Plaidoyer pour une nouvelle architecture des Finances publiques

Alerte sur le risque d’une nouvelle crise financière globale à venir


Rédigé par La rédaction le Samedi 20 Novembre 2021

Colloque le 19 novembre 2021 : Le Ministère de l’économie et des finances, la Trésorerie Générale du Royaume en partenariat avec l’Association la Fondation Internationale de Finances Publiques (Fondafip)



Par Taoufiq Boudchiche, Économiste.

Les conférences introductives du Professeur Bouvier et de Monsieur Bensouda, Trésorier Général du Royaume, ont été de vifs plaidoyers pour des réformes profondes des modèles des finances publiques en vigueur. Avec en priorité la question de la gouvernance des systèmes financiers pris dans leur globalité pour répondre aux défis du futur.

Selon le Professeur Bouvier, ces modèles dont les fondations ont été posées le siècle dernier comportent le risque d’être inopérants devant les attentes d’un retour en force de l’Etat providence et des défis du futur.

Un futur, dont la crise sanitaire a révélé, voire confirmé, les nouvelles données à prendre en compte :
- l’amplification  des incertitudes et de  l’insécurité ;
- les transformations structurelles au plan économique et sociétal qui traversent le monde et qui s’accélèrent dans le contexte post covid ;
 - les menaces globales liées à la fois au climat, à l’impact des crises récurrentes et  à leur imprévisibilité ;
 - la complexité,  la pluralité des acteurs et les intérêts contradictoires auxquels les finances publiques sont confrontés ;
- Un basculement du rôle de l’Etat comme recours essentiel en termes de gestion de crise et le retour des attentes des citoyens en termes de protection et de sécurité sanitaire et sociale;
 - les dangers d’un effritement du système fiscal lequel mérite d’être repensé face à l’évasion fiscale et l’évitement fiscal des géants du numérique.

A ces défis qui reflètent les transitions profondes en cours, s’ajoutent certaines menaces probablement plus prévisibles inhérentes aux chocs qui s’annoncent du fait des réponses dissymétriques  des  systèmes monétaires des grands pôles de puissance économique (en référence aux USA et à l’Union Européenne) face à la crise actuelle.

A titre d’illustration, ont été citées,  les réponses en cours des États Unis qui ont engagé des plans d’investissements économiques et sociaux massifs impliquant de fortes dépenses publiques. Celles ci selon M. Bouvier, ne manqueraient pas de provoquer des tensions inflationnistes, aux États Unis alors que l’Union Européenne préconise pour l’avenir au niveau de ses États membres plutôt de réduire la dette et la dépense publique.

Dans un tel contexte monétaire il serait à prévoir une hausse probable des taux d’intérêt aux USA pour contenir les tensions inflationnistes résultant d’une telle politique monétaire. Cela entraînerait forcément un fort risque de voir l’épargne mondiale et les flux des capitaux en Euros s’orienter vers l’achat de dollars, vers les banques et les marchés financiers  américains, potentiellement plus rémunérateurs du fait de cette  augmentation possible des taux d’intérêt. Le résultat serait une déstabilisation générale des systèmes monétaires et financiers de ces grands pôles mondiaux.

On ne serait donc pas a l’abri, selon M. Bouvier,  d’un déséquilibre monétaire et financier global dans un futur prévisible, susceptible de générer une nouvelle crise financière d’ampleur.

Ce constat a également été établi par Monsieur Bensouda qui a « décortiqué » le système des finances publiques au Maroc sous l’angle de l’évolution des réformes fiscales  successives. Il  a notamment mis l’accent sur les risques posés,  par la mobilité et la délocalisation des assiettes fiscales, conjugués à celui de la dette publique qui posent des problématiques nouvelles aux finances publiques. Lesquelles finances publiques sont appelées à jouer un rôle de plus en plus central pour les réformes à entreprendre notamment dans le cadre du nouveau modèle de développement et pour répondre aux crises telles que celles que nous vivons face aux urgences sociales.

