Le Roi réfléchi et le président bavard : Un président en route libre


Paris, habitué à des passe-(de) droits quand il s’agit des marchés, essaye, en réduisant la crise à l’exigence marocaine de la reconnaissance par la France de la marocanité sur son Sahara, de passer pour la victime de l’intransigeance d’un ‘’partenaire ingrat’’. Attaché aux partenaires traditionnels, mais se réservant le droit légitime de se tourner vers d’autres horizons, l’attitude royale déplait à des intérêts vautrés dans le confort de l’exclusivité et du monopole. Retour sur les raisons profondes de ‘’dérapages’’ qui tournent à la rupture et sur les comportements d’un président français en roue libre ,et sur ce que dans le tempérament et la méthodologie différencie le Souverain marocain du Président Emmanuel Macron.



Par Naim Kamal

Près d’un mois après le séisme qui a frappé le 8 septembre dernier des provinces dans l’Atlas marocain, l’ébullition post tremblement de terre qui a touché les milieux politico-médiatiques français, semble tomber. Pour autant les raisons derrière ce déferlement haineux des réactions, restent dans le clair-obscur de la politique marocaine de la France.  

Souvent, les commentateurs français se complaisent à réduire la crise qui s’est durablement installée entre Rabat et Paris à une rivalité maroco-algérienne sur le ‘’cœur’’ de la France. Ce n’est qu’en infime partie vrai. Certes, la position de Paris sur le Sahara marocain compte beaucoup pour Rabat, ne serait-ce que parce que la France, et avec elle les puissances coloniales de la conférence de Berlin du 19ème siècle (1884-85), sont responsables au premier chef du dépeçage territorial de ‘’l’empire fortuné’’.

Mais la focalisation que font les responsables français et leurs médias dans leur sillage sur la position marocaine exigeant d’eux une attitude plus avancée sur la marocanité du Sahara, est juste une tentative de détournement de l’attention des autres motivations, aussi profondes qu’inavouables, du déchainement contre les Maroc et plus particulièrement son Roi. 

Une crise récurrente

Derrière les outrances de la récente agitation des milieux politico-médiatiques français dans la triste foulée du séisme, il y a sans doute l’orgueil blessé d’une France dont le soutien n’a pas été jugé utile.

Et par la même occasion, une opportunité de revoir l’affaire Pegasus, l’immigration et bien d’autres menus fretins du même genre défiler dans la revue des griefs français contre le Maroc, sans qu’à aucun moment les analystes hexagonaux aient l’audace ou l’élégance d’aborder le vrai problème de Paris avec le Roi du Maroc, bien plus qu’avec le Royaume où la France dispose pourtant d’une véritable présence, à la fois forte et confortable.

Les relations maroco-françaises n’en sont pas à leur première crise. Le règne du père de Mohammed VI, le Roi Hassan II, a été jalonné de deux brouilles majeures.

L’une avec le général de Gaulle, dans la suite de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka en 1965, l’autre à la suite de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, qui a culminé du sommet de la 6e conférence des chefs d’État d’Afrique et de France de la Baule en 1990, quand le Président François Mitterrand a voulu imposer à ses pairs de l’Afrique constitutionnellement ou partiellement francophone sa vision de ce que devraient être leurs institutions. Cette partie du continent en paie encore à ce jour la facture. 

L’actuelle tension dans les relations entre Rabat et Paris, après celle de 2014 (1), s’inscrit quelque part dans le même registre que celle qui a résulté du sommet de la Baule. Toutes deux portent sur une question de souveraineté. A la Baule, Hassan II avait farouchement rejeté le diktat mitterrandien sur le rythme des réformes des régimes partenaires dans ce que l’on appelle communément la Franceafrique.

Son successeur sur le trône, affranchi du tropisme français, a donné à cet exercice de la souveraineté une dimension autrement plus émancipatrice pour le Maroc et pour l’Afrique.  

L‘approche royales des relations internationales

Les tournées répétées de Mohammed VI en Afrique ont effectivement imprimé un ton nouveau à son rapport avec le continent et esquissé la représentation qu’il a du développement des pays africains et des relations à établir (rétablir dans le sens médical) avec les ‘’partenaires historiques’’. Il attendra toutefois 2014 et le Forum économique maroco-ivoirien à Abidjan pour en décliner publiquement les contours. ‘

‘’Les richesses de notre Continent [doivent bénéficier], en premier lieu, soutient le Souverain son discours devant le Forum, aux peuples africains. Cela suppose que la coopération Sud-Sud soit au cœur de leurs partenariats’’. Expliquant ‘’pourquoi l'Afrique doit faire confiance à l'Afrique’’, il précise que celle-ci ‘’doit se prendre en charge, [car] ce n'est plus un Continent colonisé.

