Peut-on confier sa détresse à une IA ? Entretien autour de Therabot, le psy virtuel

Et si votre prochain psychologue était une IA ?




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Alors que les troubles psychologiques explosent à travers le monde, la santé mentale devient l’un des enjeux les plus critiques du XXIe siècle. Or, face à la saturation des structures de soins, au manque de professionnels disponibles, et aux tabous toujours tenaces autour de la thérapie, une réponse inattendue surgit : l’intelligence artificielle. À Dartmouth, aux États-Unis, des chercheurs ont mis au point Therabot, un agent conversationnel pensé pour accompagner les personnes en souffrance psychique.

Ni coach de développement personnel ni remplaçant du psychologue, ce robot d’un genre nouveau revendique un positionnement éthique et encadré : aider à réguler les émotions, rompre la solitude, proposer un soutien accessible et sans jugement. Mais cette innovation soulève autant d’espoirs que de débats.

Peut-on vraiment nouer un lien thérapeutique avec une machine ? Que devient la notion d’écoute, de soin, de confidentialité à l’ère du numérique ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré un psychologue clinicien spécialisé dans l’impact des technologies sur la santé mentale. Il nous éclaire sur les promesses et les limites de ce qu’il appelle lui-même une « main tendue numérique ».

Entretien sans filtre, au croisement du progrès technique et des fragilités humaines.

1. Dans un contexte de crise mondiale de la santé mentale, pourquoi les chercheurs s’orientent-ils vers des solutions technologiques comme Therabot ? Que révèle ce choix sur l’état actuel de nos systèmes de soin ?

Le recours à l’intelligence artificielle dans le champ de la santé mentale, comme le montre le projet Therabot, reflète à la fois une urgence et une impasse. Urgence, car les troubles psychologiques explosent, en particulier chez les jeunes, les personnes isolées, ou les populations fragilisées par la précarité. Impasse, car les dispositifs publics sont saturés, les thérapeutes surchargés, et l’offre de soin reste inégalement répartie, notamment dans les zones rurales ou sous-développées. Therabot se présente alors comme une tentative de désengorgement partiel du système, mais aussi comme un révélateur : nos sociétés sont en train de chercher ailleurs ce qu’elles n’arrivent plus à garantir humainement. L’IA, ici, ne se substitue pas à l’humain, mais vient pallier ses absences. C’est le symptôme d’une médecine en mutation forcée, contrainte d’innover là où elle n’arrive plus à suivre. Cela dit, ce n’est pas un hasard si ce sont des chercheurs, et non des plateformes commerciales, qui sont à l’origine de Therabot : cela témoigne d’une volonté de poser un cadre éthique, scientifique et rigoureux à cette expérimentation technologique, ce qui est loin d’être le cas des multiples applications non régulées aujourd’hui disponibles sur les stores.

2. En quoi Therabot se distingue-t-il réellement des applications de bien-être mental qui pullulent aujourd’hui ? Est-il juste de parler d’une “révolution” dans la relation entre IA et psychothérapie ?

L’immense majorité des applications dites de "bien-être" repose sur des principes simplifiés de respiration, méditation ou auto-évaluation émotionnelle. Souvent conçues par des start-ups, elles ne sont ni régulées, ni validées cliniquement. Therabot, lui, part d’une autre logique : il est pensé comme une interface conversationnelle s’appuyant sur des thérapies cognitives et comportementales (TCC), avec des modules validés scientifiquement. Mais ce qui fait sa spécificité, c’est l’intégration d’un modèle de supervision humaine : Therabot n’agit jamais seul. Il intervient entre deux consultations, ou comme une aide ponctuelle pour des personnes déjà suivies. Il ne prétend pas diagnostiquer ou traiter, mais accompagne, soutient, oriente, tout en respectant des protocoles médicaux stricts. Loin d’être un gadget, il s’inscrit dans une approche clinique complémentaire, là où la plupart des autres solutions technologiques ne sont que des palliatifs marchands. Parler de “révolution” n’est donc pas exagéré, car c’est la première fois qu’une IA est pensée non pas comme une marchandise, mais comme un acteur encadré du soin psychologique.

3. Quelles sont les fonctions concrètes de Therabot au quotidien ? Comment peut-il aider un patient en détresse émotionnelle, sans se substituer à un thérapeute humain ?

