Le Haut-Atlas et les durs défis de la vie quotidienne après le tremblement de terre


Dans la nuit du vendredi 8 septembre à 23h11, un terrible tremblement de terre d'une magnitude de 7,2 sur l'échelle de Richter a frappé la province d'El Haouz et a été ressenti dans tout le Maroc, le Portugal et l'ouest de l'Algérie. Malheureusement, cette catastrophe naturelle de grande ampleur a fait de nombreux morts, blessés et sans-abri dans les provinces du Haut-Atlas. Selon les historiens, le Maroc n'avait pas connu une telle catastrophe depuis un siècle.



Par Dr Mohamed Chtatou

L'épicentre du séisme a été enregistré à quelque 71 km de Marrakech, à Ighil, une commune rurale située au cœur du Haut Atlas, une chaîne de montagnes qui traverse les régions centrales du Maroc. Ce sont les villages environnants qui ont été les plus durement touchés. Le tremblement de terre a frappé la région de Marrakech-Safi, qui comprend Marrakech, ainsi que les villes côtières de Safi et d'Essaouira. Cependant, les provinces les plus touchées sont El Haouz - où se trouve l'épicentre - et Chichaoua, dans la région de Marrakech-Safi, ainsi que Taroudant au sud, dans la région de Souss-Massa, Ouarzazate à l'est, dans la région de Drâa-Tafilalet, et Azilal, au nord-est de l'épicentre, dans la région de Béni Mellal-Khénifra.

Le royaume définit ces provinces comme étant majoritairement rurales. Ce sont aussi des régions historiquement amazighes/berbérophones, où l'on parle des langues amazighes telles que le Tamazight dans le Moyen Atlas et le Tachelhit dans le Sous. Les données de l'observatoire européen Copernicus montrent l'étendue des dégâts dans huit communes du pays, qui ont subi des dommages importants à la suite du tremblement de terre. Au 12 septembre, le Copernicus Emergency Management Service (CEMS) dénombrait 1 416 maisons endommagées dans les huit régions étudiées.

Talat N'Yaaqoub et Amizmiz comptent le plus grand nombre de maisons complètement détruites par le tremblement de terre, avec respectivement 208 et 121. Le séisme d'El Haouz, qui a fait 2 946 morts et 5 674 blessés, selon le dernier bilan officiel, la riposte est également organisée par des spécialistes et des scientifiques. L'Institut National de Géophysique-Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique (ING-CNRST) a déployé un réseau sismique temporaire autour de la zone épicentrale. Ce réseau, mis en place dans le cadre de l'activation du protocole d'intervention post-sismique, permet de renforcer l'enregistrement de toutes les répliques et accélérations générées dans cette zone. La vie dans le Haut-Atlas est rude Le Haut-Atlas est l'une des trois chaînes de l'Atlas marocain, orientée sud-ouest/nord-est. C'est le massif le plus élevé d'Afrique du Nord.


Il forme une immense barrière géographique, longue de 750 kilomètres, entre le Maroc océanique et méditerranéen au nord-ouest, et le Maroc saharien au sud-est. Le Haut-Atlas lui-même est composé de trois parties. Le Haut-Atlas occidental est le massif le plus ancien et le plus élevé, avec le Djebel Toubkal. Un parc naturel y a été créé en 1942, en reconnaissance de la richesse de sa biodiversité naturelle. Le Haut-Atlas central révèle des paysages contrastés d'une grande beauté.

Les hauts plateaux sont entaillés par de profonds canyons, rappelant le Colorado américain. Le Haut- Atlas oriental, occupé par de vastes hauts plateaux, a suscité un intérêt paléontologique international après la découverte d'ossements de dinosaures, à une époque où l'Afrique et l'Amérique ne formaient qu'un seul continent. Les montagnes de l'Atlas constituent également une barrière climatique. Sur le versant nord, c'est un climat océanique subtropical qui prévaut, exposé aux perturbations de l'Atlantique, avec des pluies espacées mais torrentielles. La moyenne annuelle des précipitations est de 500 mm.

La neige est tenace au-dessus de 2 500 mètres de novembre à avril, fournissant des réserves d'eau pour tout le pays, et permettant l'existence de forêts de pins, de chênes verts et de cèdres. Sur les versants sud, le climat est semi-désertique, avec de fortes variations de température. La végétation, lorsqu'elle existe, est constituée de steppes hautes. Dans l'Atlas marocain, l'architecture institutionnelle est très complexe, voire dédoublée.

