Délibérations laborieuses
Ce Code de procédure civile a été laborieusement préparé par l’exécutif puisqu’il n’a été déposé au Parlement que le 9 novembre 2023. La procédure parlementaire qui a suivi pour sa délibération et son adoption n’a pas été plus diligente : tant s’en faut. Les commissions compétentes de la législation et de la justice saisies, ont mis pratiquement dix-huit mois pour l’adopter avant les séances plénières de la Chambre des conseillers (27 mai 2025) et de la Chambre des représentants (8 juillet 2025). Ces votes se distinguent par une faible participation : respectivement 31 voix contre 3 et 5 abstentions pour la Chambre haute et 104 oui contre 35 pour la Chambre basse, le taux moyen tournant autour de 35 %. L’absentéisme parlementaire est donc structurel. Des textes aussi importants que la loi de finances 2025 , ou la loi organique sur le droit de grève ont été votés respectivement par 59 voix contre 3 et 5 abstentions pour la Chambre haute et avec 178 voix contre 17 pour la Chambre des représentants et 124 contre 41 (31 %).
Cela dit, sur quoi a porté en l’espèce l’invalidation de certains articles de la loi électorale ? Avec l’article 17 (al. 1), c’est assurément un gros problème posé. Ces dispositions stipulent ce qui suit : « Le ministère public compétent, même s’il n’est pas partie à l’instance, et sans être tenu par les délais de recours prévus à l’article précédent, peut demander à faire déclarer nul tout jugement qui serait de nature à porter atteinte à l’ordre public, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle ce jugement a acquis l’autorité de la chose jugée.
Cela veut dire quoi ? Que la séparation des pouvoirs aurait été mise à mal et le judiciaire serait violé ; que les jugements seraient frappés d’une grande précarité puisqu’ils peuvent être remis en cause durant cinq ans. Et qu’une décision judiciaire n’aurait plus un caractère définitif mais relatif : une même affaire serait alors rejugée entre les mêmes parties pour le même objet et sur la même cause. Une violation de notre système juridique : l’article 451 du Dahir des Obligations et Contrats (DOC) dispose : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties agissant en la même qualité. » Quant au Code de procédure civile (CPC), il reprend et organise ce principe, notamment dans ses dispositions sur :
La fin de non-recevoir (art. 49 et suivants, exception de chose jugée),
Les voies de recours (appel, cassation, révision),
L’exécution forcée (un jugement ayant autorité de chose jugée est exécutoire).
Mais il y a plus. Comment ne pas relever et s’insurger même avec l’expression « faire déclarer nul tout jugement qui serait de nature à porter atteinte à l’ordre public » qui s’impose fortement au Maroc d’avant 1935, jadis de manière vague – « quiconque aurait exercé une action tendant à troubler l’ordre public et la tranquillité ou à s’opposer à l’exécution de la loi pouvait être poursuivi » - jusqu’à la définition de la légalité des délits et des peines. Un texte répressif qui a permis des poursuites arbitraires des autorités du protectorat contre les militants du mouvement national et qui n’a d’ailleurs été abrogé que le 15 juillet 1994. Que le Maroc de 2025 reprenne dans le Code de procédure révisé une telle rédaction (« de nature à porter atteinte à l’ordre public ») est proprement consternant ! Elle fait du Royaume un État mou, où l’État de droit à une faible teneur, avec une justice ni précise ni prévisible. Quel signal pour les citoyens ainsi que pour les opérateurs économiques locaux et étrangers !
Cela dit, sur quoi a porté en l’espèce l’invalidation de certains articles de la loi électorale ? Avec l’article 17 (al. 1), c’est assurément un gros problème posé. Ces dispositions stipulent ce qui suit : « Le ministère public compétent, même s’il n’est pas partie à l’instance, et sans être tenu par les délais de recours prévus à l’article précédent, peut demander à faire déclarer nul tout jugement qui serait de nature à porter atteinte à l’ordre public, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle ce jugement a acquis l’autorité de la chose jugée.
