Le 10, dernier vestige d’un football disparu


Rédigé par Hajar DEHANE le Vendredi 1 Aout 2025



​Par Kamal El Hassane, journaliste stagiaire à LODJ Média

Il fut un temps où porter le numéro 10, c’était presque une déclaration. Une manière de dire au monde : le jeu passera par moi. C’était un costume taillé sur mesure pour ceux qui voyaient le football différemment, pas nécessairement plus vite, mais mieux. Ceux qui ne couraient pas toujours plus que les autres, mais qui faisaient courir les autres. Aujourd’hui ? On continue de le porter. Mais on ne sait plus très bien pourquoi.

Kylian Mbappé au Real Madrid. Lamine Yamal à Barcelone. Deux nouveaux « Diez » fraîchement intronisés, deux noms qui font rêver. Mais derrière l’éclat marketing, une vraie question : est-ce qu’on leur demande de porter un numéro ou un héritage ? Et surtout, ce numéro veut-il encore dire quelque chose dans le football moderne ?

Quand Thiago Alcántara a raccroché les crampons, il n’a pas fait de bruit. Mais il a lâché une phrase simple, brutale presque : la figure du numéro 10 a presque disparu. Ce dernier n’essaie pas de faire le buzz. Il s’agit là juste d’un constat, lucide, venu de quelqu’un qui a toujours aimé le beau jeu, il suffit de chercher Thiago Alcántara sur YouTube pour les plus jeune pour en avoir le cœur net. Le football, disait-il, est devenu plus rapide, plus physique, plus répétitif. Moins de magie, moins de fantaisie. Moins de temps pour penser.

Et ça, c’est peut-être le vrai fond du problème. Car ce qui faisait la grandeur du 10, ce n’était pas juste sa technique, c’était le temps qu’il avait pour s’en servir. Le droit de réfléchir, d’observer, de dicter le tempo. Aujourd’hui, cet espace-là n’existe plus. Entre le rond central et la surface, c’est devenu une zone hostile, un champ de bataille. Les lignes sont plus hautes, les espaces plus courts, le pressing plus constant. On n’a même plus une seconde pour lever la tête. Alors créer ? Composer ? Orchestrer ? Bonne chance.

Ce n’est pas un hasard si des joueurs comme Pirlo ou Kroos ont reculé d’un cran dans leur carrière. Pas parce qu’ils ne savaient plus quoi faire du ballon, mais parce que là où ils aimaient le toucher, il n’y avait plus de place pour eux.

Et dans ce contexte, voir Mbappé endosser le 10 du Real, c’est presque troublant. Pas illogique sur le plan statutaire, mais inconfortable sur le plan symbolique. Lui, le joueur de profondeur par excellence, le puncheur des grands espaces, se retrouve à jouer le chef d’orchestre. Et on l’a vu, notamment à l’Euro, tenter de redescendre, de distribuer, de ralentir parfois. Mais ce n’est pas sa nature. Il peut tout faire, oui, mais pas tout bien. Et en voulant trop faire, il a parfois perdu ce qui faisait sa force.

Et puis il y a Yamal. 18 ans à peine, et déjà le 10 du Barça. Le maillot de Messi, de Ronaldinho, de Rivaldo. De ceux qui transformaient le ballon en or. Yamal a du talent, aucun doute. Il a quelque chose dans les pieds et dans la tête. Mais est-il ce genre de joueur ? Est-il un meneur, un guide, un organisateur ? Non. Pas encore en tout cas. Il est un ailier, un feu follet, un électron libre. Et ça n’a rien de péjoratif. Mais c’est autre chose. Le club, lui, voit une image. Une histoire à raconter. Un marketing à relancer.

C’est logique. Mais est-ce juste ?

Le 10, dans le foot d’aujourd’hui, ressemble à un vestige. Comme un vieux totem qu’on promène sans trop savoir quoi en faire. Il ne désigne plus un rôle. Il ne définit plus un style. C’est devenu un symbole flou. Un chiffre qui vend plus qu’il ne guide.

Est-ce grave ? Pas forcément. Le football évolue, il s’adapte, il se transforme. Et de cette transformation naissent aussi de nouveaux types de créateurs. Kevin De Bruyne, Jude Bellingham, Martin Ødegaard… Ils ne sont pas des 10 « à l’ancienne », mais ils font jouer. Ils rendent leurs équipes meilleures. Ils incarnent un football où le talent doit aussi défendre, où le génie se cache dans l’intensité autant que dans l’inspiration.

Alors non, peut-être que le 10 n’est pas mort. Mais il a changé de visage. Ce n’est plus un poète en crampons, c’est un stratège en mouvement. Il court plus, il touche moins, il improvise autrement. Et il devra continuer de se réinventer, parce que le jeu ne l’attend pas.

Mais pour ceux qui ont grandi avec Zidane, Riquelme ou Totti, difficile de ne pas ressentir un petit pincement. Le sentiment qu’on a perdu un peu de cette lenteur précieuse. De cette beauté fragile. De cette liberté créative qui faisait qu’un 10 pouvait, d’un simple contrôle orienté, faire basculer un match.

Peut-être qu’un jour, un gamin remettra le 10 au centre du jeu. Pas parce qu’un club ou une marque lui a demandé. Mais parce que son football l’exige. En attendant, on regarde Mbappé et Yamal. Et on espère qu’ils feront vivre le 10 à leur manière. Pas comme leurs aînés. Mais avec leur propre feu.

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Vendredi 1 Aout 2025
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