Quand l’IA entre dans les entreprises : le Maroc face au miroir des économies du G7


Par Dr Az-Eddine Bennani

L’IA comme transformation, non comme technologie.

L’étude internationale souligne que les entreprises qui réussissent leur passage à l’IA ne se contentent pas d’acheter des outils : elles repensent leurs processus, leurs compétences et leur gouvernance. Cette lecture rejoint directement le modèle de l’entreprise intelligente que j’ai proposé : une organisation capable d’apprendre, d’interagir et de décider en symbiose avec ses systèmes d’information et ses équipes humaines.

Adopter l’IA, c’est d’abord réaligner l’entreprise autour du savoir, des données et de la décision. C’est aussi accepter de dépasser le concept ERP, hérité du XXᵉ siècle, pour entrer dans celui des plateformes AI-native, modulaires, auto-apprenantes et auditées en continu.



Des freins universels, mais des réponses à localiser

Les obstacles identifiés par l’OCDE sont connus : manque de compétences, difficultés d’accès aux données, faible compréhension du management et flou réglementaire. Mais le Maroc ne peut pas simplement copier les solutions du G7. Notre tissu productif est dominé par les PME et les artisans, nos infrastructures de données sont encore fragiles, et la dépendance aux plateformes étrangères crée une captivité technologique préoccupante.

C’est pourquoi la transformation doit s’accompagner d’un socle de souveraineté numérique :

- des data centers marocains interconnectés,
- une identité numérique nationale intégrée à MrabaData,
- un dirham digital sécurisé,
- et des espaces de données sectoriels (santé, artisanat, tourisme, éducation).

Du diagnostic à l’action : le rôle clé de la CGEM et des territoires

Si les grandes entreprises disposent déjà de moyens pour expérimenter, les PME marocaines ont besoin d’un dispositif structuré d’accompagnement. Je propose, à l’image du rapport du G7, la création d’un programme “AI Fast-Track PME”, porté par la CGEM, qui reposerait sur trois leviers :

1. Diagnostic express (30 jours) : maturité data, compétences, gouvernance.
2. Cas d’usage ciblé (90 jours) : automatisation, maintenance prédictive, relation client, etc.
3. Coaching et financement (180 jours) : via un fonds mixte public-privé IA PME.

Ce programme doit s’appuyer sur les territoires : les écosystèmes régionaux (Rabat, Casablanca, Fès, Agadir, Dakhla) deviendraient des pôles AI métiers, où universités, startups et institutions locales co-construisent des solutions adaptées.

Souveraineté, culture et performance systémique

Le rapport international reste silencieux sur la dimension culturelle de l’IA. Or, c’est là que se joue la différence. Au Maroc, l’intelligence artificielle doit être une technologie de civilisation, pas une simple importation. Elle doit dialoguer avec notre langue, nos valeurs, notre économie et nos savoirs-faire du caftan à la data, de la main du Maâlam à la main numérique.

La performance ne peut plus être mesurée uniquement en productivité : elle doit intégrer l’inclusion, la qualité du service public, la résilience environnementale, et la souveraineté cognitive. C’est cette logique systémique que je défends : passer d’une IA consommée à une IA comprise, gouvernée et cultivée.

Industrialiser l’intelligence sans aliéner la souveraineté

Le rapport du G7 nous montre ce que font les autres ; il ne dit pas ce que nous devons être. Pour le Maroc, le défi est d’industrialiser l’intelligence sans aliéner notre souveraineté. Cela suppose une loi-cadre IA ambitieuse, un modèle économique souverain (MrabaData, dirham digital), et une nouvelle alliance entre l’État, les entreprises et les universités.

La révolution de l’IA ne se gagnera ni dans le code seul ni dans les slogans : elle se jouera dans la capacité à créer du sens, de la confiance et de la valeur locale. C’est cela, au fond, que signifie construire une entreprise intelligente à échelle humaine.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Mardi 4 Novembre 2025

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