Des finances publiques qui au passage, a t il souligné, au Maroc ont  été en première ligne pour répondre à la crise sanitaire au Maroc. Notamment, a été évoquée, l’heureuse initiative royale de la création du fonds covid-19 qui a permis d’atténuer considérablement les impacts sociaux de la crise sanitaire chez les couches fragiles.

La convergence des points de vue a été notée en outre lors des deux conférences introductives sur la nécessité de réformer en profondeur l’architecture des finances publiques aux niveaux décisionnels. La réforme de la régulation des finances publiques par des ajustements de gestion serait désormais insuffisante. C’est au niveau institutionnel de la gouvernance globale des finances publiques qu’il conviendrait d’agir pour tenir compte des basculements et des transitions économiques et sociétales en cours d’une part et, d’autre part, faire face aux impératifs d’équilibre entre la dépense publique et les ressources fiscales afin de consolider le socle sur lequel repose les finances publiques.

La complexité des systèmes, la fragmentation des intérêts associés aux  corporatismes ainsi que l’absolue nécessité de réagir rapidement aux crises de plus plus inédites et imprévisibles, exigeraient donc de repenser en profondeur l’architecture globale des systèmes financiers.

Madame la Ministre de l’Economie et des Finances, dans son intervention inaugurale, tout en saluant l’initiative de ce colloque a exprimé ses attentes pour recueillir de cette rencontre en tant que responsable du secteur monétaire et financier, des nouvelles pistes de réflexion. Selon elle, celles-ci pourraient enrichir la mise en œuvre des réformes en cours portées par le nouveau gouvernement  telles que présentées récemment devant le parlement à travers la nouvelle loi de finances.

Elle a notamment évoqué les pressions exercées sur les finances publiques en relation avec les défis du recentrage des politiques publiques sur les enjeux  sociaux de l ’éducation, de la santé,  de l’emploi, de la protection des personnes âgées, de la généralisation de la protection sociale et  des allocations familiales programmées dans les années à venir. Cela, tout en devant assurer les mesures d’encouragement à l’investissement productif, celles incitant à la relance économique et celles visant à  actionner  tous les leviers de la croissance économique et de la création de richesses.

Monsieur Bensouda a plus ou moins déjà évoqué une première piste lors de son intervention en soulignant la nécessité d’un nouveau contrat de partenariat et d’intelligence collective entre secteur public et privé pour engager les réformes nécessaires. Selon le Trésorier Général, il y a nécessité d’une nouvelle solidarité à produire entre acteurs publics et privés par les bonnes décisions fiscales et celles d’une bonne gouvernance des finances publiques afin d’atteindre les objectifs majeurs de redistribution et de justice sociale telles qu’énoncées par les orientations royales en faveur de l’Etat Social d’une nouvelle génération.

Parmi les invités spéciaux de cette première journée, M.Benmoussa a présenté les grandes lignes du nouveau modèle de développement. Et, parmi les invités français Monsieur Jacques de Larosière, ancien directeur général du FMI et ancien Gouverneur  de la Banque de France, a quant à lui bien voulu partager quelques réflexions à partir de son expérience à la tête de grandes institutions financières internationales.

Monsieur de Larosière à plaidé  pour l’importance à accorder à la stabilité des systèmes financiers comme gage d’équilibre macroéconomique entre la dépense publique, la fiscalité incitative de croissance et le recours à la dette. Les liens, voire les corrélations, selon lui, entre croissance de la dépense publique et impacts positifs sur le développement humain (éducation, santé et emploi…) ne seraient pas, nécessairement automatiques selon les résultats des études menées à cette fin, voire pourraient être contreproductives en limitant les marges de manœuvre des pouvoirs publics par le recours aux déficits budgétaires et à l’endettement public pour financer ces déficits.

Par Taoufiq Boudchiche, Économiste.





Samedi 20 Novembre 2021
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