Le 10 octobre de "La méthode" : écouter, expliquer, exécuter


Rédigé par le Samedi 11 Octobre 2025



Le cérémonial est connu, mais l’instant a son grain de vérité : ouvrir la session parlementaire n’est pas faire de l'ostentation. C’est donner du sens au temps politique.

Le discours royal du 10 octobre n’a pas joué la carte de l’effet d’annonce ; il a préféré la rigueur des institutions et la clarté d’un cap. D’où ce double mouvement qui traverse tout le propos : humanisme d’écoute d’un côté, méthode d’exécution de l’autre. Un pourquoi — la justice sociale vécue et la cohésion nationale — et un comment — la culture du résultat, la traçabilité, l’éthique de l’action. 

Dans un pays souvent sommé d’annoncer avant d’expliquer, le choix est assumé : respecter la fonction, le texte et le cadre. Le discours d’ouverture n’est pas une conférence de presse ; il ne dissout pas, ne remanie pas, ne promet pas ce que la Constitution n’autorise pas à ce moment précis. C’est une posture d’institution, pas de réaction. On peut y voir une sobriété ; on doit y lire un rappel : le changement passe par la forme autant que par le fond. 

Le discours reprend les préoccupations qui ont animé la rue et les réseaux : ressentir le développement au quotidien, pas seulement l’apercevoir dans des rapports. Communiquer, expliquer, écouter : l’injonction ne vise pas uniquement le gouvernement, elle interpelle toute la chaîne : élus, partis, médias, associations, société civile. Traduction opérationnelle : sortir de la verticalité et installer une pédagogie du changement en continu. La justice sociale et la réduction des inégalités territoriales ne sont pas des mantras ; elles sont un horizon à éprouver dans les faits. 

Le cœur battant est là : éducation, santé, emploi. Non pas listés pour cocher des cases, mais recontextualisés comme les trois piliers d’une vie digne et d’une croissance qui profite à tous. L’encouragement des initiatives locales, l’insertion des jeunes, la mise à niveau des services publics, la lutte contre les lenteurs et les fuites de ressources : c’est le noyau dur, le terrain où se joue la confiance. On ne demande pas au pays d’applaudir ; on lui propose de vérifier. 

Ainsi, après une lecture attentive, il me semble que le discours fait référence à au moins trois repères avec leurs ordonnances dans un cadre de méthode adressés aussi bien aux institutions qu'aux générations X, Y et Z

Le premier repère est institutionnel : redonner au Parlement sa valeur par l’utilité visible. Moins compter les textes votés que mesurer les effets produits. Passer d’une logique de stock législatif à une logique d’évaluation des politiques publiques. Cette exigence vaut autant pour la fabrique de la loi que pour sa mise en œuvre, et s’étend à la diplomatie parlementaire qui doit épauler la diplomatie d’État, notamment sur l’intégrité territoriale. La représentation nationale est sommée d’être performative, pas performative au sens théâtral, mais au sens de l’impact. 

Deuxième repère : l’ossature territoriale d’un Maroc en ascension. Le pays n’avance durablement qu’en avançant ensemble. C’est la fin du décor territorial ; place à la politique du territoire. La feuille de route est concrète et hiérarchisée : une politique dédiée aux montagnes et aux oasis pour corriger des inégalités historiques, la protection et la valorisation des côtes comme capital maritime à gérer en bien commun, l’essor des centres ruraux émergents pour absorber l’urbanisation, rapprocher les services et prévenir la fracture ville–arrière-pays. Territorialiser l’ambition, c’est rendre l’égalité audible à l’échelle du village autant que de la métropole. 

Troisième repère, le plus décisif : l’exécution. Les diagnostics existent, les feuilles de route abondent ; c’est le passage au réel qui trébuche. D’où un triptyque opérationnel : gestion par la donnée, numérisation des cycles de projet, tolérance zéro pour le gaspillage. La reddition des comptes n’est pas un rituel punitif ; c’est un mécanisme qui rassure le citoyen et sécurise l’investissement. Autrement dit, la performance cesse d’être un rapport annuel ; elle devient un réflexe collectif, partagé par les administrations, les collectivités et les opérateurs. 

