Majorité, minorité : qui tient vraiment la télécommande des médias ?

Chronique politiquement incorrecte : Médias, minorités, majorités : le grand écart permanent


Rédigé par le Dimanche 10 Aout 2025

Analyse des biais médiatiques entre défense des minorités et traitement des majorités, et des effets politiques de ce déséquilibre narratif.



Quand la loupe médiatique se règle sur “petit format”

Il y a une règle tacite dans les salles de rédaction : l’histoire d’un petit poisson face à un requin fait toujours plus vendre que l’inverse. Et, dans le monde médiatique, les “petits poissons” sont souvent des minorités. Qu’elles soient ethniques, religieuses, sexuelles, linguistiques ou même culinaires (les végétaliens en savent quelque chose), elles bénéficient d’un capital de sympathie naturel. Le public adore le récit du “David” qui affronte un “Goliath” démesuré.

Les journalistes, nourris à cette dramaturgie depuis l’école, y voient une évidence : si une minorité subit une injustice, il faut amplifier sa voix, la rendre audible, et vite. C’est noble. C’est même nécessaire. Mais à force de braquer les projecteurs toujours du même côté, on en oublie que, parfois, le “géant” qu’on caricature à loisir peut aussi saigner du nez.

Prenez la majorité, ce bloc massif, souvent associé au confort et au pouvoir. On la voit comme un paquebot insubmersible, blindé par les lois, les institutions, et l’opinion publique. Sauf que… ce paquebot prend parfois l’eau. Il arrive que la majorité soit attaquée, stigmatisée, ou caricaturée, mais ça ne déchaîne pas les mêmes indignations à la une des journaux. On appelle ça “la liberté d’expression” ou “l’art de la satire”, ce qui est vrai,   mais la dissonance se voit à mille lieues.

​Le syndrome “David contre Goliath”

Le biais n’est pas seulement idéologique. Il est inscrit dans l’ADN même de la machine médiatique. Les rédactions sont à la recherche constante d’angles vendeurs, et rien ne fonctionne mieux qu’un scénario où le petit se dresse contre le grand.

Résultat : les minorités deviennent des personnages récurrents de ce feuilleton moral. La majorité, elle, joue le rôle du méchant, ou du moins celui dont on peut se moquer sans trop de scrupules. Car il est plus risqué de s’attaquer à un groupe perçu comme fragile : l’étiquette “discriminatoire” ou “raciste” vous tombe dessus plus vite qu’un tweet viral.

La logique est simple : attaquer la majorité = polémique “light”, pas de tempête judiciaire. Critiquer une minorité = risque de procès, de boycott, de campagne d’indignation en ligne. Devinez lequel attire le moins les éditeurs ?

​Quand la bonne intention se mord la queue

Il y a un paradoxe délicieux (et un peu cruel) : défendre systématiquement les minorités, sans appliquer les mêmes standards de vérité, de dignité et d’égalité pour tout le monde, finit par miner la crédibilité des médias.

À force de jouer le chevalier blanc d’un seul côté, on donne à l’autre camp le rôle du mal-aimé. Et ce rôle, croyez-moi, est politiquement exploitable à merveille.

Aux États-Unis, Donald Trump a bâti une partie de son empire politique sur l’idée que “les médias ne défendent plus l’Américain ordinaire”.

En France, les “gilets jaunes” ont accusé les rédactions de leur préférer des causes urbaines et branchées.

Au Royaume-Uni, la BBC a été accusée de négliger le malaise des classes populaires pro-Brexit.

Et au Maroc, certains voient une certaine presse nationale plus prompte à relayer des causes à “tendance victimaire” qu’à traiter le quotidien de la majorité qui a aussi des problémes mais simplement normaux.

La leçon ? Un déséquilibre médiatique, même involontaire, devient un carburant de choix pour le populisme.

​La peur, moteur invisible

Un journaliste vous le dira rarement au micro, mais dans le choix des sujets, la peur joue un rôle silencieux : peur de heurter des sensibilités, peur d’un procès, peur d’être cloué au pilori sur les réseaux sociaux.

Ce réflexe de prudence explique pourquoi certaines caricatures sont publiées sans état d’âme, alors que d’autres déclenchent mille hésitations juridiques et éditoriales.

Or, quand l’opinion publique constate ce deux poids, deux mesures, elle retient rarement le contexte juridique ou les nuances : elle voit juste que certains groupes semblent “intouchables” et d’autres, non.

L’art de tenir les deux bouts

Est-ce qu’on peut défendre les minorités sans négliger les majorités ? Oui, mais cela suppose de changer le logiciel narratif. Il faut cesser de penser uniquement en termes de rapport de force, et plutôt appliquer un principe universel : on défend la dignité et la vérité où qu’elles soient piétinées.

Cela implique :

De couvrir avec autant de sérieux les attaques contre une majorité que celles contre une minorité.
De refuser la hiérarchie implicite des souffrances.
D’accepter que la critique sociale peut viser tout le monde, mais qu’elle doit toujours être fondée sur des faits solides.

Bref : réhabiliter un journalisme qui protège les valeurs avant les étiquettes.

Ce n’est pas la taille du groupe qui compte

À force de traiter la majorité comme un punching-ball et la minorité comme une espèce rare en voie de disparition, on finit par perdre de vue l’essentiel : la vérité ne se découpe pas selon la taille d’un groupe. Ce qui devrait compter, ce sont les faits, les preuves, et la cohérence dans le traitement.

Le public, qu’il soit majoritaire ou minoritaire, n’est pas dupe. Et quand il sent que le terrain n’est pas nivelé, il cherche ailleurs ses sources d’information… parfois dans les recoins les moins fiables du web.

​Et c'est bien le cas sur les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, le phénomène est amplifié. Les algorithmes adorent les histoires “David contre Goliath” : elles génèrent plus d’engagement, plus de likes, plus de partages. Résultat : le déséquilibre médiatique traditionnel se retrouve doublé d’un déséquilibre algorithmique.

Les récits mettant en scène une minorité face à une majorité perçue comme oppressive circulent plus vite et plus loin que les récits inverses.

Ce biais de viralité contribue à polariser encore davantage le débat public. Et là, ce n’est même plus une question de ligne éditoriale : c’est une mécanique numérique qui favorise certaines indignations plutôt que d’autres.

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Dimanche 10 Aout 2025
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