Cela veut dire quoi ? Que la séparation des pouvoirs aurait été mise à mal et le judiciaire serait violé ; que les jugements seraient frappés d’une grande précarité puisqu’ils peuvent être remis en cause durant cinq ans. Et qu’une décision judiciaire n’aurait plus un caractère définitif mais relatif : une même affaire serait alors rejugée entre les mêmes parties pour le même objet et sur la même cause. Une violation de notre système juridique : l’article 451 du Dahir des Obligations et Contrats (DOC) dispose : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties agissant en la même qualité. » Quant au Code de procédure civile (CPC), il reprend et organise ce principe, notamment dans ses dispositions sur :
La fin de non-recevoir (art. 49 et suivants, exception de chose jugée),
Les voies de recours (appel, cassation, révision),
L’exécution forcée (un jugement ayant autorité de chose jugée est exécutoire).
Mais il y a plus. Comment ne pas relever et s’insurger même avec l’expression « faire déclarer nul tout jugement qui serait de nature à porter atteinte à l’ordre public » qui s’impose fortement au Maroc d’avant 1935, jadis de manière vague – « quiconque aurait exercé une action tendant à troubler l’ordre public et la tranquillité ou à s’opposer à l’exécution de la loi pouvait être poursuivi » - jusqu’à la définition de la légalité des délits et des peines. Un texte répressif qui a permis des poursuites arbitraires des autorités du protectorat contre les militants du mouvement national et qui n’a d’ailleurs été abrogé que le 15 juillet 1994. Que le Maroc de 2025 reprenne dans le Code de procédure révisé une telle rédaction (« de nature à porter atteinte à l’ordre public ») est proprement consternant ! Elle fait du Royaume un État mou, où l’État de droit à une faible teneur, avec une justice ni précise ni prévisible. Quel signal pour les citoyens ainsi que pour les opérateurs économiques locaux et étrangers !
Signification des actes : incertitudes
L’article 84 (alinéa 4) a été également déclaré comme étant contraire à la Constitution. Il dispose ce qui suit : « Il est permis à l’agent chargé de la signification, en cas d’absence de la personne à notifier à son domicile réel ou élu, ou à son lieu de résidence, de remettre la convocation à toute personne qui prouve être son mandataire, ou qui déclare travailler pour son compte, ou encore à toute personne vivant avec lui parmi ses conjoints, parents ou alliés, dont l’apparence laisse supposer qu’ils ont atteint l’âge de seize ans, à condition que leur intérêt ne soit pas en conflit avec celui de la personne à notifier ».
La juridiction constitutionnelle a jugé, sur la base de ce texte, qu’il subsiste bien des incertitudes concernant la signification d’un acte judiciaire à une personne absente. Celle-ci embrasse plusieurs situations : conjoints, parents ou alliés ; son « apparence » laisse « supposer » qu’elle atteint l’âge de seize ans. Le flou le plus complet : le texte n’exige aucune justification, la preuve de ce lien se bornant à une déclaration et à « l’apparence ». Une porte largement ouverte à bien des abus…
La juridiction constitutionnelle a jugé, sur la base de ce texte, qu’il subsiste bien des incertitudes concernant la signification d’un acte judiciaire à une personne absente. Celle-ci embrasse plusieurs situations : conjoints, parents ou alliés ; son « apparence » laisse « supposer » qu’elle atteint l’âge de seize ans. Le flou le plus complet : le texte n’exige aucune justification, la preuve de ce lien se bornant à une déclaration et à « l’apparence ». Une porte largement ouverte à bien des abus…
La signification vise à informer officiellement la personne concernée d’un acte ou d’une décision ; elle fait courir les délais pour contester, exécuter ou interjeter appel ; elle assure la preuve que le destinataire a bien été notifié. La personne qui reçoit l’acte à la place du destinataire n’a pas besoin d’un lien de parenté, mais doit résider ou travailler sur place. Comment établir cette situation ?
L’article 90 (dernier alinéa) a également été invalidé : « Les parties ou leurs représentants assistent aux audiences tenues en présentiel ou à distance, sur ordre du tribunal, à la date et à l’heure fixées dans la convocation. Ils assistent également, de la même manière, aux audiences ultérieures dont ils ont été informés oralement par le tribunal ». La Cour relève que ce texte se limite à prévoir la possibilité pour les parties ou leurs représentants d’assister aux audiences tenues à distance, mais sans en préciser les conditions, procédures et garanties susmentionnées. Le législateur se devait d’exercer pleinement ses compétences législatives dans ce cadre.