Des repères, mais dans l'esprit du discours royal, rien n'est durable sans garde-fous. Probité, primat de l’intérêt général, responsabilité devant la Nation : ce n’est pas de la morale plaquée, c’est l’infrastructure invisible de l’État moderne. L’éthique protège les politiques publiques de deux périls jumeaux : la tentation du cynisme (faire sans rendre de comptes) et la tentation du spectacle (dire sans faire). Avec elle, l’exécution retrouve sa légitimité sociale : le citoyen n’est pas seulement bénéficiaire, il est co-propriétaire des résultats. 

Le fil intergénérationnel est explicite dans le discours : une même demande mais des leviers différenciés .La génération X attend la sécurité des parcours de vie (école, santé, emploi, mobilité), la génération Y veut la lisibilité des trajectoires (méritocratie, égalité d’accès, reconnaissance), la génération Z exige l’instantanéité des preuves (données ouvertes, services proches, feedbacks continus). Le discours répond aux trois en combinant écoute (dialogue, transparence), explication (pédagogie, accountability) et exécution (livrables, délais, indicateurs publiés). À chaque génération, sa preuve ; à l’État, la cohérence d’ensemble. 

Le discours élargit le cercle des devoirs. L’action publique n’est pas du seul ressort du gouvernement. Les partis doivent clarifier, pas contourner. Les élus, rapprocher, pas éloigner. Les médias, informer et expliquer, pas seulement commenter. La société civile, co-produire, pas substituer. C’est le sens de l’« État social » : non un label, mais une pratique distribuée de la responsabilité. La communication cesse d’être verticale pour devenir coproduction de sens : expliquer ce qu’on fait, comment on le fait, et ce que cela change, ici et maintenant. 

SM, le Roi insiste sur la méthode et la méthode appelle des outils simples et implacables :

Tableaux de bord publics : des indicateurs par territoire, publiés, vérifiables, comparables d’une année à l’autre.
Cycles numériques de projet : de l’étude au chantier livré, chaque étape tracée, chaque retard expliqué, chaque arbitrage consigné.
Dépenses utiles : prioriser ce qui change la vie (école, soins, transport, eau) ; assécher ce qui ne produit pas d’impact ; documenter ce qui fonctionne.
Diplomatie d’influence cohérente : un pays audible à l’extérieur quand il est lisible à l’intérieur.
Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est redoutablement politique : on gagne la confiance en gagnant la bataille des preuves. 

L’axe de crédibilité est limpide dans le discours : clarté des buts, stabilité des moyens, exigence de résultats. La clarté se lit dans l’ordonnancement des priorités ; la stabilité, dans la continuité des réformes engagées ; l’exigence, dans le passage du faire au faire preuve. Le pacte proposé est simple à formuler, difficile à trahir : la vision donne le sens, l’éthique trace la limite, l’exécution produit la preuve. S’il est tenu, le prochain bilan ne sera pas une reddition, mais une démonstration. 

Alors qu'est qui change ou pourrait changer après ce 10 octobre 2025

La temporalité : on sort du temps court des annonces pour entrer dans le temps long de l’évaluation.
Le centre de gravité : moins de texte, plus de territoire ; moins d’intentions, plus d’indicateurs.
La grammaire de la confiance : informer n’est plus narrer ; c’est documenter. Expliquer n’est plus justifier ; c’est rendre des comptes. Écouter n’est plus temporiser ; c’est ajuster.

Ce déplacement n’apaise pas les impatiences ; il leur offre un terrain. Les générations X, Y, Z ne demandent pas des miracles, mais une mécanique lisible : qui fait quoi, quand, avec quel budget, pour quel résultat mesuré. C’est moins lyrique que galvanisant ; c’est gouvernable. 

​La preuve par la méthode

Il y a, dans ce discours, une ligne de conduite qui réconcilie l’exigence démocratique et la culture de l’État : écouter sans se dissoudre, expliquer sans se défausser, exécuter sans s’excuser. Le Maroc sait raconter son histoire ; l’enjeu est désormais d’en administrer la preuve, territoire par territoire, programme par programme, indicateur par indicateur. La politique retrouve alors ce qu’elle cherche depuis longtemps : la confiance, non comme affect, mais comme résultat. Et si l’on devait résumer l’esprit et la méthode en une formule à garder en tête : moins de décibels, plus de décimales.

Par Adnane Benchakroun





Samedi 11 Octobre 2025
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