Elle a moins besoin d'assistance, et requiert davantage de partenariats mutuellement bénéfiques’’. Et ajoute : ‘’Si le siècle dernier a été celui de l'indépendance des Etats africains, le XXIe siècle devrait être celui de la victoire des peuples contre les affres du sous-développement, de la pauvreté et de l'exclusion. . Il n'y a plus de terrain acquis, pas plus qu'il n'y a de chasse gardée.»

Trois discours posent l’ossature de l’appréhension qu’a Mohammed VI des relations interafricaines et, en conséquence, internationales. C’est, en effet, le même crédo que l’on retrouvera, deux ans plus tard, dans son discours devant le sommet Maroc-Pays du Golfe à Riyad en 2016. Il y dénonce le ‘’dessein de faire main basse sur les ressources des autres pays arabes et de briser les expériences réussies d’autres Etats, comme le Maroc’’.

En 2017, dans le discours marquant le retour du Maroc à l’Union Africaine, il plaide pour que ‘’notre terre, après avoir subi des décennies de pillages, entre dans une ère de prospérité’’ et invite, par la même occasion, à ce que ‘’l’Afrique valide elle-même ses processus électoraux’’, sans que les capitales occidentales aient à s’arroger le droit usurpé d’évaluer et de noter les Etats souverains d’Afrique.

Un discours comme une subversion

Dans les capitales européennes, et plus particulièrement à Paris où ce discours qui rompt avec la langue de bois et casse les code habituels, rappelant davantage Mohammed V, irrite et inquiète. D’autant plus qu’il ne se paye pas de mots. Les principes qu’il véhicule sont suivis d’actes concrets et d’un investissement effectif aux résultats probants.

Progressivement, on commence à voir en Rabat plus un concurrent qu’un allié et peu importe si le souverainisme ainsi prôné ne puise pas ses ressorts dans le chauvinisme et peu importe encore si le Maroc n’a pas la puissance de feu économique de la France et de l’Europe en général. L’esprit Win-Win de l’avancée marocaine en Afrique subsaharienne crée le décalage avec la voracité de la coopération française et prend rapidement l’allure d’une semence qui risque de donner des idées.  

Les assurances royales quant à la préservation des ‘’partenariats historiques’’, développés dans le discours de Riyad, ne suffisent donc pas à apaiser les frayeurs de certaines officines occidentales, et, encore une fois, particulièrement françaises, accessoirement allemandes où les efforts de développement du Maroc sont perçus d’un très mauvais œil.

Dans les ‘’fiches des évaluateurs autoproclamés’’, habitués à des passe-(de) droits quand il s’agit des marchés, la Monarchie marocaine en vient à figurer dans le registre de la subversion. 

Mais si Madrid et Berlin finissent par savoir raison garder, il n’en va pas de même pour Paris qui s’engage dans une guerre sourde contre le Maroc. Harcèlements tactiques et offensives sournoises se succèdent pour, selon l’expression d’un média local, ‘’remettre le Maroc à sa place’’.

Et ce serait une erreur de croire que les opérations d’intimidation ont commencé avec la présidence d’Emmanuel Macron. Si ce dernier est effectivement un facteur aggravant, les débuts des hostilités contre le Maroc et sa royauté, il faut plutôt les dater de l’arrivée de François Hollande à la tête de la France, aidé en cela par les atavismes de la gauche française, la plus colonialiste et néocolonialiste des gauches européennes.

Dans les faits, dès son accession au trône en 1999, fidèles à leurs habitudes, la France officielle et ses relais, en dépit d’un Jacques Chirac à l’Elysée, présumé ami du Maroc et de sa royauté, ne peuvent s’empêcher d’essayer d’affaiblir, pour le réduire, un roi qu’ils cernent mal et échappe à leur grille de compréhension, mais dont certainement ils soupçonnent déjà la culture souverainiste.

Un ouvrage, Le dernier roi, commis par un obscur journaliste dont il ne reste pour la postérité que le souvenir vague d’un prétentieux hargneux, témoigne des menées françaises de ces premières années agitées du règne de Mohammed VI. 