Therabot intervient dans une logique d’appui entre deux séances. Il peut détecter certains signes faibles de détresse grâce à l’analyse du langage naturel et proposer des outils simples mais validés : exercices de respiration, reformulation positive, aide à la mise en mots des émotions, gestion de la rumination, rappel des objectifs thérapeutiques, encouragement à prendre soin de soi. Il fonctionne un peu comme un journal interactif, mais avec un niveau de compréhension et d’empathie simulée bien plus avancé. Ce que le patient reçoit, ce n’est pas une simple réponse automatique, mais une interaction construite pour encourager, écouter, apaiser. Le tout sans jugement, sans fatigue, et à n’importe quelle heure. Pour autant, Therabot ne fait jamais de diagnostic, ne prescrit rien, et surtout, dans les cas graves (pensées suicidaires, violences, troubles sévères), il oriente vers un professionnel humain. Il est donc un outil de prévention, de régulation émotionnelle, et de soutien discret, mais jamais un substitut au soin profond et long terme que seul un thérapeute peut offrir.

4. Justement, ne risque-t-on pas de voir des patients se contenter de Therabot, évitant ainsi la confrontation avec un thérapeute humain ? Cela ne pourrait-il pas créer une illusion de soin ?

C’est un risque réel, que les concepteurs de Therabot ont anticipé. L’illusion de soin est un piège classique dans le numérique : on confond “se sentir écouté” et “être pris en charge”. Pour éviter cela, Therabot intègre un certain nombre de garde-fous. D’abord, il évalue les situations à risque et ne poursuit pas la conversation s’il estime que l’état du patient dépasse son champ d’intervention. Ensuite, il répète régulièrement qu’il n’est pas un thérapeute, qu’il ne remplace pas une consultation, et qu’il existe des numéros d’urgence ou des professionnels vers qui se tourner. Enfin, il propose des messages clairs en cas d’aggravation de l’état émotionnel. Malgré tout, l’illusion reste possible, surtout dans les contextes où l’accès au soin est difficile ou honteux. Cela montre bien que Therabot ne peut fonctionner qu’en complément d’une politique de santé plus large, visant à démocratiser l’accès aux psychologues et psychiatres, et à désacraliser la démarche de consulter.

5. L’un des grands atouts de Therabot semble être sa disponibilité 24h/24 et son absence de jugement. Est-ce que cela change la donne pour certains publics traditionnellement exclus du soin psychologique ?

Absolument. C’est même là que réside l’un des apports les plus intéressants de Therabot. Dans de nombreuses cultures ou contextes sociaux, consulter un psychologue reste associé à la honte, au tabou, voire à une forme de faiblesse. Les hommes, par exemple, sont souvent moins enclins à exprimer leurs émotions ou à aller consulter, de peur d’être perçus comme vulnérables. De même, les personnes âgées isolées, les adolescents, ou les populations rurales ont peu accès à des services de santé mentale, pour des raisons économiques, géographiques ou culturelles. Therabot, en étant toujours disponible, anonyme, et sans jugement, permet de briser ces barrières. Il devient une porte d’entrée vers un mieux-être, un premier espace d’expression sécurisant. Même si cela ne suffit pas toujours, cela change déjà beaucoup de choses : la personne ne se sent plus seule, elle est entendue, même par une machine. C’est un paradoxe étrange, mais réel : parfois, le premier pas vers un soin humain, c’est un dialogue avec un robot empathique.

6. Certains pourraient objecter que l’empathie d’un robot reste simulée. Peut-on vraiment créer un lien thérapeutique avec une intelligence artificielle, même bien conçue ? N’est-ce pas là une forme de tromperie affective ?

