Les résultats définitifs des élections professionnelles sont désormais connus, quels enseignements en tirer ?




Par Abdeslam Seddiki.

Abdeslam Seddiki.

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Les résultats définitifs des élections professionnelles qui se sont déroulées  dans notre pays ont été rendus publics ce vendredi 2 juillet. Ces élections revêtent au moins un double intérêt : d’une part, elles permettent de dégager les syndicats les plus représentatifs, ceux qui dépassent la barre des 6% des délégués,  seuls habilités à participer au dialogue social et aux différentes réunions tripartites régionales et mondiales   ainsi qu’aux  comités consultatifs  prévus par le Code du travail ; d’autre part, en vertu des dispositions de la  constitution et de la loi organique de la Chambre des Conseillers,  les délégués élus qui forment le collège électoral, seront appelés  à élire les 20 représentants des salariés au sein de la Chambre des Conseillers. Et ce sont logiquement les syndicats qui disposent de plus de délégués qui y seraient les mieux représentés. Mais, c’est sans compter avec les SAS (sans appartenance  syndicale) qui représentent   plus de la moitié des délégués des  salariés !

Tels qu’ils se présentent, ces résultats ne sont pas sans apporter quelques surprises. S’ils ne chamboulent pas le paysage syndical  tout en consolidant la position du Premier syndicat du Maroc, historiquement parlant, et qui est en  même temps le plus représentatif, tous secteurs confondus, à savoir l’UMT,  ils provoquent néanmoins un nouvel « ordre  syndical » pour les autres protagonistes dont notamment le reclassement de l’UGTM à la deuxième place, reléguant ainsi la CDT, qui montre des signes de fatigue,  à la troisième place. Quant à l’UNTM, syndicat proche du parti  majoritaire au gouvernement, elle a reçu tout simplement un carton rouge la mettant désormais en dehors du jeu syndical dans la mesure  où cette organisation créée dans l’orbite du PJD,  n’est pas parvenue à franchir la barre des  6% qui l’habiliterait à s’asseoir à la table du dialogue social.  Restent  les autres syndicats  que sont la FDT et l’ODT. Ces deux organisations très proches l’une de l’USFP et l’autre du PAM, n’ont pas réussi leur décollage pour atteindre le seuil des  6%. Bien au contraire,  leurs résultats sont en deçà de ceux enregistrés en 2015 : 2,79% contre 3,83% pour la FDT  et 1,18% contre  1,84% pour l’ODT.  Voyons tout cela avec chiffres à l’appui.

 Le nombre  des délégués élus, à la fois  dans le secteur public et le secteur privé, s’élève en 2021 à 47573, en augmentation de 36% par rapport à 2015, et dont la part de lion, soit 81%, revient au secteur privé.  Ce qui est tout à fait normal  au regard de la place de ce dernier dans l’emploi. Ainsi, le nombre d’établissements recensés, parmi les unités qui emploient 10 salariés et plus,  est passé de 17019 en 2015 à 24414 en 2021.

Quant au nombre des unités qui ont effectivement organisé les élections,  il est de 19 553 contre 12084 six années auparavant. Cette évolution s’expliquerait, de notre point de vue, par la conjugaison de  deux facteurs :

L’accroissement naturel du tissu entrepreneurial d’une part et  la mise en œuvre de la généralisation de la protection sociale qui encourage  l’intégration du secteur informel  dans la formalité d’autre part.   Il y a là les prémices d’un changement  qui est appelé à se renforcer davantage à l’avenir.  Cette opportunité n’a pas été saisie de la même manière par l’ensemble des participants.  Ce sont  l’UMT et l’UGTM qui en ont profité le plus,  avec cependant  une différence  qualitative de taille entre les deux organisations. Si ces deux centrales font pratiquement jeu  égal  sur le plan numérique dans le secteur privé, avec  près de 13% chacune, force est de constater que l’UMT est largement présente dans les  secteurs stratégiques  qui pèsent  lourd  en termes d’impact sur l’ensemble de  l’économie et en termes de création de valeur ajoutée.  Une analyse comparative fine des résultats en fonction de la taille des entreprises le montrera  clairement. D’ailleurs, un communiqué de l’UMT publié au lendemain de l’annonce des résultats indique que l’organisation  a réalisé dans certains secteurs stratégiques  des scores historiques allant jusqu’à 100% des sièges. C’est le cas dans  l’automobile, l’aéronautique, les ports,  les autoroutes, les banques …(voir umt.ma).

D’après nos calculs  effectués à partir des chiffres officiels, l’UMT, tout en occupant la première place, a obtenu  18,2% de délégués dans l’administration publique,  30% dans les collectivités territoriales et 53% dans les Etablissements publics.

Reste la lancinante question des SAS qui rappelle, par certains côtés, le cas de triste mémoire des SAP (Sans appartenance politique)  chargés justement de « saper » la vie politique  par leur utilisation dans la fabrication  d’une carte politique sur mesure. Ce temps est heureusement révolu. On espère qu’il en sera de même pour les SAS. Il est anormal, en effet, de voir la majorité des sièges (51,35%) échapper aux organisations syndicales. Dans le secteur privé, ce taux atteint 57,3% !

Cette réalité sociologique mérite  d’amples analyses et des enquêtes sur le terrain pour en comprendre les tenants et aboutissants. Contentons-nous pour l’heure de faire  quelques   remarques sous forme d’hypothèses. L’existence des SAS de cette ampleur pourrait suggérer, à première vue, la faiblesse de l’implantation syndicale.

Elle pourrait s’expliquer également par l’attitude de certains dirigeants d’entreprises  qui sont allergiques à toutes formes d’organisation en tuant dans l’œuf toute velléité à la création d’un syndicat. Cette  attitude hostile aux syndicats est largement répandue dans nos entreprises, aidées en cela par le comportement de certains syndicalistes immatures.  Et quand les dirigeants d’entreprises acceptent d’organiser les élections, ils  le font en « choisissant » des délégués sur mesure. 

Dans d’autres situations, ce sont des personnes syndiquées qui se présentent, de leur propre chef ou en coordination avec leur organisation syndicale,  sans étiquette afin de contourner l’hostilité des patrons et d’éviter la confrontation.

Deux autres remarques pour conclure : en premier lieu, il faut enregistrer avec satisfaction le fait que  ces élections  soient organisées dans leur délai nonobstant les  difficultés dues au covid-19. La démocratie en est sortie renforcée pour  l’intérêt de notre pays. Nous avons besoin plus que jamais  d’organisations syndicales fortes, représentatives et démocratiques et de structures pérennes de médiation et de dialogue à tous les niveaux. Un  grand pas est franchi dans ce sens ; en deuxième  lieu, la femme travailleuse et employée a été bien  présente  dans ce combat démocratique. Elle a même réalisé une percée remarquable  puisque le nombre de déléguées femmes a grimpé  de 5349 en 2015 à 9444 en 2021 dans le secteur privé,  soit une augmentation de 76,5%, représentant le quart de l’ensemble des  délégués. C’est encore insuffisant  sans doute mais c’est  plus qu’encourageant ….


Par Abdeslam Seddiki.

 


Mardi 6 Juillet 2021

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