Les aventures d’Abdelmajid Tebboune en Russie


Il devait s’envoler pour Paris, mais le voilà qui change et s’en va à Moscou. Abdelmajid Tebboune, président algérien de profession, est subitement apparu à Moscou où il était visiblement enchanté d’être reçu et reconnu par Vladimir Poutine. Son souci premier, après celui de nuire au Maroc, est d’impressionner sa rue. Tous les moyens sont bons, et s’ils ne sont ni efficaces ni même intelligibles, et bien tant pis.



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Par Aziz Boucetta

Abdelmajid Tebboune vient d’en refaire la démonstration, ainsi que celle de l’opacité de la politique étrangère de son pays.

En deux jours à Moscou, le président a proclamé un partenariat stratégique avec la Russie, ennemi actuel et pour longtemps de l’Europe, a affiché son intention de s’éloigner du système euro et dollar (même si cela est impossible) en intégrant les BRICS, a « cautionné » les relations entre la Russie et le Mali (incluant Wagner), et a confirmé l’organisation de manœuvres militaires russo-algériennes dans quelques mois, en 2023, à la frontière ouest du pays.

De quoi cela est-il le nom ? Provocations ou inconscience ? Comment l’Algérie peut-elle imaginer une seconde que l’Europe et l’OTAN laisseront faire ce grand et éminent projet, à 200 kilomètres de l’Espagne et 700 de la France, à vol d’oiseau ou à tir de missile ?

De pareilles manœuvres ont déjà eu lieu en septembre 2022, c’est-à-dire en pleine guerre en Ukraine, et aujourd’hui, des informations circulent quant à l’intention de la Russie de construire une base militaire dans le sud-ouest algérien.

Pour le Polisario ou non, le plus important est que les Russes s’invitent à quelques kilomètres du Maroc et à quelques centaines de kilomètres de l’Europe ; et qui dit Russes dit aussi Iraniens, pour lesquels le Sahel représente une zone d’expansion privilégiée.

Il ne fait aucun doute qu’il faudra s’attendre, et même attendre, de grandes manœuvres politiques des pays occidentaux (OTAN, UE ou Etats-Unis) auprès de la junte algérienne pour lui expliquer, aussi lentement qu’il le faut, que ce jeu est absolument et totalement inadmissible pour eux.

Alger comprendra-t-il enfin que sa politique étrangère est, en plus d’être à rebours des réalités géopolitiques et géostratégiques du moment, porteuse de réels dangers pour lui ? Gaz ou pas.

En effet, les enjeux énergétiques, pour importants qu’ils soient, passent derrière les menaces sécuritaires et militaires. Et inviter les Russes en Algérie est une menace sécuritaire et militaire majeure pour l’Europe et l’OTAN.

Cette visite du président algérien à Moscou semble avoir été décidée à la dernière minute. Avec le recul, il apparaît que Vladimir Poutine, œuvrant à briser son isolement diplomatique, voulait exhiber l’Algérie comme prise de guerre à son Sommet économique de Saint-Pétersbourg (photo).

Le voyage était une sorte de convocation puisque la rencontre entre les deux chefs d’Etat, brutalement annoncée,... avait été auparavant reportée à plusieurs reprises, en raison de la mauvaise humeur russe face au rapprochement d’Alger avec Paris. Et l’accueil en très grande pompe réservé par les Russes à leur hôte servait plus les desseins de Vladimir Poutine qu’il n’était destiné à honorer Abdelmajid Tebboune.

On peut alors se demander quelle est la nature du processus de prise de décision en Algérie car la volonté d’Abdelmajid Tebboune en début d’année était de se rendre à Paris et à Moscou. Il a échoué avec la France et il est convoqué par la Russie, avec laquelle rien de concret n’a été signé en dehors d’accords militaires, d’une convention d’extradition, d’une coopération culturelle et d’un partenariat sur… la protection des végétaux.

 

Qui donc conçoit la politique étrangère à Alger ? Qui a décidé de rajouter le couplet guerrier contre la France dans l’hymne national algérien, faisant de ce pays le seul au monde à menacer un autre Etat dans son hymne ? Qu’attend réellement Alger de Paris ?

A quoi l’Algérie est-elle prête pour s’allier les bonnes grâces de la Russie poutinienne ? Qui a décidé de limoger, dans des conditions humiliantes, l’ancien ministre des Affaires étrangères Ramtane Laâmamra ? Qui a pensé le contenu des prises de parole d’Abdelmajid Tebboune face à Vladimir Poutine
?

L’improvisation, l’impréparation et l’obséquiosité de M. Tebboune face à son homologue russe a même arraché un sourire amusé à ce dernier, pourtant si sobre et froid, quand le président algérien a dit au Sommet économique de Saint-Pétersbourg que « ce que nous retirons du discours de son excellence le président Poutine est qu’il est l’ami du monde entier » !  

Il faudra donc attendre et guetter les réactions de l’Union européenne, de l’OTAN, des Etats-Unis (et en particulier sa secrétaire d’Etat Wendy Sherman) à la suite et comme suite de cette satellisation de l’Algérie réclamée, sollicitée par Alger et logiquement acceptée par Moscou qui ne devait pourtant pas en attendre autant.

Contrairement à ce qui s’écrit et se pense en France, le Maroc ne réagit pas négativement aux manœuvres de rapprochement d’Alger et Paris, chaque pays étant libre de définir et d’arrêter la politique qui lui convient.

Mais maintenant qu’Alger a clairement choisi son camp, dans le contexte qu’on connaît, il n’est pas interdit pour Rabat d’avancer ses pions à Bruxelles, de verrouiller la position espagnole sur le Sahara, de maintenir sa pression sur Paris où, en matière de politique maghrébine et même africaine, Emmanuel Macron doit se sentir bien seul, et de lancer ses sondes en Italie et dans les pays européens orientaux.

Il est souvent inquiétant d’avoir un voisin belliqueux et martial, ce qui est le cas de l’Algérie ; il est cependant rassurant de le savoir politiquement inconséquent et diplomatiquement incohérent.

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost 


Mardi 20 Juin 2023

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