Les fantômes ont besoin de wifi

L’oubli comme nouvelle forme d’exclusion


Rédigé par le Samedi 19 Juillet 2025

On meurt deux fois : biologiquement et socialement. Cette chronique explore avec humour ce que devient notre mémoire à l’ère des réseaux sociaux.



Et si on mourait une troisième fois ?

Il paraît qu’on meurt deux fois. La première, c’est la bonne vieille mort biologique, celle que même les meilleurs régimes ou les plus chers sérums anti-âge n’arrivent pas à repousser indéfiniment. La seconde, plus sournoise, c’est quand plus personne ne prononce votre nom. Pas un mot, pas une anecdote, pas même une story Instagram en hommage. Silence radio. Vous êtes officiellement rayé du cloud émotionnel collectif.

Mais à l’ère des réseaux sociaux, est-ce bien vrai ? On dirait plutôt qu’on meurt trois fois désormais. Une première dans son lit ou sous perfusion (avec, si tout va bien, une belle gerbe de fleurs artificielles). Une deuxième quand votre anniversaire passe inaperçu sur Facebook. Et une troisième, la plus impitoyable, quand l’algorithme décide que votre souvenir ne génère plus assez d’engagement.

Et là, c’est le drame.

​Quand la mémoire se partage, ou pas

On a longtemps cru que les statues et les plaques commémoratives suffisaient. Mais aujourd’hui, si t’as pas ta bio Wikipédia et un hashtag à ton nom, t’as raté ta mort. Regardez les célébrités : certaines semblent plus vivantes aujourd’hui qu’en chair et en os. Gainsbourg, Marilyn Monroe, Che Guevara… immortels à coup de mugs, posters et citations douteuses. Et à l’inverse, combien d’inconnus splendides ou de figures importantes ont disparu sans même un like posthume ?

Heureusement, il y a parfois une résurrection. Une série Netflix sur un ancien tueur en série, un biopic qui réhabilite une scientifique oubliée, un tweet devenu viral et hop : retour dans la lumière. Le passé fait du trending. On fouille les archives comme on chercherait un vieux filtre Snapchat, pour se donner bonne conscience ou pour créer un buzz nostalgique.

Mais attention : tous les morts ne se valent pas. Certains sont recyclés, d'autres sont jetés dans le bac des "trop complexes" ou "pas assez vendeurs". C’est l’économie de la mémoire : tu buzzes ou tu t’éteins.

​Faut-il mériter l’immortalité numérique ?

La vraie question, c’est : faut-il mériter d’être encore évoqué ? Y a-t-il une justice dans la mémoire collective ? Pas sûr. On se souvient davantage de l’auteur du tube de l’été 2004 que de certains écrivains marquants. Parce que c’est plus fun, plus partageable, plus immédiat.

Et pourtant, cette mémoire-là, bancale, déformée, imparfaite, est aussi notre miroir. Elle dit ce qu’on valorise, ce qu’on oublie volontairement, ce qu’on refuse d’admettre ou ce qu’on ressuscite pour se rassurer. Car l’oubli, parfois, fait peur. C’est peut-être pour ça qu’on parle aux morts. Qu’on les cite, qu’on les like, qu’on les met en story. Parce que c’est un peu nous qu’on essaie de prolonger.

Éloge du souvenir utile

Toutes les morts ne sont pas égales. Et toutes les mémoires ne méritent pas la même place. Mais parfois, exhumer un souvenir, c’est réparer une injustice. Redonner une voix à un oublié, c’est aussi faire acte de résistance contre l’indifférence. L’histoire ne se résume pas aux grandes figures officielles. Parfois, ce sont les noms murmurés dans les cuisines, les souvenirs chuchotés au coin d’une photo froissée qui comptent le plus. Alors non, raviver la mémoire d’un mort, ce n’est pas trahir l’oubli. C’est l’habiter autrement. Moins pour lui que pour nous.

mort, mémoire, oubli, souvenir, célébrité, réseaux sociaux, algorithme, histoire, postérité, biographie





Samedi 19 Juillet 2025
Dans la même rubrique :