Pause à haut risque : l’illusion calmante de la Fed


Rédigé par La rédaction le Jeudi 9 Octobre 2025

La décision de la Réserve fédérale américaine (Fed) de suspendre temporairement ses hausses de taux a été saluée par les marchés comme une accalmie bienvenue. Pourtant, ce « temps mort » ne doit pas être interprété comme une victoire contre l’inflation — plutôt comme un répit stratégique dans un paysage économique mondial encore fragilisé. Derrière les chiffres et les applaudissements, subsistent des tensions structurelles dangereuses pour la stabilité globale, et particulièrement pour les pays émergents comme le Maroc.



Entre espoir et prudence : pourquoi cette pause inquiète

La pause monétaire adoptée par la Fed ne traduit pas un retour à la normale, mais une sorte de respiration : face à une inflation qui refuse de fléchir et un risque de ralentissement qui grandit, la banque centrale américaine tente un atterrissage en douceur. Le pari est risqué : ajuster sans casser la dynamique. Dans cette manœuvre, les marchés semblent, pour l’instant, gagner — mais à quel prix ?

L’euphorie qui règne sur les marchés financiers – hausses des indices, appétit pour le risque — contraste avec une économie réelle plus vulnérable. Les ménages, les entreprises, les États — tous ressentent les effets de l’inflation qui persiste ou recommence à poindre, de l’endettement croissant, et de la faiblesse des marges de manœuvre budgétaire.

Mais ce sont les pays émergents qui sont les plus exposés à cette torsion. La moindre faiblesse du dollar, le moindre vent de panique, et les capitaux affluent vers les marchés « sûrs » — exportant la volatilité là où les tissus économiques sont les plus fragiles.

Les signaux d’alerte que l’on ne peut plus négliger

Inflation structurelle et limites de l’arsenal monétaire

On pourrait croire que la Fed peut dominer le débat prix vs. croissance. Or, l’inflation actuelle est en partie d’origine structurelle — contraintes énergétiques, transition verte, ruptures des chaînes d’approvisionnement. Sur ces fronts, les outils monétaires sont presque impuissants. En outre, selon les minutes de la Fed, certains membres ont souligné l’« upside risk » — le risque que l’inflation reste trop élevée — ce qui justifie un maintien de certaines précautions. 

Endettement sous tension

Les États, les entreprises mais aussi les ménages sont acculés à un endettement élevé, avec des taux d’intérêt déjà lourds. Une remontée des taux, même modeste, pèse comme une épée de Damoclès sur la viabilité des bilans — notamment dans les économies émergentes, moins résistantes. Le simple service de la dette devient un levier de fragilité.

Volatilité des capitaux et pression sur les devises

La pause de la Fed accentue les arbitrages internationaux : les investisseurs cherchent un refuge, capitalisent sur les marchés perçus comme stables. Résultat : sorties de capitaux des marchés émergents, pression à la baisse sur les monnaies, surcroit de la dette extérieure. Le phénomène n’est pas théorique — selon l’Institut de la finance internationale (IIF), les entrées nettes sur les marchés émergents ont chuté à 26 milliards de dollars en septembre, le plus faible niveau depuis mai. 

Croissance menacée, perspectives incertaines

Même si certains signaux restent modérés, la probabilité d’un ralentissement sérieux n’est plus négligeable. Le FMI lui-même évoque une croissance mondiale de 3 % en 2025, tout en pointant l’accroissement de l’incertitude. 

Les tensions géopolitiques, les guerres commerciales latentes, les perturbations des chaînes logistiques peuvent déclencher des soubresauts imprévisibles.

Les raisons d’un (relatif) optimisme raisonné

Flexibilité de la politique monétaire et vigilance accrue


La Fed n’a pas crié victoire ; elle reste dans une posture conditionnelle. Le président de la Fed de New York, John Williams, a exprimé son soutien pour des baisses de taux plus tard en 2025, sous réserve que le marché du travail se détende. 

L’idée : conserver une marge de manœuvre afin d’ajuster en fonction des données.

Le « tampon » des tarifs et des coûts absorbés

Même si les tensions tarifaires sont abondamment médiatisées, leur impact réel sur l’inflation s’avère plus progressif. Selon une analyse récente, les entreprises absorbent pour l’instant une bonne partie des surcoûts pour ne pas brusquer la demande. 

Cela offre une marge de latence pour que les pressions désinflationnistes (baisse des prix de l’énergie, modération des loyers) gagnent du terrain.

Résilience variable des émergents

Une autre lumière dans le panorama sombre : tous les pays émergents ne réagiront pas de la même manière. Le phénomène d’ « spillover » (contagion) de la politique monétaire américaine aux économies en développement est documenté — mais les degrés d’impact varient selon les structures économiques, les politiques publiques et les niveaux d’intégration globale. 

 Certains pays dotés de réserves solides, de politiques budgétaires crédibles, ou d’accès à des financements multilatéraux, peuvent amortir la tempête.

Temps pour réformes structurelles

Cet arrêt anticipé de la Fed peut être vu aussi comme un moment de pause utile — l’occasion pour les États, les banques centrales et les acteurs privés de renforcer les fondamentaux : diversification économique, compétitivité, sécurité énergétique, résilience financière. Le Maroc, par exemple, pourrait profiter de cette fenêtre pour accélérer ses réformes structurelles — dans l’industrie, les services, l’agriculture ou les technologies.

Enjeux pour le Maroc et le monde émergent

Pour le Maroc, un pays à l’interface — entre des capitaux internationaux et des économies sensibles aux chocs externes — cette pause monétaire impose une double vigilance.

Soutien à l’investissement intérieur : quand l’accès au crédit international devient volatil, l’économie locale doit compenser par ses propres dynamiques — innovation, PME, partenariats régionaux.

Stabilité monétaire : toute pression sur le dirham pourrait aggraver le coût des importations, en particulier pour l’énergie ou les intrants industriels.

Renforcement des réserves extérieures : pour mieux absorber les chocs de liquidité extérieure, il importe d’accroître les réserves ou les lignes de crédit internationales.

Politique budgétaire prudente mais active : les finances publiques ne doivent pas craquer sous le poids de la dette à moyen terme, tout en gardant une marge pour les investissements stratégiques (infrastructures, transition écologique, éducation).

Dialogue international et diversification des partenariats : éviter une dépendance excessive aux flux de capitaux américains ; coopérer davantage avec d’autres pôles — Europe, Afrique subsaharienne, Asie.

Une accalmie trompeuse à manœuvrer avec lucidité

Cette pause décidée par la Fed n’est pas un signal de triomphe, mais un répit stratégique. Comme un sommet de montagne où l’on s’arrête un instant pour reprendre son souffle — mais le chemin à redescendre reste périlleux. Sous la surface — dans les économies, les dettes, les devises — l’onde du déséquilibre continue de se propager.

Leçon pour le Maroc : ne jamais confondre la clameur des marchés avec la santé de l’économie réelle. Mieux vaut la prudence audacieuse que l’enthousiasme naïf. En fin de compte, ce n’est pas le calme apparent qui protège, mais la robustesse sous-jacente.




Jeudi 9 Octobre 2025
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