Elle se caractérise par la confrontation d'un système institutionnel "moderne", impulsé de l'extérieur, et d'un système communautaire relativement autonome, de type amazigh/berbère. La juxtaposition de plusieurs systèmes de normes (droit positif, droit coutumier) et une certaine confusion dans les responsabilités des institutions locales caractérisent la plupart des montagnes marocaines mais surtout le Haut-Atlas qui est encore de nature et de philosophie tribale.

La transhumance et le pastoralisme sont le mode de survie Le pastoralisme est concurrencé par d'autres activités rémunératrices plus prestigieuses et plus lucratives. Il est fragilisé par la diffusion de modes de vie dits modernes, induits par le développement du tourisme, l'action publique relayée par les associations de développement des douars (hameaux berbères), en termes d'électrification, d'adduction d'eau potable, d'ouverture de pistes et de routes.

La population développe de nouvelles aspirations tout à fait légitimes et sa part de droits au développement humain. Cependant, une population non négligeable dépend encore de l'élevage transhumant, soit par choix, soit par manque d'alternatives. Cette population, qui a subi de plein fouet les effets de la modernité, reste confrontée aux contraintes du climat et du marché, et est obligée de s'adapter. Mais pour combien de temps encore ? Il en va de la sécurité alimentaire et humaine. A l'heure actuelle, cette population est encore dépositaire d'un patrimoine, lié à la transhumance.

L'expérience d'autres pays en témoigne. Chaque printemps, les nomades de la région du Saghro, au sud-est du Maroc, quittent leurs pâturages avec leurs troupeaux de chèvres, de moutons et de chameaux, accompagnés de toute leur famille. La caravane traverse la plaine du Dadès et gravit le versant sud de l'Atlas à plus de 3 000 mètres d'altitude. Elle atteint le lac Izourar et ses hauts plateaux. Certains s'y installent, les autres continuent à remonter le versant nord de l'Atlas. La transhumance de retour a lieu en septembre et suit le même itinéraire vers le sud que la transhumance de printemps.

Le pastoralisme dans le Haut Atlas reste fondamentalement marqué par la mobilité des troupeaux et des hommes d'une part, et par la persistance de vastes territoires à usage collectif d'autre part. L'évolution du statut foncier ébranle les fondements du système collectif et favorise l'exploitation individuelle partout où cela est possible. Dans certaines régions isolées, comme le Haut-Atlas marocain, les institutions traditionnelles sont malheureusement en voie de disparition. Il existe deux modèles d'organisation pastorale. Le premier est un mélange de gestion coutumière et de volonté politique de coucher les règles sur le papier. Le règlement, consigné dans une charte, comprend un certain nombre de règles directement inspirées des pratiques locales.

Le second modèle d'organisation s'appuie sur les institutions coutumières, plus discrètes et donc moins connues des autorités. Ces institutions sont simples (ex : Agdâl) mais fragiles, car elles reposent sur un système peu égalitaire. Dans les conditions difficiles de la vie en montagne, les Amazighs/Berbères ont développé une forme de démocratie locale basée sur l'élection annuelle du conseil local appelé aith rab'în qui s'occupe de l'arbitrage des conflits locaux, des litiges fonciers, des droits d'eau et de la gestion publique locale.

Cette institution locale fonctionne en parallèle avec les institutions gouvernementales et les autorités officielles font toujours appel à elle pour obtenir de l'aide dans les situations difficiles de gestion des conflits.

Une autre institution locale amazighe/berbère utile dans les montagnes du Haut Atlas est la Twiza, qui est une forme de solidarité collective très répandue chez les Amazighs/Berbères. Cette institution non officielle a été extrêmement utile pour les opérations de recherche et de sauvetage immédiates et les premiers soins médicaux apportés aux blessés à la suite du tremblement de terre du 8 septembre, avant l'arrivée de l’aide gouvernementale.

 

Le Haut-Atlas, la périphérie oubliée

Le Maroc est un pays qui présente une grande diversité de côtes, de plaines et de plateaux, de montagnes et de déserts. Il est caractérisé par les hautes montagnes du Rif et de l'Atlas, qui constituent non seulement une barrière physique entre le Sahara et la Méditerranée, mais aussi un important facteur de diversité climatique, écologique, économique, culturelle et humaine.


Dans ce contexte, et malgré le potentiel et la richesse de ces zones (70% des ressources en eau, 62% des forêts marocaines et des points chauds de la biodiversité avec environ 80% des espèces endémiques...), leur contribution directe au développement économique du pays reste très limitée, ne représentant pas plus de 5% du PIB et 10% de la consommation nationale.


