Loi Duplomb : entre soif de productivité et fractures écologiques


Rédigé par Hajar DEHANE le Mercredi 13 Aout 2025



La loi Duplomb, promulguée le 12 août 2025 sans son article le plus contesté, cristallise l’affrontement entre un État français désireux de concilier modernité et ambition environnementale et un marché européen qui impose ses règles à une agriculture en pleine recomposition. Fournisseur incontournable de fruits et légumes à l’UE, le Maroc devient le baromètre de ces mutations, tant ses exportations influencent les filières européennes.

Un texte amputé, mais dont l’empreinte demeure lourde

Le Conseil constitutionnel a cédé, au prix d’une apaisante morsure, en censurant l’article 2 qui prévoyait une réintroduction dérogatoire de l’acétamipride, dernier néonicotinoïde encore libéralisé sur le continent. Cette mesure, criblée de critiques scientifiques et de protestations citoyennes, tombe ainsi définitivement.

Pour autant, le corps de loi persiste dans sa logique : faciliter l’irrigation par des méga-bassines déclarées d’intérêt général majeur, alléger l’arsenal réglementaire pour l’élevage intensif et réduire l’indépendance de l’Anses en soumettant son calendrier aux priorités politiques. En d’autres termes, derrière une langue douce se cache une posture ferme.

Méga-bassines et élevage intensif : le pragmatisme autorisé

En érigeant les grands réservoirs agricoles en intérêt général, la loi Duplomb autorise des prélèvements massifs dans des régions fragilisées. Certes, la protection juridique empêche encore le pillage des nappes inertielles et permet au juge de sanctionner des abus. Néanmoins, la tendance est nette : l’eau devient un outil de performance productive, au risque d’accentuer les fractures territoriales et écologiques.

Le relèvement du seuil d’alerte pour l’élevage, fixé à 85 000 poulets au lieu de 40 000 et à 3 000 porcs au lieu de 2 000, a été inscrit dans des textes d’application à venir. À cet égard, il annonce une industrialisation lente mais certaine des cheptels. L’agro-industrie y voit un passeport pour croître tandis que l’animal, le sol et les campagnes y perdent en équilibre.

L’Union européenne, arbitre inévitable et parfois impassible

Si la France s’appuie sur sa Charte de l’environnement, il n’en reste pas moins que le véritable terrain de décision demeure Bruxelles. L’acétamipride, toujours autorisé dans l’UE jusqu’en 2033, a vu ses limites de résidus relevées, atteignant 0,3 mg/kg pour le miel et 0,04 mg/kg pour les prunes. Ainsi, la dissonance est flagrante : la France interdit ce que l’Europe tolère. Le centre de gravité réglementaire demeure à l’ Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et au comité Scopaff, où l’influence française reste marginale, mais les effets se font sentir sur tous les étals.

Maroc : aux avant-postes du commerce agricole et de l’effet d’éviction

Dans ce contexte, Paris accélère sur les clauses miroirs, afin de restreindre l’entrée de produits agricoles ne respectant pas ses normes. À Rabat, la mesure est perçue comme une stigmatisation déguisée, notamment à l’encontre des tomates, produit-vedette sur le marché européen.

En réponse, le Maroc déploie une diplomatie agricole offensive : diversification vers l’Europe de l’Est, investissements massifs dans l’irrigation efficiente et centres d’innovation conjoints avec la France. L’objectif : réduire la dépendance à un seul marché et renforcer la résilience face aux tensions climatiques et géopolitiques.

Géopolitique agricole : deux modèles irréconciliables

D’un côté, l’agriculture productiviste, pensée pour la concurrence intracommunautaire ; de l’autre, une ligne agroécologique qui défend la sobriété, la gestion raisonnée des ressources et les solidarités paysannes. Dès lors, la France oscille entre la recherche d’une compétitivité immédiate et une ambition écologique à long terme, sans trancher nettement. De son côté, le Maroc tente de bâtir un modèle exportateur plus vertueux, tout en restant exposé aux aléas géopolitiques.

Une recomposition méditerranéenne déjà à l’œuvre

La loi Duplomb, amputée mais toujours structurante, promet de transformer l’agriculture française. Entre souveraineté revendiquée et dépendance européenne, entre marché durable et modèle durable, la victoire reste incertaine. Quant au Maroc, il se positionne comme acteur clé de cette recomposition, à la fois témoin, partenaire et vecteur d’enjeux mêlant normes, eau, climat et diplomatie.

En définitive, la loi Duplomb n’a pas figé les rapports de force. Au contraire, elle a ouvert un processus de recomposition méditerranéenne dont l’écriture se fera simultanément à Paris, à Rabat et à Bruxelles… ou pas.

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Mercredi 13 Aout 2025
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