Oujda, de la pierre à l’algorithme : l’intelligence artificielle au service du patrimoine de l’Oriental


Rédigé par La rédaction le Lundi 13 Octobre 2025

Par Dr Az-Eddine Bennani

L’ancien bâtiment de l’école Jean-Martin Charcot, érigé en 1913 et reconverti en musée archéologique régional de l’Oriental, se dresse aujourd’hui comme un symbole fort : celui d’un dialogue entre mémoire et innovation. Son architecture, à la fois marocaine et moderniste, incarne cette intelligence du lieu qui anticipe déjà la notion contemporaine de durabilité culturelle. À Oujda, ville carrefour entre le Maroc, l’Afrique et la Méditerranée, la question du patrimoine dépasse désormais la conservation. Il s’agit de penser la continuité vivante de ce patrimoine matériel et immatériel à travers les outils de l’intelligence artificielle, non pas pour le figer, mais pour le faire dialoguer avec le présent et inspirer le futur.



Le musée Charcot : mémoire cognitive et geste fondateur

Les vitrines du musée archéologique exposent des outils préhistoriques façonnés par les premiers habitants de la région. Ces pierres taillées, traces tangibles de la pensée en action, témoignent du moment où l’intelligence humaine est devenue créatrice. Tailler, c’était déjà calculer, planifier, transmettre : la main de l’artisan et l’esprit de l’inventeur travaillaient ensemble. Ce musée, dans son essence, raconte donc l’origine de l’intelligence appliquée, celle qui relie geste, apprentissage et savoir-faire bien avant l’ère du numérique.

Vers une IA au service de la mémoire vivante de l’Oriental :
Dans le contexte marocain, et plus particulièrement celui d’Oujda et de sa région, l’intelligence artificielle peut devenir un outil de sauvegarde, de valorisation et de transmission intergénérationnelle du patrimoine. Voici une proposition concrète adaptée au contexte local. Projet “AI Heritage Oriental” – Plateforme d’intelligence patrimoniale régionale.

Un écosystème numérique, hébergé localement, pourrait être créé autour de trois composantes :
Modélisation 3D et jumeaux numériques du patrimoine bâti : reconstitution virtuelle de l’école Charcot, des kasbahs et des sites archéologiques de la région ; création de visites immersives et de parcours pédagogiques augmentés ; utilisation de la vision artificielle pour mesurer l’état de conservation des monuments.

IA de classification et d’analyse archéologique :

Développement, en partenariat avec l’Université Mohammed Premier d’Oujda, d’algorithmes capables d’identifier les typologies d’outils lithiques, les fragments céramiques et les inscriptions anciennes ; constitution d’une base de données patrimoniale régionale, ouverte aux chercheurs et enseignants.

Préservation du patrimoine immatériel : enregistrement, transcription et traduction assistée par IA des récits oraux, musiques, proverbes et savoir-faire artisanaux ; valorisation du patrimoine linguistique (arabe oriental, amazigh, haketia, français, espagnol) grâce à des modèles de traitement du langage naturel entraînés sur corpus locaux ; création d’un musée vivant de la mémoire orale de l’Oriental, connecté aux établissements scolaires et aux maisons de jeunes.

L’écosystème d’Oujda : un modèle de convergence des acteurs

La réussite d’un tel projet repose sur la mise en synergie des acteurs institutionnels, académiques et citoyens de la région. C’est précisément dans cet esprit qu’a eu lieu à Oujda, les 9 et 10 octobre 2025, le colloque international sur “L’IA éthique au service de la recherche médicale et scientifique”, une initiative portée par le Dr Souad Naimi, présidente fondatrice de l’Association Compétences Marocaines du Monde (CM²). Grâce à sa vision et à sa détermination, cet événement majeur, organisé sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a réuni à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université Mohammed Premier une vingtaine d’experts marocains et internationaux autour d’une même ambition : penser une intelligence artificielle responsable, éthique et au service de l’humain.

Le Dr Souad Naimi, dont les compétences reconnues dans le domaine de la santé et de la recherche médicale sont unanimement saluées, incarne pleinement cette dynamique nationale qui relie les compétences marocaines du monde aux priorités stratégiques du Royaume. Son initiative fait d’Oujda un espace d’innovation éthique, ouvert à la coopération scientifique internationale et à la valorisation des talents marocains d’ici et d’ailleurs.

Autour de cette initiative fédératrice se sont rassemblés le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger (CCME), partenaire clé dans la mobilisation des expertises de la diaspora scientifique ; le ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, garant de l’architecture des données et de la souveraineté numérique ; le ministère de la Santé et de la Protection sociale, porteur de la dimension éthique et humaine de l’IA médicale ; l’Université Mohammed Premier d’Oujda, moteur de la recherche, de la formation et de l’expérimentation en IA ; la Wilaya de l’Oriental et l’Agence de l’Oriental, acteurs de la gouvernance territoriale et du développement durable.

Cette convergence institutionnelle ouvre la voie à une extension naturelle :

La création d’un Centre “Patrimoine et IA” à Oujda, associant musées, universités et institutions culturelles pour explorer comment la même approche éthique et systémique peut préserver la mémoire collective et renforcer la souveraineté cognitive du Maroc. Une continuité de l’intelligence humaine De la pierre à l’algorithme, de la main du tailleur préhistorique au codeur d’aujourd’hui, l’intelligence humaine poursuit la même mission : donner forme à la pensée. L’IA n’est pas une rupture, mais une évolution du geste cognitif.

Elle peut si elle est maîtrisée, enracinée et partagée; prolonger la mémoire des lieux, des mots et des savoirs. À Oujda, ville d’histoire et de frontières, elle peut surtout devenir un levier de renaissance territoriale, reliant la rigueur scientifique à la poésie du patrimoine, la pierre taillée à la donnée numérique, et le passé à l’avenir.

C’est ainsi que l’intelligence artificielle, lorsqu’elle est pensée dans un cadre éthique et systémique, peut contribuer à la sauvegarde et à la pérennisation du patrimoine marocain, en inscrivant la région de l’Oriental dans le grand récit d’une souveraineté culturelle augmentée.

Par Dr Az-Eddine Bennani




Lundi 13 Octobre 2025
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