La seule certitude de l’intelligence artificielle, c’est l’incertitude


Par Dr Az-Eddine Bennani

L’intelligence artificielle est aujourd’hui invoquée comme une évidence. Elle serait la clé de la productivité future, de la compétitivité économique, de la modernisation de l’État et même du progrès social. Pourtant, derrière l’assurance des discours, une réalité s’impose : plus l’IA progresse, plus l’incertitude devient centrale.

Cette incertitude n’est pas accidentelle. Elle est structurelle. Elle traverse l’économie, la technologie, l’emploi et la gouvernance. Autrement dit, la seule certitude en matière d’intelligence artificielle, c’est l’incertitude.



La première zone d’ombre concerne l’économie.

Contrairement à une idée largement répandue, l’IA ne garantit pas mécaniquement des gains de productivité durables. Les investissements sont massifs, les infrastructures coûteuses, la consommation énergétique élevée, et l’amortissement incertain.

Les promesses de rendement généralisé tardent à se matérialiser, tandis que les coûts sont immédiats et bien réels. L’IA réactive ainsi un paradoxe déjà connu : la technologie est partout visible, mais ses effets macroéconomiques restent difficiles à établir.

L’incertitude est également technologique.

L’IA n’est pas un simple logiciel que l’on installe ; c’est une infrastructure lourde, dépendante de chaînes d’approvisionnement complexes, de centres de calcul énergivores et de fournisseurs étrangers.

La course à la puissance, à la taille des modèles et à la centralisation crée une fragilité systémique. Plus le modèle est démesuré, plus il devient vulnérable aux chocs économiques, énergétiques et géopolitiques.

Sur le plan social, l’incertitude est encore plus préoccupante. Le débat sur l’emploi oscille entre discours alarmistes et déni rassurant, mais sans instruments précis de mesure. Ce que l’on observe n’est souvent que la partie visible des transformations.

En profondeur, ce sont des tâches, des fonctions et des organisations entières qui évoluent, notamment dans l’administratif, les services, le back-office et l’externalisation.

Sans indicateurs fiables ni capacité d’anticipation, les décisions publiques se prennent à l’aveugle.

​Enfin, l’incertitude la plus décisive est politique.

L’intelligence artificielle n’a pas de trajectoire naturelle. Elle peut renforcer la concentration du pouvoir comme soutenir le bien commun. Elle peut homogénéiser les cultures ou respecter les langues et les contextes locaux.

Tout dépend des choix de gouvernance, des règles, des priorités et des valeurs qui l’encadrent. Une gouvernance fermée produit une IA fermée. Une gouvernance ouverte permet une IA plus robuste, plus responsable et plus souveraine.

Face à cette accumulation d’incertitudes, la tentation est grande de promettre des certitudes technologiques.

C’est une erreur. La posture responsable consiste au contraire à reconnaître l’incertitude et à la gouverner : par la lucidité économique, la sobriété technologique, l’anticipation sociale et des cadres de gouvernance clairs.

L’intelligence artificielle n’est ni un miracle ni une menace inéluctable. Elle est une transformation profonde, encore largement indéterminée.

Et c’est précisément pour cette raison qu’elle exige moins de slogans et davantage de réflexion collective. La seule certitude de l’intelligence artificielle, c’est l’incertitude.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Lundi 15 Décembre 2025

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