Le Maroc et la dédollarisation : une opportunité


Le Maroc est à la croisée des flux euro-méditerranéens, africains et atlantico-golfiques - un pays pivot. Son évolution dans une perspective graduelle de dédollarisation offre une opportunité et constitue en même temps un défi stratégique. La part du dollar est en baisse dans les réserves mondiales. C'est un fait : elle a chuté de 70 % voici deux décennies à 58 % environ en 2024. Un système concurrent, parallèle, se met en place avec le bloc eurasien (Chine, Russie et le projet BRICS. Quels effets de cette dédollarisation pour le Maroc ? Mustapha Sehimi explique.



Par Mustapha SEHIMI

L'on peut arguer pour commencer que la domination du dollar demeure avec quelque 88 % de toutes les transactions de change, 60 % de la facturation des échanges commerciaux et des réserves mondiales… Certaines monnaies alternatives ont une faible convertibilité (yuan chinois, rouble russe), couplée avec un manque de liquidité et de confiance.

Impacts
Cela dit, quelles conséquences possibles pour le Maroc ? Des avantages potentiels sont à relever dont la diversification des partenaires monétaires. Ainsi la réduction de l'hégémonie du dollar peut permettre d'avoir une position de négociation plus facile et sans doute plus avantageuse en euros, yuans, dirham des Émirats arabes unis ou encore d'autres devises régionales. Il y aurait également moins de vulnérabilité aux fluctuations du dollar ; serait aussi assuré davantage de protection des importations de pétrole, de céréales ou d'équipements dans les contrats libellés dans d'autres monnaies. Enfin ce dernier paramètre : celui d'opportunités de nouvelles alliances, avec des contrats facilités par exemple avec la Chine ou les pays du Golfe par l'abandon du dollar. Pour autant, certains risques économiques ne sont pas à écarter : tant s'en faut. Référence est faite à une hausse de la complexité financière déclinée autour de la multiplication des devises et de la gestion des réserves, des paiements internationaux ainsi que des politiques monétaires ; un risque aussi de change plus élevé lié au basculement vers d'autres monnaies moins stables ou moins liquides avec le problème de la volatilité des taux de change ; enfin, la réduction de la liquidité, le dollar restant la devise la plus liquide et la plus universellement acceptée.

Par ailleurs, des impacts géopolitiques ne sont pas à minorer. Le Maroc peut sans doute diversifier des échanges monétaires dans le cadre de sa diplomatie de multialignement (Occident, Golfe, Chine, Afrique). Il est très inséré dans les chaînes de valeur avec l'UE, les États-Unis et le Golfe. Mais il pourrait aussi, dans un schéma de dédollarisation, bénéficier d'une capacité d'arbitrage entre les zones monétaires. Dans le continent en particulier, la politique du Royaume pourrait gagner en flexibilité si les paiements se font en dirham, franc CFA, Yuan chinois ou rand sud-africain. Il est le deuxième investisseur en Afrique et le premier en Afrique occidentale, via les banques, les télécoms, les phosphates, etc.

A cet effet, se posera le problème de la politique de change de Rabat qui devra mieux adopter une éventuelle position à cet égard. Aujourd'hui, elle est semi-flexible. La bande de fluctuation était de 0,3 % avant 2018 ; elle a ensuite été relevée à 2,5 % cette année-là pour être rehaussée en 2025 à 5 %. Le panier des réserves de changes servant à la cotation du dirham est pratiquement de 60 % pour l'euro et de 40 % pour le dollar. Si l'on se penche sur la part des différentes devises dans ces mêmes réserves, les estimations- c'est officiellement confidentiel comme dans toutes les banques centrales- donnent 58 % pour le dollar, 20% pour 1'euro, 6% pour le yen, 2% pour le yuan, 5% pour les GBP (livre sterling) et 11% pour d'autres (franc suisse dollar canadien, Wonsud-coréen, couronnes nordiques, ...).

Pays pivot
Le Maroc est à la croisée des flux euro-méditerranéens, africains et atlantico-golfiques - un pays pivot. Son évolution dans une perspective graduelle de dédollarisation offre une opportunité et constitue en même temps un défi stratégique. Cela permettrait une utilisation croissante de la monnaie nationale dans les échanges bilatéraux avec des partenaires africains et euro-méditerranéens ; un accès élargi aussi au yuan, au dinar du Golfe (Bahreïn, Koweït) et d'autres (Irak, Jordanie, Libye, Tunisie, Algérie) et au ryal saoudien.

Son rôle régional serait renforcé en se positionnant comme plateforme de compensation monétaire entre les zones dollar, euro et BRICS. Sans oublier la promotion du dirham dans la ZLECAF (zone de libre-échange continentale africaine) et de système panafricain PAPPSS (Pan-African Payment and Settlement System) qui associe 8 banques centrales, 80 banques commerciales et plusieurs prestataires. Celle-ci,  lancée en janvier 2022 en Afrique de l'Ouest, est le socle monétaire opérationnel de la ZLECAF.

Des risques externes seraient ainsi réduits (crise de la dette américaine, hausse des taux US). Mais avec le risque de volatilité accrue du change et des goulots d'interopérabilité liés à la multiplication des plateformes de règlement alternatives (SWIFT, CIPS en Chine, SPFS en Russie, PAPPSS (Afrique de l'Ouest), etc.) ainsi qu'à la fragmentation des moyens de paiement. C'est là une perspective d'une diplomatie monétaire active, renforçant la convertibilité contrôlée du dirham – une consolidation du leadership régional du Maroc dans la finance africaine.



Lundi 30 Juin 2025

Dans la même rubrique :