Pour une souveraineté numérique africaine


Pourquoi l’Afrique et le Maroc en particulier doit miser sur des petits data centers frugaux et localisés ?

Par Dr Az-Eddine Bennani

L’un des biais récurrents dans les débats sur l’intelligence artificielle en Afrique et que l’on retrouve encore dans le texte paru dans Le360 — consiste à comparer systématiquement les pays africains à l’Europe, à l’Asie ou aux États-Unis. Or, cette comparaison n’a pas de sens. Elle est même contre-productive.

Elle enferme le continent dans une course impossible : celle des « méga data centers », des capacités énergétiques hors normes et des investissements pharaoniques qui ne correspondent ni aux réalités africaines ni aux priorités des populations.



L’Afrique n’a pas besoin de copier le modèle des autres continents.

Elle a besoin de construire le sien. Les pays africains reposent sur des structures économiques, des dynamiques sociales, des écosystèmes numériques et des capacités énergétiques très éloignées de celles des grands pôles technologiques mondiaux.

Comparer systématiquement les contextes revient à ignorer les besoins locaux, à renforcer une dépendance structurelle envers les grandes plateformes et à retarder l’émergence d’une souveraineté cognitive authentique.

Dans mes analyses, je souligne que l’Afrique n’est pas en manque de talents, mais en manque d’infrastructures adaptées à ce qu’elle est réellement — et non à ce que d’autres voudraient qu’elle ressemble.

La réponse n’est donc pas dans les mégastructures technologiques importées, mais dans un modèle sobre et réaliste : des petits data centers distribués, frugaux, souverains et centrés sur les besoins locaux.

L’IA utile au continent doit être conçue à partir de données administratives, linguistiques, sectorielles, sociales, culturelles, économiques et territoriales. Ces données n’ont pas vocation à quitter le continent et n’exigent pas de mégastructures pour être traitées.

Les méga-data centers, quant à eux, se heurtent aux réalités africaines :

Fortes exigences énergétiques, refroidissement complexe, coûts colossaux, dépendance technologique accrue. Ce sont souvent des infrastructures déconnectées des priorités africaines. La souveraineté numérique ne dépend pas de la taille des infrastructures, mais du contrôle. Posséder un immense data center ne garantit rien.

Maîtriser ses données, oui. Le Maroc possède une vision numérique claire, une dynamique technologique en expansion, un tissu entrepreneurial en transformation, une expérience solide dans la coopération africaine et un positionnement stratégique unique.

Ces atouts permettent d’imaginer un réseau africain de petits data centers frugaux — un modèle africain pensé en Afrique, déployé en Afrique. Cette orientation rejoint pleinement les principes de la Frugal AI que je défends : le juste besoin, la juste puissance, la juste donnée, la juste énergie.

Il est urgent de cesser les comparaisons avec la Silicon Valley, l’Europe ou l’Asie.

Ces comparaisons produisent des diagnostics erronés, des politiques inadaptées et renforcent une dépendance technologique dangereuse. Avec des petits data centers frugaux, souverains et distribués, l’Afrique pourra contrôler ses données, former ses ingénieurs, créer ses propres IA, réduire sa dépendance technologique et bâtir un modèle africain authentique du numérique.

C’est cette trajectoire que je défends : une souveraineté numérique africaine fondée sur la sobriété, la proximité et l’intelligence des territoires.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Vendredi 28 Novembre 2025

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