Penser l’intelligence artificielle comme un paradigme systémique : une voie marocaine pour l’avenir


Par Dr Az-Eddine Bennani

L’intelligence artificielle n’est plus un simple domaine technologique. Elle recompose les équilibres sociaux, transforme la manière dont les institutions fonctionnent, redéfinit les structures économiques et modifie profondément la logique des territoires.

L’IA impose une nouvelle manière de comprendre le réel : le paradigme systémique. Dans ce paradigme, les flux, les interactions et les interdépendances importent davantage que les objets technologiques. Les territoires deviennent des systèmes vivants, capables d’apprendre, d’anticiper et d’agir sur eux-mêmes.

Le Maroc se trouve aujourd’hui à un tournant historique. Pour que l’IA soit un levier de souveraineté et non de dépendance, il doit la penser à partir de ses régions, de ses villes, de sa culture, de ses institutions et de son intelligence collective.



L’IA comme paradigme systémique

Réduire l’intelligence artificielle à des applications technologiques serait une erreur majeure.

L’IA modifie les interactions entre institutions, entreprises, citoyens et territoires ; transforme les processus d’apprentissage et de décision ; reconfigure les chaînes de valeur économiques, industrielles, logistiques et sociales ; intensifie les interdépendances entre secteurs et régions ; accélère la circulation des données, devenues le capital stratégique du XXIe siècle ; restructure profondément les sociétés.

La question fondamentale n’est pas : Quelle technologie utilisons-nous ? Mais : Comment l’IA transforme-t-elle nos systèmes sociaux, économiques, territoriaux et culturels ?

Les 13 régions du Maroc

Le Maroc est composé de treize territoires différents dans leurs ressources, leurs dynamiques et leurs potentiels. Ce ne sont pas des découpages administratifs, mais treize systèmes d’intelligence :

- Rabat–Salé–Kénitra : gouvernance nationale, institutions, services publics ;

- Casablanca–Settat : puissance financière, industrie, logistique ;

- Marrakech–Safi : patrimoine, tourisme, culture ;

- Fès–Meknès : artisanat, tradition, académique ;

- Tanger–Tétouan–Al Hoceïma : logistique mondiale, automobile, portuaire ;

- Oriental : énergies renouvelables, géostratégie ;

- Béni Mellal–Khénifra : agriculture, eau, hydraulique ;

- Drâa–Tafilalet : mines, astronomie, désert ;

- Souss–Massa : pêche, agro-industrie, export ;

- Guelmim–Oued Noun : interface Afrique–Maroc ;

- Laâyoune–Sakia El Hamra : énergies, ports ;

- Dakhla–Oued Ed-Dahab : économie bleue, aquaculture, datacenters verts ;

- Région des Marocains du Monde : intelligence diasporique globale.

Régions intelligentes et villes intelligentes : des systèmes vivants qui apprennent

Une région ou une ville devient intelligente non pas grâce à la technologie qu’elle possède, mais grâce à sa capacité à se comprendre elle-même. Une région intelligente intègre ses données territoriales en construisant une infrastructure de données régionales : mobilité, eau, énergie, environnement, agriculture, santé, sécurité, économie locale. Elle voit ce qui se passe en temps réel.

Elle anticipe ses besoins grâce à des modèles prédictifs pour prévoir les épisodes de sécheresse, les besoins hospitaliers, la consommation énergétique, les flux touristiques, les risques climatiques.

Elle se connecte en installant une gouvernance collaborative entre administrations, entreprises, universités, startups, associations et citoyens, ce qui accélère les décisions et réduit les silos.

Elle optimise ses infrastructures en appliquant l’IA à la gestion de l’eau, aux smart grids, au transport, au ramassage des déchets, à l’éclairage public, à la surveillance. Elle améliore ses services publics en créant une administration augmentée, accessible, rapide et personnalisée.

Elle renforce sa résilience en développant des capacités de détection précoce et de réaction rapide face aux crises climatiques, sanitaires, hydriques ou cyber. Une ville intelligente comprend ses flux urbains (trafic, chaleur, pollution, énergie) et ajuste en continu ses décisions.

L’alignement systémique

La performance d’un territoire dépend de la cohérence entre sa stratégie, ses compétences, ses données, ses technologies, ses institutions, son organisation et sa culture. L’alignement systémique est l’une des clés du développement de l’IA dans les régions. Avec alignement, les territoires deviennent des écosystèmes cohérents capables d’innovation durable.

MrabaData : un modèle marocain de souveraineté territoriale

MrabaData structure l’intelligence territoriale autour de quatre pôles : Territoire, Données, Acteurs, Processus. Il permet au Maroc de maîtriser ses données, d’élaborer une gouvernance intelligente, d’anticiper les crises, de comprendre ses dynamiques internes, de structurer ses stratégies régionales, de renforcer sa souveraineté.

Gouvernance systémique : piloter l’IA pour et par les territoires

Gouverner l’IA signifie choisir les usages prioritaires, structurer les données, garantir l’éthique, protéger la souveraineté cognitive, développer l’expertise locale, renforcer la résilience et contextualiser les outils. La gouvernance systémique est la condition de la maîtrise nationale de l’IA.

Le Maroc peut devenir une référence en matière d’intelligence artificielle en adoptant une pensée systémique, en ancrant l’IA dans les territoires, en développant des régions intelligentes, en maîtrisant ses données, en structurant sa gouvernance, en assurant l’alignement des acteurs et en renforçant sa souveraineté cognitive. L’IA souveraine marocaine émergera des territoires marocains eux-mêmes.

Par Dr Az-Eddine Bennani 


Mercredi 19 Novembre 2025

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