Mémoire, identité et filiation : l’art comme remémoration.
Margaux Derhy commence souvent ses créations à partir de vieux clichés de famille. Ces photographies sont autant de traces d’une époque, de gestes, de modes vestimentaires , un lien entre le passé et le présent. En mobilisant ces images, l’artiste engage une mémoire collective, invite à revisiter ce qui est parfois oublié ou marginalisé.
2. Ancrage amazigh et héritage marocain
L’artiste puise dans ses racines berbères et juives marocaines. Sa démarche consiste à penser que, loin d’être un seul “art contemporain mondial”, une œuvre peut dialoguer avec les codes culturels spécifiques d’un territoire. Dans Massa Stories, les motifs, les matières, les gestes textils résonnent avec les traditions artisanales marocaines (broderie, tissu, motifs géométriques, couleurs).
3. Redonner voix aux femmes du village
Le collectif est composé de femmes célibataires ou veuves du village, souvent en marge des circuits économiques dominants. En les impliquant non comme “sujets”, mais comme co-créatrices, l’initiative transforme la relation entre l’artiste “extérieure” et les habitants. Le projet devient un lieu de reconnaissance mutuelle et d’empowerment local.
Transmission et patrimoine immatériel : défis et opportunités
- Préserver des savoir-faire tout en les réinventant :
L’atelier de broderie de Massa Stories vise explicitement à transmettre une expertise en broderie à la main, tout en ouvrant vers une sensibilité artistique contemporaine. Ce double mouvement (préservation / innovation) est central : on ne se contente pas de “reproduire le passé”, mais on le réinterprète dans un langage nouveau.
- La question du modèle économique:
Pour qu’un tel projet ait une durabilité, il faut un modèle économique viable. Massa Stories expose ses œuvres (au Maroc, à Casablanca pour 2026) et participe à des foires internationales. Mais l’adéquation entre valeur artistique, reconnaissance locale et rémunération des artisanes est un équilibre délicat : comment éviter que le “marché de l’art” ne replonge les créatrices dans une instrumentalisation plutôt que dans l’autonomie ?
- Inclusion et appropriation culturelle:
Quand un projet artistique externalisé (même porté par une artiste d’origine) arrive dans une communauté rurale, se pose la question : qui dirige le récit ? Dans Massa Stories, l’artiste adopte une posture de “co-production” avec les habitantes, cherchant à s’effacer pour laisser émerger les voix locales. Mais même dans ce modèle, des tensions peuvent exister : choix artistique, direction esthétique, reconnaissance globale vs locale. Garder l’équilibre entre “direction d’artiste” et “initiative collective” est un défi constant.
Art, ruralité et développement local : vers un impact concret.
Un modèle à surveiller pour le Maroc
Massa Stories est plus qu’un joli projet artistique : c’est un terrain d’observation pour la manière dont l’art contemporain peut s’enraciner dans la culture marocaine et la mémoire locale, tout en ouvrant des voies d’émancipation collective. Il interpelle des enjeux de transmission, de développement territorial, de justice culturelle et d’autonomie.
En 2025, dans un Maroc en transformation (avec des questions fortes de jeunesse, de régionalisation, et de réappropriation culturelle), ce genre d’initiative prend une valeur politique : celle de repenser le rôle du créateur non comme star isolée, mais comme catalyseur de lien.