Projet de loi : Journalistes marocains : entre droits consolidés et responsabilités renforcées

Un décryptage initial, mais la rédaction reviendra plus en détails sur le sujet.


Rédigé par La rédaction le Jeudi 3 Juillet 2025

Le projet de loi n°25.26 relatif à la presse et à l’édition, actuellement en cours d’examen, redéfinit les contours de la profession journalistique au Maroc. Il érige un équilibre subtil entre la protection des libertés fondamentales et le renforcement des obligations professionnelles.



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Une réforme attendue dans un paysage médiatique en mutation

Dans un contexte marqué par la montée des réseaux sociaux, la prolifération de fausses informations et la polarisation croissante de l’opinion publique, le rôle du journaliste n’a jamais été aussi stratégique. Face à ces défis, le Maroc entreprend une réforme législative ambitieuse avec le projet de loi n°25.26. Ce texte ne se contente pas de moderniser le cadre légal de la presse : il redéfinit le contrat moral entre la profession et la société.

À travers ses différentes dispositions, cette loi cherche à répondre à une question fondamentale : comment garantir une presse libre, crédible et responsable dans une société démocratique ? Pour cela, elle s’articule autour de deux axes essentiels : les droits garantis aux journalistes et les responsabilités qui en découlent.

Le socle des droits fondamentaux du journaliste

1. Le droit à la reconnaissance professionnelle

Le projet de loi consacre le principe d’un statut clair du journaliste professionnel. Toute personne exerçant une activité régulière d'information, pour le compte d’une entreprise de presse légalement constituée, peut se voir attribuer la carte de presse professionnelle. Celle-ci n’est plus seulement symbolique : elle devient un véritable certificat de légitimité, donnant accès à des droits sociaux et des protections spécifiques.

2. Liberté d’expression et indépendance éditoriale

La loi garantit explicitement la liberté d’opinion, d’expression et de publication, dans le respect de la Constitution et des engagements internationaux du Maroc. Aucune autorité administrative ne peut exercer de censure préalable sur les contenus publiés. Les journalistes sont libres de traiter les sujets qu’ils jugent pertinents, y compris ceux considérés comme sensibles, pourvu qu’ils respectent les règles de déontologie.

3. Accès à l’information publique

Le projet affirme un droit d’accès aux sources d’information détenues par l’administration, les collectivités territoriales et les établissements publics. Ce droit, encadré par des procédures précises, vise à renforcer la transparence et à permettre aux journalistes d’exercer une fonction de veille sur les politiques publiques. Des garde-fous sont toutefois prévus pour protéger les informations touchant à la sécurité nationale ou à la vie privée.

4. Protection des sources d’information

La confidentialité des sources est consacrée comme un droit fondamental. Les journalistes ne peuvent être contraints de révéler l’identité de leurs sources, sauf dans des cas exceptionnels où la justice estime que l’intérêt public supérieur le justifie. Cette disposition vise à renforcer la confiance entre journalistes et informateurs, essentielle à l’investigation.

5. Protection contre les pressions et les intimidations

Le texte législatif érige en infraction toute tentative d’entrave au travail journalistique, y compris les menaces, les agressions, ou les pressions exercées par des groupes d’intérêts ou des représentants de l’État. La protection physique, morale et juridique des journalistes devient une priorité explicite de l’État.

Des responsabilités renforcées face à la société

Si la liberté est affirmée avec force, elle est contrebalancée par une série de devoirs et d’obligations éthiques. Le projet de loi n°25.26 insiste sur la responsabilité sociale du journaliste, qui ne peut se prévaloir de son statut pour diffuser des informations mensongères, inciter à la haine, ou porter atteinte aux droits d’autrui.

1. Obligation de véracité et de rigueur

La loi exige des journalistes qu’ils s’assurent, par tous les moyens disponibles, de la véracité des faits rapportés. Elle interdit la publication de nouvelles fausses ou délibérément manipulées, même si celles-ci émanent de sources considérées comme fiables. Le devoir de vérification prime sur la course au scoop.

2. Respect de la dignité humaine et de la vie privée

Toute atteinte à la dignité, à la réputation ou à la vie privée des personnes est sanctionnée. La loi encadre strictement la manière dont les journalistes peuvent évoquer des faits relevant de la sphère intime, notamment en ce qui concerne les mineurs, les victimes ou les personnes non publiques.

3. Interdiction de l’incitation à la haine ou à la violence

Le projet de loi interdit formellement tout contenu incitant à la haine raciale, religieuse, ethnique ou sexuelle, ou à la violence sous quelque forme que ce soit. Ces infractions peuvent faire l’objet de poursuites pénales, mais la loi favorise les sanctions pécuniaires plutôt que les peines de prison, sauf en cas de récidive grave.

4. Responsabilité éditoriale individuelle et collective

Le journaliste est personnellement responsable des contenus qu’il signe ou relaie. Toutefois, la direction de la publication, l’entreprise de presse et les éditeurs peuvent également être tenus pour responsables en cas de manquement collectif. Cela vise à impliquer l’ensemble de la chaîne éditoriale dans la vigilance éthique.

5. Soumission aux règles déontologiques

La loi renforce le rôle du Conseil national de la presse (CNP) en tant qu’organe de régulation professionnelle. Il peut prononcer des sanctions disciplinaires, proposer des chartes éthiques et recevoir les plaintes du public. Le respect des règles déontologiques ne relève donc plus seulement de la morale individuelle, mais devient un cadre structurant pour l’ensemble du secteur.

Une modernisation sans criminalisation

Un des points les plus commentés du texte est la suppression des peines privatives de liberté pour les délits de presse. Contrairement aux anciennes pratiques, un journaliste ne pourra plus être emprisonné pour un article, sauf en cas de diffamation ou d’atteinte grave à l’ordre public assortie de récidive.

Le législateur mise désormais sur des sanctions financières proportionnées, associées à des rectificatifs publics. Ce choix politique témoigne d’une volonté de décrisper la relation entre presse et pouvoir judiciaire, tout en responsabilisant davantage les professionnels du secteur.

Enjeux d’application et vigilance citoyenne

Le projet de loi n°25.26 est salué par une partie de la profession pour sa clarté, sa logique d’équilibre et la protection qu’il offre. Mais certains observateurs soulignent que tout dépendra de son application réelle, notamment dans les régions, où les journalistes sont plus vulnérables aux pressions locales.

D’autres s’inquiètent des marges d’interprétation laissées à certaines dispositions, comme les limites imposées à l’accès à l’information ou la définition de l’ordre public. Une vigilance démocratique s’impose pour que ces clauses ne soient pas utilisées de manière arbitraire.
 

Une loi pour réconcilier la presse et son public

En redéfinissant les droits et les devoirs des journalistes, le projet de loi n°25.26 tente de restaurer la confiance dans une profession souvent critiquée, parfois menacée, mais toujours indispensable. Dans une époque saturée d’opinions, de fake news et de tensions identitaires, la figure du journaliste professionnel  libre, rigoureux et éthique apparaît comme un rempart démocratique essentiel.

Ce texte n’est pas une fin en soi, mais un point de départ. Il reste à mettre en place les moyens humains, institutionnels et éducatifs pour que les principes posés deviennent réalité. Car une presse libre n’est jamais acquise : elle se construit, se défend et se réinvente chaque jour.




Jeudi 3 Juillet 2025
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