Pour ce qui est des articles 107 (dernier alinéa) et 367 (dernier alinéa), ils interdisent aux parties, à leurs avocats ou à leurs mandataires d’avoir la possibilité d’obtenir copie des moyens de défense écrits de la partie adverse, ainsi que des conclusions du procureur du Roi avant que l’affaire ne soit en délibéré. Ces dispositions ne sont pas conformes aux dispositions du dernier alinéa de l’article 120 de la Constitution, lesquelles stipulent que « les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions ». Se pose ici le problème du principe général du système judiciaire : celui d’une procédure contradictoire et portant des droits de la défense.
Avec l’article 339 (paragraphe 2), il est prévu que la motivation des conclusions du procureur du Roi avant que l’affaire ne soit en délibéré. Ces dispositions ne sont pas conformes aux dispositions du dernier alinéa de l’article 120 de la Constitution lesquelles stipulent que « les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions ». Se pose ici le problème du principe général du système judiciaire : celui d’une procédure contradictoire et portant des droits de la défense. Ce même article prévoit que la motivation est limitée aux seules décisions rejetant les demandes de récusation faites à l’endroit d’un juge : cette procédure n’est pas ouverte aux décisions favorables qui n’auraient donc pas à être motivées. Cette disposition a été jugée contraire au texte même de l’article 125 de la Constitution qui impose la motivation intégrale des décisions judiciaires : « Tout jugement est motivé et prononcé en audience publique dans les conditions prévues par la loi ».
Il faut encore faire référence aux articles 408 et 410 (paragraphe I) lesquels donnent au ministre de la Justice la possibilité de demander le renvoi de dossiers à la Cour de cassation en cas d’excès de pouvoir ou de doute légitime sur les juges. Pareille habilitation est contraire au principe de la séparation des pouvoirs et à celui de l’indépendance de la justice tels que prévus par les articles 1, 87, 89, 107 et 117 de la Constitution.
La loi relative au Code de procédure civile se fonde sur l’ignorance du pouvoir judiciaire qui avant 2011 était rattaché au ministère de la Justice. Avec la réforme de la Constitution de juillet 2011, la séparation des pouvoirs est consacrée avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) comme institution autonome. Le département de la Justice, lui, ne conserve que des fonctions administratives et il n’a plus le contrôle hiérarchique sur les magistrats. Le Roi est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire et le CSPJ veille à son bon fonctionnement.
Enfin, ont été déclarés (art. 107) comme étant contraires à la Constitution le deuxième alinéa de l’article 624 ainsi que le troisième et quatrième alinéas de l’article 628. Ces dispositions confient au ministère de la Justice la gestion du système judiciaire au département de la Justice. La Cour relève à ce sujet des insuffisances frappantes par rapport à la Constitution et à ses principes généraux, notamment la séparation des pouvoirs et de la gestion des services publics « aux normes de qualité… ».
La légistique défaillante…
À n’en pas douter, la loi relative au Code de procédure civile de 644 articles soulève bien des interrogations. La première a trait au fait que c’est la première fois dans la pratique institutionnelle que le Président de la Chambre des représentants soumet un texte législatif à l’examen de la Cour constitutionnelle.
Il s’agit « d’une saisine blanche » d’une loi ordinaire, les lois organiques étant, elles, soumises à cette juridiction pour un contrôle a priori sur leur conformité à la Constitution (article 132, alinéa 2). Comment la Cour a-t-elle travaillé ? Il semble qu’elle ait retenu cette voie : identifier les articles manifestement contraires à la Constitution dans un premier temps sans préjudice du reste. L’idée était de ne pas se prononcer sur les quelques centaines d’articles pouvant faire l’objet, le cas échéant, d’éventuels recours sur la base de l’exception d’inconstitutionnalité prévue lors d’un procès par l’une des parties (art. 131, alinéa 1). À noter au passage que la loi organique devant fixer les conditions et modalités d’application de cette procédure particulière n’a pas été encore adoptée par le Parlement. Quatorze ans après la Constitution du 29 juillet 2011, il y a de quoi s’interroger sur cette carence…
Une dernière question regarde les conditions du travail gouvernemental pour ce qui est de cette loi sur le Code de procédure civile. Comment expliquer l’atteinte majeure à la séparation des pouvoirs, à la sécurité juridique et à l’autorité de la chose jugée ? Ces deux principes fondamentaux n’auraient jamais dû être inscrits dans la loi. Or, tout a été conçu et rédigé de façon défaillante : le ministère de la Justice, le Secrétariat général du gouvernement — conseiller juridique de cet exécutif — et puis les deux commissions parlementaires saisies ainsi que les deux Chambres du Parlement. Pourtant, les alertes n’ont pas manqué avec l’Association nationale des magistrats et celle des barreaux du Maroc.
