MACF européen : le Maroc face à l’épreuve carbone


Rédigé par le Jeudi 25 Septembre 2025

Le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) du Maroc a adopté à l’unanimité un avis stratégique sur un sujet brûlant : l’impact du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne sur les exportations nationales. Derrière cet acronyme technocratique se joue en réalité une recomposition silencieuse du commerce mondial. Le Maroc, fortement tourné vers le marché européen, se retrouve en première ligne.



Un mécanisme à double tranchant

Le MACF, pierre angulaire du Pacte vert européen, entre en vigueur en janvier 2026. Son objectif affiché : éviter les « fuites de carbone », c’est-à-dire le déplacement des industries polluantes hors d’Europe pour contourner les contraintes climatiques. Concrètement, l’UE impose aux importateurs de payer une taxe équivalente au prix du carbone déjà appliqué aux industriels européens via le système d’échange de quotas d’émission (SEQE).

Dans un premier temps, six secteurs sont visés : acier, aluminium, ciment, engrais azotés, hydrogène et électricité. Pour le Maroc, la principale vulnérabilité immédiate se situe dans les engrais, qui représentent une large part des 3,7 % d’exportations concernées

À ce stade, l’impact paraît « limité ». Les grands groupes marocains du secteur, déjà engagés dans des stratégies de décarbonation, disposent de marges de manœuvre. Mais à moyen terme, la donne change. Bruxelles prévoit d’élargir le dispositif à de nouvelles filières et d’inclure les émissions indirectes. L’automobile, l’aéronautique, l’agriculture et même le tourisme pourraient être concernés. Ces secteurs constituent l’épine dorsale des exportations marocaines vers l’UE.

Entre opportunité écologique et barrière commerciale

Officiellement, le MACF n’est pas une mesure protectionniste, mais un instrument climatique visant la neutralité carbone. Pourtant, nombre de partenaires commerciaux de l’Europe y voient un protectionnisme déguisé. L’Afrique, où les marges financières et technologiques pour la décarbonation sont faibles, craint une « pénalisation verte » qui fragilisera ses industries émergentes.

Le Maroc, lui, se situe dans une position hybride. D’un côté, il a engagé depuis plus d’une décennie une transition énergétique ambitieuse : centrales solaires de Noor, développement de l’éolien, stratégie nationale bas carbone, objectifs de neutralité d’ici 2050

D’un autre côté, le rythme de modernisation industrielle reste insuffisant pour aligner les coûts et standards avec les exigences européennes.

Le rapport du CESE pointe plusieurs défis majeurs.

D’abord, l’accès à l’électricité renouvelable, en particulier pour les industries de moyenne tension, demeure limité. Or la compétitivité future passera par une traçabilité impeccable du « contenu carbone » de chaque produit.

Ensuite, le financement. Les coûts d’adaptation aux normes bas carbone sont considérables, surtout pour les PME. Moderniser les chaînes de production, installer des systèmes de mesure des gaz à effet de serre (GES) conformes aux standards européens, diversifier les sources énergétiques : tout cela exige des capitaux massifs. Or, les PME marocaines, déjà sous pression en raison de la concurrence internationale, peinent à mobiliser de tels fonds.

À cela s’ajoute un déficit criant de compétences. La mesure et la certification des émissions selon les méthodes européennes nécessitent des ingénieurs spécialisés. Le Maroc n’en forme pas assez, ce qui ouvre la porte à une dépendance vis-à-vis de cabinets étrangers onéreux

Le spectre d’une fracture industrielle

Si ces obstacles ne sont pas surmontés, le risque est celui d’une fracture industrielle : d’un côté, de grands groupes capables d’investir dans la décarbonation et de sécuriser leurs parts de marché européen ; de l’autre, une multitude de PME qui, faute de moyens, seraient exclues des chaînes de valeur internationales.

L’effet domino pourrait être redoutable : perte de contrats d’exportation, désindustrialisation progressive de certaines filières, pression accrue sur l’emploi. Le CESE avertit : « certains chantiers structurants de la transition bas carbone progressent à un rythme qui ne permet pas encore d’être pleinement en phase avec les impératifs de compétitivité imposés par le MACF »

Les recommandations du CESE

Pour éviter un tel scénario, l’instance consultative formule une batterie de recommandations.

Un dispositif national d’accompagnement : il s’agirait d’un cadre intégré rassemblant institutions publiques, industriels et experts afin de coordonner les réponses marocaines et d’assurer une veille stratégique sur les évolutions du MACF.

Un fonds de soutien aux PME exportatrices : ce fonds couvrirait une partie des dépenses liées à l’établissement des bilans carbone et au financement des investissements nécessaires à la décarbonation.

La montée en compétences : le CESE propose de développer des cursus universitaires et de formation professionnelle spécialisés dans le calcul et la certification des bilans carbone.

Un accès élargi à l’électricité verte : accélérer le déploiement des énergies renouvelables, garantir une traçabilité fiable, et surtout rendre cette énergie disponible pour toutes les entreprises.

Le recours accru au gaz naturel : pour les industries énergivores, le gaz est perçu comme une étape de transition pour réduire la dépendance aux énergies fossiles fortement émettrices.

La reconnaissance européenne du système marocain de vérification : sans cela, les entreprises devront passer par des dispositifs étrangers coûteux.

Une réflexion sur la tarification carbone nationale : taxe carbone ou système d’échange de quotas, l’idée est d’anticiper les futurs mécanismes mondiaux et d’éviter que le Maroc ne subisse passivement leur mise en place

Vers une diplomatie verte africaine ?

Au-delà des frontières marocaines, le CESE plaide pour une stratégie régionale. L’Afrique, continent à faibles émissions historiques mais vulnérable aux impacts économiques du MACF, doit parler d’une seule voix. Une coopération renforcée Maroc-Afrique permettrait de négocier des conditions spécifiques : moratoires, taux différenciés, ou encore mécanismes de compensation. L’article 2 de l’Accord de Paris, qui évoque une « transition juste », pourrait servir de base juridique à cette revendication.

Le Maroc, fort de son rôle de leader climatique en Afrique, a là une carte diplomatique à jouer : devenir l’avocat d’un traitement différencié pour les pays du Sud tout en consolidant son image de hub industriel « vert » pour l’Europe.

Un pari stratégique : devenir une base industrielle verte

Le CESE résume la finalité ainsi : positionner le Maroc comme une base industrielle et d’exportation verte, pleinement alignée sur ses engagements climatiques. Cela suppose de mobiliser des financements internationaux, notamment via les banques multilatérales de développement et les fonds climatiques mondiaux.

Le royaume peut aussi capitaliser sur ses atouts : abondance de ressources renouvelables, proximité géographique avec l’Europe, stabilité politique. À condition de transformer rapidement ces atouts en avantage compétitif mesurable.

L’urgence d’une adaptation accélérée

Le MACF agit comme un test grandeur nature. Il révèle la vitesse à laquelle l’économie mondiale se déplace vers un capitalisme bas carbone. Pour le Maroc, l’enjeu n’est pas seulement de préserver ses exportations, mais d’éviter une marginalisation industrielle et de saisir l’opportunité de se hisser dans la « cour des grands » de la transition écologique.

Le temps presse : janvier 2026, date d’entrée en vigueur du mécanisme, c’est demain. Faute de réformes rapides, l’économie marocaine risque de payer un double prix : celui du carbone et celui du retard. Mais avec une stratégie claire, une mobilisation nationale et un effort diplomatique régional, le royaume peut transformer cette contrainte en tremplin vers une nouvelle compétitivité verte.




Jeudi 25 Septembre 2025
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