Le milieu rural est historiquement plus pauvre que la moyenne au Maroc par rapport aux centres urbains. Les revenus sont faibles, la productivité est faible, il y a beaucoup d'analphabétisme et d'abandons scolaires parmi les habitants de ce territoire accidenté. Que ce soit dans les zones touchées par le tremblement de terre ou dans d'autres zones rurales.

Cette différence entre le milieu urbain et le milieu rural remonte à plusieurs siècles, lorsque l'administration française, à l'époque du protectorat (1912-1956), a divisé le pays en deux : le Maroc "utile", urbain et économiquement prospère, et le Maroc "inutile", zone délaissée par les colons français. Cette zone, essentiellement rurale, s'étend en diagonale de la ville d'Oujda au nord-est jusqu'à Agadir sur la côte atlantique au sud-ouest.

Cet héritage de négligence, de mépris et de marginalisation de l'arrière-pays amazigh/berbère provient notamment de l'administration coloniale française, qui a concentré ses efforts sur la côte, alors que les zones rurales ont montré une résistance particulière à son pouvoir.

Bien que les activités touristiques et surtout l'éco-tourisme s'y soient développés ces dernières années, accueillant les randonneurs en été et les skieurs en hiver, ces régions sont loin d'être des centres économiques comparables à la célèbre "ville ocre de Marrakech". Les habitants travaillent dans l'agriculture traditionnelle, les maigres activités économiques locales, ou se rendent dans les centres urbains pour gagner leur pain quotidien.

Dans un passé récent, ils avaient l'habitude d'émigrer en Europe, principalement en France et en Belgique, pour travailler dans des usines ou des mines, mais depuis 1990, cette possibilité a été supprimée par les autorités européennes, de sorte que les jeunes peu ou pas éduqués sont confrontés à un avenir incertain et luttent pour nourrir leur famille, ce qui a, hélas, poussé certains d'entre eux dans les bras d'islamistes violents.


Dans cette région, même depuis l'indépendance, les niveaux de revenus n'ont pas été rattrapés. Dans la province d'El Haouz, en particulier, non seulement les revenus sont faibles, mais l'accès à l'éducation et aux soins de santé est restreint, en dépit des efforts de l’état marocain. Les logements sont encore de conception traditionnelle et ne sont donc pas toujours aussi solides que les structures urbaines plus modernes.

La Constitution de 2011 a permis aux citoyens d'accéder à une nouvelle génération de droits de l'homme. Cette réforme constitutionnelle a également jeté les bases d'une régionalisation avancée, fer de lance du développement territorial. Compte tenu des inégalités sociales et spatiales, notamment entre les zones urbaines et rurales, en particulier dans les zones de montagne, les pouvoirs publics, régionaux et locaux, et les autres acteurs concernés devront redoubler d'efforts pour garantir l'accès de tous aux droits fondamentaux de nouvelle génération stipulés dans l'article 31 de la Constitution du Royaume.

Les populations rurales amazighes s'adapteront-elles à l'environnement post-séisme ?

La vie des populations rurales amazighes a été bouleversée par le tremblement de terre : leurs maisons ont été détruites, leurs proches ont été tués, leurs moyens de subsistance ont été entravés et leurs activités quotidiennes ont été interrompues. Les éléments de leur patrimoine culturel sont toujours présents. 

Leur trinité culturelle amazighe est un test au temps malgré les multiples difficultés et obstacles. Leur langue, tamazight, est toujours vivante et dynamique, leur terre sacrée, tamurt, existe toujours en dépit de sa fureur soudaine ces derniers temps et leur communauté amazighe/berbère, très soudée, tamunt, leur permet de continuer à vivre malgré les difficultés de la vie actuelle.

Cette culture millénaire des ‘’3 t’’ est un symbole fort de résilience Ainsi, ces personnes comptent beaucoup sur leur culture de solidarité twiza pour reconstruire leur vie et faire face aux défis de leur avenir incertain. Toutefois, il faut repenser sérieusement le modèle étatique du régionalisme avancé pour faire face dans l’avenir aux aléas du temps et aux catastrophes. 


Certes, le Maroc officiel a passé le test de cette catastrophe naturelle haut la main sans, intervention extérieure, et le peuple a fait montre d’un grand sens de solidarité agissante, mais n’empêche il faut planifier davantage pour des futurs sombres : catastrophes naturelles, épidémies, guerres, etc. Ne dit-on pas qu’un homme averti en vaut deux.

Rédigé par Dr Mohamed Chtatou


Vendredi 29 Septembre 2023

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