sillonne pour de vrai depuis qu’il est devenu réalisateur. Et qui sait, peut-être que de cette centaine de détenus et de leurs pairs à travers le Maroc, naitra une, deux ou trois vocations, et pour les autres, de temps en temps, ce sera une petite évasion qui leur fera voir plus belle la vie, quelle qu’en soit la condition, en dehors de l’incarcération. Ne dit-on pas : Cultivez, cultivez, il en sortira toujours quelque chose ?

Rédigé par Naim Kamal sur Quid


Lundi 28 Février 2022

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