Les jeunes Marocains face à la dépression : le poids du silence


La santé mentale, longtemps négligée dans les débats publics, s’impose aujourd’hui comme un enjeu majeur au Maroc. Si la question du bien-être psychologique était jadis reléguée à l’arrière-plan, elle revient désormais avec insistance, notamment chez les jeunes. Entre incertitude professionnelle, pressions sociales et influence des réseaux numériques, la dépression et l’anxiété s’installent silencieusement au cœur d’une génération en quête de sens.

Selon plusieurs études récentes, les troubles dépressifs touchent une part croissante de la jeunesse marocaine. Le phénomène, bien que mondial, prend localement une dimension particulière : il s’enracine dans des réalités économiques, culturelles et sociales spécifiques. Le Maroc n’est pas épargné par ce mal du siècle, il en incarne même plusieurs symptômes.



L’ombre numérique et la pression du quotidien

La jeunesse marocaine évolue dans un monde ultra-connecté où l’image de soi et la réussite sont souvent filtrées par les réseaux sociaux. La comparaison permanente, l’hyper-exposition et la peur de ne pas être « à la hauteur » accentuent les sentiments d’anxiété et d’échec. Cette quête de perfection, entretenue par les algorithmes, crée un fossé entre la vie rêvée et la réalité vécue.
 

Dans le même temps, les défis du quotidien : chômage, précarité, manque d’opportunités; pèsent lourdement sur le moral des jeunes. Les transitions vers la vie adulte se font plus longues, plus incertaines. Beaucoup se retrouvent dans une forme de flottement identitaire : trop jeunes pour être stables, trop vieux pour rêver comme avant. Ce déséquilibre alimente un sentiment de fatigue mentale, voire d’épuisement émotionnel.
 

À cela s’ajoute une forme de pression sociale constante. Réussir professionnellement, se marier, « faire honneur » à sa famille : autant d’injonctions qui, cumulées, créent une charge mentale considérable. Dans une société encore marquée par le jugement collectif, la vulnérabilité est rarement perçue comme légitime. Parler de dépression demeure, pour beaucoup, un aveu de faiblesse.


Des structures encore limitées face à l’ampleur du problème

Sur le plan institutionnel, la santé mentale reste le parent pauvre du système de santé marocain. Le pays compte moins de 500 psychiatres pour plus de 37 millions d’habitants, et la majorité exerce dans les grandes villes. Dans les zones rurales ou périphériques, l’accès à un suivi psychologique relève souvent de l’impossible. Les psychologues cliniciens, de leur côté, restent peu nombreux et leurs consultations majoritairement privées, donc coûteuses.
 

Le ministère de la Santé a pourtant annoncé, début 2025, une nouvelle stratégie nationale pour la santé mentale, visant à renforcer les hôpitaux psychiatriques, à former du personnel spécialisé et à intégrer des services de soutien psychologique dans les centres de santé de base. Ces initiatives marquent un progrès symbolique, mais leur mise en œuvre reste lente. Sur le terrain, les jeunes continuent de manquer de repères, d’écoute et de structures adaptées.
 

Certaines universités et associations locales tentent de combler ce vide en proposant des espaces d’échange ou des cellules d’écoute. Mais les moyens sont limités, et la méfiance persiste. La peur d’être jugé, stigmatisé ou simplement mal compris freine la majorité des démarches. Le tabou autour de la dépression est encore profondément ancré dans la culture marocaine, où la souffrance psychologique est souvent réduite à un manque de foi, de volonté ou de courage.
 

Or, ignorer la détresse psychique des jeunes, c’est ignorer une fracture sociale silencieuse. La santé mentale n’est pas seulement une question individuelle : elle impacte directement la productivité, les relations sociales, la stabilité familiale et, plus largement, la cohésion nationale. Une jeunesse en crise émotionnelle, c’est une société fragilisée dans son ensemble.


Vers une prise de conscience collective

Malgré les obstacles, une évolution culturelle s’amorce. Le sujet de la santé mentale s’invite désormais dans les médias, les campagnes de sensibilisation et même sur les réseaux sociaux. De plus en plus de jeunes osent évoquer leur mal-être, non pas pour se plaindre, mais pour comprendre et agir. Cette parole nouvelle, libérée et décomplexée, constitue un premier pas vers le changement.
 

Le Maroc commence aussi à s’inspirer de modèles internationaux. Dans certains pays, les programmes de prévention dans les écoles ou les entreprises ont montré leur efficacité : dépistage précoce, accompagnement psychologique, et formation à la gestion du stress. Adapter ce type d’approche au contexte marocain serait une avancée majeure. L’intégration de la santé mentale dans les politiques publiques, notamment dans le système éducatif et universitaire, pourrait transformer durablement la manière dont le pays aborde la question.
 

Mais la solution ne viendra pas uniquement des institutions. Elle dépend aussi de la société civile, des familles et des communautés locales. Parler, écouter, normaliser la fragilité émotionnelle; autant d’actes simples qui participent à briser le cercle du silence. Car reconnaître la souffrance, c’est déjà commencer à la soigner.
 

Le Maroc, pays jeune par essence, ne peut ignorer cette réalité : investir dans la santé mentale, c’est investir dans son avenir. Une génération équilibrée, résiliente et confiante représente la meilleure garantie de stabilité sociale et de progrès collectif. Le bien-être psychique des jeunes n’est pas une question secondaire, mais une urgence nationale.


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Lundi 13 Octobre 2025



Rédigé par Salma Chmanti Houari le Lundi 13 Octobre 2025
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