Quand l’été marocain devient un champ de bataille invisible


Rédigé par le Lundi 4 Aout 2025

Depuis quelques semaines, un vent étrange souffle sur les réseaux sociaux : vidéos, témoignages, photos, slogans… tous semblent pointer du doigt le Maroc comme une destination hostile à ses propres enfants de l’étranger. Derrière ce brouhaha numérique, une guerre économique douce se joue, visant un maillon essentiel de notre équilibre : la relation entre le Royaume et ses Marocains du monde. Observateur marocain installé à l’étranger, je ne peux que m’interroger : qui a intérêt à miner ce lien vital, et surtout… pourquoi maintenant ?



​Une offensive qui ne dit pas son nom

Cela commence souvent par une simple vidéo TikTok ou un post Facebook. Un Marocain filme une plage presque vide, un autre déplore les prix exorbitants d’un café ou d’un billet d’avion. Individuellement, rien de choquant. Mais quand ces contenus se multiplient, qu’ils reprennent les mêmes arguments, qu’ils surgissent comme par hasard au début de la haute saison touristique… le doute s’installe.

En parcourant ces publications, on retrouve un schéma bien rodé :

Titres alarmistes, souvent écrits en majuscules.
Images choisies hors contexte, comme une médina déserte filmée à 7h du matin.
Témoignages montés de manière à faire oublier les nuances.

Le phénomène prend l’allure d’une campagne coordonnée, ce que certains spécialistes en intelligence économique appellent "l’ingénierie de perception négative". En clair, il s’agit de créer une émotion, ici le rejet ou la déception, pour influencer des comportements économiques.

​Les MRE, piliers discrets mais décisifs

On oublie trop souvent que la diaspora marocaine n’est pas seulement une source de transferts financiers, qui dépassent les 100 milliards de dirhams par an, mais aussi un acteur stratégique pour la souveraineté nationale. Chaque été, les Marocains résidant à l’étranger (MRE) soutiennent des milliers de commerces, d’hôtels, de taxis, de restaurants et d’artisans. Leur présence redonne vie à des villes entières.

Au-delà des chiffres, il y a une dimension affective et symbolique : revenir au pays, ce n’est pas juste prendre des vacances, c’est renouveler un pacte invisible avec la patrie. C’est pour cela que toucher à cette relation, c’est attaquer une fibre intime.

​À charge : un Maroc parfois peu accueillant

Soyons honnêtes : si ces campagnes trouvent un écho, c’est aussi parce qu’il existe un fond de vérité. Oui, certains prix en haute saison sont abusifs, certaines infrastructures saturées, et il arrive que l’accueil ne soit pas à la hauteur. Les MRE, habitués à d’autres standards à l’étranger, peuvent ressentir un contraste brutal.

D’ailleurs, plusieurs associations de la diaspora plaident depuis longtemps pour :

Des tarifs aériens plus justes.
Un service public d’accueil digne à l’arrivée dans les ports et aéroports.
Une meilleure régulation des prix touristiques.

Ne pas le reconnaître serait contre-productif. C’est précisément parce que ces irritants existent qu’ils deviennent un levier facile à exploiter par ceux qui veulent nuire.

​ À décharge : des récits déformés et amplifiés

Cependant, le problème n’est pas seulement ce qui est dit… mais comment c’est dit. On joue sur le ressenti, on gomme les nuances, on transforme un incident isolé en tendance générale.

Exemple : une vidéo montrant un parking vide à Agadir en pleine semaine de Ramadan est partagée en juillet, légendée "plus aucun touriste ne vient". Ou encore, une photo de plage polluée après un festival est utilisée comme preuve d’une "catastrophe environnementale permanente".

Ces pratiques relèvent moins de la critique citoyenne que de la désinformation ciblée. Le but n’est pas d’améliorer les choses, mais d’éroder la confiance et l’attachement.

​Pourquoi maintenant ?

L’attaque n’arrive pas par hasard. Le Maroc vit une phase où il attire les investissements, se prépare à accueillir la Coupe du Monde 2030 et renforce son image à l’international. Dans ce contexte, affaiblir la confiance des MRE revient à toucher un levier économique stratégique.

À l’échelle internationale, plusieurs pays se livrent une compétition féroce pour attirer les talents, les capitaux et les touristes issus de leurs diasporas. Si une partie des Marocains de l’étranger choisissait de passer ses vacances ailleurs, l’impact serait direct sur notre balance touristique et indirect sur notre moral collectif.

​ Ce que dit l’histoire récente

Ce n’est pas la première fois que la diaspora marocaine est ciblée. En 2020, au début de la pandémie, des rumeurs massives circulaient déjà sur "l’impossibilité" de revenir au pays cet été-là, bien avant que des annonces officielles ne soient faites.

Plus récemment, à l’approche de grands événements sportifs ou politiques, des pics de contenus négatifs sont apparus, souvent synchronisés avec des débats sensibles au Maroc.

Cela confirme que la perception publique est désormais un terrain de bataille stratégique, au même titre que l’économie ou la diplomatie.

Quelles réponses possibles ?

Le Maroc ne peut se contenter de réagir ponctuellement. Trois pistes paraissent essentielles :

Renforcer la communication proactive
Publier des données transparentes sur l’affluence touristique, les prix moyens, les initiatives d’accueil. Anticiper les campagnes négatives par un récit positif documenté.

Impliquer la diaspora dans la riposte
Les MRE sont les meilleurs ambassadeurs… mais aussi les premiers témoins des problèmes. Les écouter, intégrer leurs propositions, leur donner des canaux directs pour signaler les abus.

Professionnaliser la veille numérique
Mettre en place une cellule dédiée à la détection et à l’analyse des campagnes de désinformation touchant l’économie nationale.

​Un enjeu identitaire autant qu’économique

Derrière les chiffres et les vidéos virales, il y a une bataille plus profonde : celle du lien affectif qui unit les Marocains du monde à leur pays. Ce lien ne se mesure pas seulement en dirhams transférés ou en nuitées réservées, mais en fierté partagée, en histoires transmises, en projets construits ensemble.

Si ce lien se fissure, c’est toute une partie de notre force collective qui s’effrite. À l’inverse, si nous le consolidons, il devient un rempart contre les crises et un moteur pour les ambitions nationales.

De là où j’écris, au-delà des frontières, je vois cette bataille silencieuse se jouer sur nos écrans. Elle est subtile, insidieuse, mais lourde de conséquences. Il ne s’agit pas de nier les difficultés réelles, mais de ne pas laisser d’autres les amplifier pour servir leurs intérêts.

Protéger le lien entre le Maroc et ses enfants de l’étranger, c’est défendre bien plus qu’un chiffre dans un rapport économique : c’est préserver un morceau de nous-mêmes.

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Lundi 4 Aout 2025
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