 

Sarkozy ou l’embellie provisoire

Néanmoins, les avancées politiques et sociales opérées par Mohammed VI, parmi lesquelles l'instance Équité et Réconciliation et le code de la famille sont les réalisations les plus emblématiques, les progrès économiques symbolisés entre autres par le port de Tanger Med, l’adhésion populaire que suscite Mohammed VI, sa capacité à saisir le sens de l’histoire, forcent les milieux les plus hostiles en France à concéder l’exception marocaine.

Naturellement, le rééquilibrage des relations économiques en faveur de l’Espagne et l’ouverture de Rabat à des partenariats stratégiques avec Moscou et Pékin continuent de susciter bien plus que la méfiance de Paris. Cependant, le bilan remarquablement positif des premières années du règne de Mohammed VI réussit à tempérer les ardeurs belliqueuses de ses adversaires.

L’élection en 2007 de Nicolas Sarkozy, plus cordial, à la présidence française, fera le reste pour installer les relations maroco-françaises dans une nouvelle embellie. Comme toutes les autres, provisoire.

Le faux printemps signe la déception des officines

Avec François Hollande, président improbable, les rapports vont vite se dégrader de nouveau. Le printemps arabe vendu comme un élan démocratique selon une illusion d’optique savamment concocté - de l’aveu même de l’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, dans les laboratoires américains - crée l’espoir d’en finir avec les régimes arabes qui gênent et/ou déplaisent.  

Au Maroc, ce faux printemps ne prend pas. Au grand désespoir des contempteurs de la monarchie marocaine. Réactif, le Roi Mohammed VI réussit rapidement à maitriser un ‘’mouvement du 20 février’’ qui, d’ailleurs, ne réclamait pas plus qu’une monarchie parlementaire. Déçus, les services du renseignement et d’autres officines renouent avec leurs recettes classiques de l’affaiblissement du régime.

La crise culminera en 2014, avec l’impensable et diplomatiquement inconcevable tentative d’inculpation à Paris du patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST). La crise durera près d’un an. Elle aurait pu prendre ses aises n’eut été les attentats de 2015 survenus dans la capitale française, incitant une certaine France, plus mature et plus consciente du rôle du Maroc dans la sécurité même du royaume de leur pays, à monter au créneau.

Le tonitruant face à l’histoire  

En 2017, François Hollande quitte la rue du Faubourg-Saint-Honoré sur la pointe des pieds laissant la place à un tonitruant jeune homme que personne n’attendait. Forcément, il épate et étonne. Il séduit même malgré son exubérance qui flirte avec l’extravagance. Seulement voilà, il se vante de ne rien à voir avec l’ère coloniale de son pays et veut s’en affranchir pour n’en garder que le beurre sans passer par la caisse.

Cette méconnaissance du poids de l’histoire et de ses pesanteurs durables, l’empêche de faire la bonne analyse et ne se rend pas compte que de l’autre coté de la Méditerranée aussi les élites ont beaucoup évolué, sans rien perdre, eux, de leur mémoire.

Dans son dernier ouvrage, Le temps des Combats (*), Nicolas Sarkozy évoque la Franceafrique et note que la ‘’désaffection’’ pour l’Afrique qu’il a ‘’pu observer chez tant de jeunes politiques français, toutes familles confondues’’, proviendrait en quelque sorte ‘’ du ressentiment qu’a suscité chez eux les critiques et les campagnes contre cette Franceafrique.

C’est une façon de voir depuis Paris, mais le fait est là : ‘’le phénomène s’est traduit, ajoute l’ancien président français, par une méconnaissance profonde et générale de ce continent, et de ceux qui maintenant le dirigent’’. Il n’est pas seul à le penser.

Six ans avant ce constat d’ignorance, le Roi Mohammed VI, de l’autre coté de la Méditerranée, attirait l’attention, dans l’autre sens, sur cette réalité. S’élevant contre ce qu’il a explicitement défini comme le ‘’tropisme’’ colonial, il appelle les Africains à se ‘’tourner vers notre continent’’, et fait remarquer que ‘’L’Afrique est aujourd’hui dirigée par une nouvelle génération de leaders décomplexés’’.

A l’épreuve de la nouvelle réalité africaine

Lorsque le Souverain marocain fait ce constat dans son discours devant l’UA en janvier 2017, Emmanuel Macron, peu enclin à la loyauté, denrée déjà rare en politique, est encore tout à sa campagne électorale où il est en train de damer le pion à l’ensemble la classe politique française. Ce n’est que six mois plus tard qu’il fera son entrée à l’Elysée après un passage théâtral par le Louvre.