C’est une question philosophique autant que psychologique. L’empathie de Therabot n’est pas authentique au sens humain du terme : c’est une construction algorithmique, fondée sur la reconnaissance de certains motifs de langage, et la reformulation bienveillante de contenus émotionnels. Mais est-ce pour autant une tromperie ? Pas nécessairement. De nombreux patients, en réalité, n’attendent pas une empathie sincère, mais un cadre d’écoute, une cohérence dans les réponses, et surtout un effet de soulagement. Therabot peut produire cet effet, de manière fiable et répétée. Et dans un monde où l’on parle déjà à des assistants vocaux, où l’on confie ses peines à des forums, est-ce si étrange de s’adresser à une IA structurée et conçue pour écouter ? Le lien thérapeutique, au fond, repose sur une alliance de confiance. Si celle-ci peut émerger entre un humain et une interface, tant que le cadre est clair et transparent, cela n’a rien de toxique. Ce qui serait dangereux, c’est de laisser croire que Therabot est un substitut complet à une relation humaine profonde. Tant qu’on ne franchit pas cette ligne, le “lien” qu’il crée reste utile, et parfois même salutaire.

7. La question de la confidentialité est cruciale. Comment Therabot protège-t-il les données sensibles de ses utilisateurs, et qui est responsable en cas de défaillance ?

C’est ici que la différence entre une initiative universitaire comme Therabot et des applications commerciales se manifeste de manière décisive. Les concepteurs de Therabot ont dès le départ intégré des principes stricts de sécurité des données. Les conversations ne sont ni utilisées à des fins commerciales, ni revendues, ni analysées hors du cadre médical. Elles sont stockées de façon cryptée, et souvent anonymisées, pour éviter tout risque d’identification. De plus, le système est encadré par un comité éthique indépendant, qui supervise non seulement le développement technologique, mais aussi les usages autorisés. En cas de défaillance, la responsabilité incombe à l’équipe de recherche et à l’institution universitaire qui porte le projet – ce qui renforce la vigilance dans la conception. Contrairement aux géants du numérique, ici, l’enjeu n’est pas la monétisation de l’attention, mais la recherche de solutions au service du bien-être psychologique. Cela dit, il reste toujours un risque technologique résiduel, comme dans toute interface connectée. Il faut donc informer les utilisateurs sur leurs droits, leurs protections, et leurs limites, pour que l’alliance thérapeutique – même numérique – repose sur la confiance.

8. Finalement, Therabot ouvre un débat plus large : celui de l’automatisation de l’intime. Peut-on, selon vous, confier notre “âme” à une machine ? Et que dit ce projet sur l’état de notre société ?

C’est la question de fond, presque existentielle. Therabot n’est pas simplement un outil : il interroge la manière dont notre époque conçoit le lien, l’écoute, et le soin. À mesure que nos rythmes de vie s’accélèrent, que les liens sociaux se délitent et que la solitude progresse, nous cherchons des réponses rapides, disponibles, silencieuses. L’IA devient un miroir de nos manques collectifs. Confier une partie de notre vulnérabilité à une machine, c’est sans doute révélateur : cela montre à quel point nous sommes en manque de disponibilité humaine, de présence, d’attention sincère. Est-ce un progrès ? Peut-être. Mais c’est aussi un signal d’alerte. Si l’IA devient notre confident principal, c’est peut-être que la société humaine ne joue plus pleinement son rôle de soutien. Therabot, malgré ses qualités, ne doit donc pas être une excuse pour abandonner les politiques publiques de santé mentale, ni pour déshumaniser le soin. C’est un complément, pas un substitut. Il nous oblige à réfléchir, non pas tant à ce qu’une machine peut faire pour nous, mais à ce que nous, humains, avons cessé de faire les uns pour les autres.

​Nous remercions chaleureusement notre invité pour la clarté de ses réponses et la profondeur de son regard sur une thématique aussi sensible que complexe.

À travers cet échange, il apparaît que Therabot, loin d’être une simple innovation gadget, ouvre une véritable réflexion sur la manière dont nous envisageons le soin, l’écoute et le lien humain à l’ère de l’intelligence artificielle. Si la technologie peut soulager, accompagner et prévenir, elle ne remplacera jamais la chaleur d’un regard, la subtilité d’une présence ou la sagesse d’un professionnel expérimenté. Mais dans un monde en mutation, elle peut – peut-être – être un relais, un appui, un pont. Que cet entretien serve à nourrir le débat, à poser les bonnes questions, et à rappeler que derrière chaque avancée technologique, il y a toujours une responsabilité humaine. Merci de nous avoir lus jusqu’au bout.

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Vendredi 9 Mai 2025



Rédigé par La Rédaction le Vendredi 9 Mai 2025
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