Vent debout, les avocats ont été mobilisés dès juin et juillet 2024, dénonçant le projet comme « néfaste » et « inconstitutionnel » ; le 21 septembre 2024, plus de 5 000 avocats à Rabat devant le Parlement ; en octobre 2024, une grève de deux semaines avec boycott des audiences et sit-in hebdomadaires ; le 1er novembre 2024, une grève nationale illimitée.
Le ministère de la Justice a défendu sa réforme en mettant en avant une politique de modernisation de la justice. Qui est contre ? Mais la concertation n’a pas fonctionné dans des conditions conséquentes. C’est que la légistique - en tant qu’ensemble de méthodes, principes et techniques - n’a pas été au rendez-vous, l’exécutif abordant le sujet de façon précipitée et autoritariste. Il faut donc saluer la mission de la Cour constitutionnelle qui a recadré la loi dans le souci d’une bonne administration de la justice et du respect de la Constitution. Message reçu ?
Il s’agit « d’une saisine blanche » d’une loi ordinaire, les lois organiques étant, elles, soumises à cette juridiction pour un contrôle a priori sur leur conformité à la Constitution (article 132, alinéa 2). Comment la Cour a-t-elle travaillé ? Il semble qu’elle ait retenu cette voie : identifier les articles manifestement contraires à la Constitution dans un premier temps sans préjudice du reste. L’idée était de ne pas se prononcer sur les quelques centaines d’articles pouvant faire l’objet, le cas échéant, d’éventuels recours sur la base de l’exception d’inconstitutionnalité prévue lors d’un procès par l’une des parties (art. 131, alinéa 1). À noter au passage que la loi organique devant fixer les conditions et modalités d’application de cette procédure particulière n’a pas été encore adoptée par le Parlement. Quatorze ans après la Constitution du 29 juillet 2011, il y a de quoi s’interroger sur cette carence…
Une dernière question regarde les conditions du travail gouvernemental pour ce qui est de cette loi sur le Code de procédure civile. Comment expliquer l’atteinte majeure à la séparation des pouvoirs, à la sécurité juridique et à l’autorité de la chose jugée ? Ces deux principes fondamentaux n’auraient jamais dû être inscrits dans la loi. Or, tout a été conçu et rédigé de façon défaillante : le ministère de la Justice, le Secrétariat général du gouvernement — conseiller juridique de cet exécutif — et puis les deux commissions parlementaires saisies ainsi que les deux Chambres du Parlement. Pourtant, les alertes n’ont pas manqué avec l’Association nationale des magistrats et celle des barreaux du Maroc.
Vent debout, les avocats ont été mobilisés dès juin et juillet 2024, dénonçant le projet comme « néfaste » et « inconstitutionnel » ; le 21 septembre 2024, plus de 5 000 avocats à Rabat devant le Parlement ; en octobre 2024, une grève de deux semaines avec boycott des audiences et sit-in hebdomadaires ; le 1er novembre 2024, une grève nationale illimitée.
Le ministère de la Justice a défendu sa réforme en mettant en avant une politique de modernisation de la justice. Qui est contre ? Mais la concertation n’a pas fonctionné dans des conditions conséquentes. C’est que la légistique - en tant qu’ensemble de méthodes, principes et techniques - n’a pas été au rendez-vous, l’exécutif abordant le sujet de façon précipitée et autoritariste. Il faut donc saluer la mission de la Cour constitutionnelle qui a recadré la loi dans le souci d’une bonne administration de la justice et du respect de la Constitution. Message reçu ?