Enivré par son ‘’braquage du siècle’’, et par le pouvoir, pressé de jouer dans la cour des grands, Emmanuel Macron n’avait vraisemblablement pas eu le temps de regarder de plus près cette réalité africaine, ni d’en prendre toute la mesure. Le résultat de cette insouciante indifférence n’en est pas moins là. 

Cette nouvelle réalité africaine ne va pas laisser indifférents les différents services français et il faut compter sur et avec eux pour déployer les menées auxquelles ils nous ont habituées, pour en modifier les conséquences.

Ces opérations de déstabilisation des Etats qui font défection, sans doute déjà en cours (**), plongeront fort probablement les pays africains les moins immunisés au sein de cette sphère de la moribonde Franceafrique, dans davantage de problèmes. Toutefois, elles ne changeront rien à la situation.

La seule puissance du verbe

Le principal handicap d’Emmanuel Macron, à l’intérieur comme à l’international, qui remonte à la surface dès ses premiers mois à l’Elysée, est sa fâcheuse tendance à tout miser sur sa capacité à absorber les dossiers et son penchant pour les débats où le monologue prime sur l’écoute.

Il tente cette approche avec le président américain Donald Trump aussi bien qu’avec son homologue russe Vladimir Poutine. Sans grand succès. Le même procédé est appelé à la rescousse en politique intérieur quand il est confronté à l’inédit mouvement des Gilets jaunes, ou encore, actuellement, avec les forces politiques de son pays. Une façon de faire que son deuxième mandat a empirée.

Parce que l’intelligence collective de l’électorat français l’a réélu en 2022 par défaut tout en le plaçant sous tutelle par manque de majorité parlementaire à l’assemblée nationale comme au sénat, il persiste à croire que par la seule puissance du verbe, il parviendrait à rallier ses opposants. Et c’est encore à la même technique qu’il recourt en s’adressant après le séisme aux Marocains par-dessus les institutions du pays, pour leur dire combien la France les aime.

On peut multiplier à l’infini les exemples. Mais s’il est vrai que ‘’Parlez, parlez, il en restera quelque chose’’, ce qui en reste dans tous les cas de figure précités, est plutôt gazeux.

C’est là précisément l’une des fortes oppositions de tempérament et de méthodologie qui le différencient du Roi Mohammed VI : plus volubile qu’éloquent, quand Mohammed VI, pour qui ‘’l’action ne se réalise pas à coups de réunions et de discours’’, est dans le réserve et la retenue.  Il est cavalier et excité quand le roi du Maroc est dans la courtoisie et la subtilité. Pourtant, au début, on a l’impression que le courant était passé entre les deux hommes.

Mais visiblement il est difficile d’entretenir un bon contact avec un personnage qui s’autorise d’interpeler un chef d’Etat au téléphone, ou qui s’oublie, comme avec l’ancien président du Burkina Faso avec cette ridicule blague de climatisation et de panne d’électricité.

L’élève de théâtre 

Tout cela serait dérisoire, si Emmanuel Macron n’avait pas été le président d’une puissance, moyenne certes, mais nucléaire et volontiers interventionniste. Le drame avec ce président est qu’en élève assidu des cours de théâtre, il se voit en personnage shakespearien sur la scène internationale.

Dans un ouvrage-portrait sur Emmanuel Macron, Président cambrioleur(***), dont on sort sans savoir s’il est figue ou raisin, la journaliste Corine Lhaïk raconte comment le locataire actuel de l’Élysée se réjouit que ‘’ l’histoire […] redevient tragique’’, et dit son bonheur que ‘’ ce vieux continent [l’Europe] de petits bourgeois se sentant à l’abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure où le tragique s’invite’’

Au vu de cette déclaration, qui transpire une certaine nostalgie pour l’Europe de la barbarie, pour reprendre une expression de Nicolas Sarkozy, comment ne pas craindre que cet homme ne précipite son pays et avec lui une partie du monde dans une nouvelle tragédie. Le seul bémol qu’apporte l’auteure à ce profil aventureux est qu’Emmanuel Macron, à l’épreuve de la ‘’pratique’’, apparait ‘’à l’opposé de ce président dominateur’’.

Il est hésitant. Il n’empêche que dans son épilogue, elle fait ressortir que cet homme ‘’qui a savouré le silence tranquille des dimanches avec sa grand-mère s’épanouit dans le désordre qu’il crée, dans les clivages qu’il suscite’’. Comment dès lors dormir sur ses deux oreilles avec un président qui frôle le divan. 

Rédigé par Naim Kamal sur Quid 
 


Vendredi 6 Octobre 2023

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