Quand le regard des autres révèle un pays en marche…


Par Rachid Boufous

Depuis le début de la CAN 2025 organisée au Maroc, les réseaux sociaux sont envahis par des dizaines, puis des centaines de vidéos tournées par des visiteurs algériens, égyptiens, tunisiens, subsahariens, européens parfois.

Des vidéos spontanées, non commandées, sans filtre institutionnel ni discours officiel. Des vidéos brutes. Et ce qu’elles montrent, inlassablement, c’est la même chose : la surprise, l’admiration, parfois l’incrédulité face au niveau de propreté des villes marocaines, à la qualité des infrastructures de transport, à la modernité des stades, à la fluidité des déplacements, à l’organisation urbaine, à la sécurité, au sens de l’accueil.

Ce ne sont pas des clips promotionnels. Ce sont des regards extérieurs. Et c’est précisément pour cela qu’ils comptent.



Car il y a quelque chose de profondément révélateur dans le fait que ce constat vienne de citoyens de pays qui, pour beaucoup, disposent de ressources naturelles autrement plus abondantes que celles du Maroc :

Pétrole, gaz, rentes énergétiques colossales, devises faciles. Le Maroc, lui, n’a rien de tout cela. Pas de puits miraculeux, pas de manne tombée du ciel. Il a autre chose : le travail, la planification, la durée, l’effort collectif, parfois douloureux, souvent critiqué, toujours perfectible.
 
Ces vidéos disent une vérité simple que nous avons parfois du mal à voir de l’intérieur : le Maroc a changé. Profondément. Structurellement. Visiblement.
 
Les routes, les trains, les tramways, les aéroports, les stades, les espaces publics, les villes réhabilitées, les quartiers nouveaux, les équipements sportifs et culturels ne sont pas apparus par enchantement. Ils sont le fruit de décennies d’investissement, de choix stratégiques, de paris à long terme, souvent faits contre l’opinion immédiate, parfois au prix de sacrifices sociaux, budgétaires ou politiques. Le développement n’est jamais un slogan. C’est une accumulation patiente.
 
Ce que ces visiteurs voient en quelques jours, les Marocains l’ont construit en plusieurs générations.
 
Il est frappant d’entendre certains visiteurs comparer, parfois avec gêne, parfois avec honnêteté, ce qu’ils voient au Maroc avec la réalité de leurs propres pays. Non pas pour humilier, mais pour comprendre.

Comment un pays sans pétrole ni gaz, longtemps classé parmi les pays “en développement”, a-t-il pu atteindre ce niveau d’infrastructures, de stabilité et de projection internationale ? La réponse dérange parfois : le développement ne s’achète pas uniquement avec des ressources naturelles.

Il se construit avec des institutions, une vision, une continuité de l’État, une capacité à se projeter dans le temps long.

Cela ne signifie pas que tout est parfait.

Le Maroc connaît encore des inégalités criantes, des poches de pauvreté, un chômage préoccupant, des services publics à améliorer, des injustices sociales réelles. Mais le développement n’est pas un état figé. C’est une trajectoire. Et cette trajectoire est visible.
 
La CAN 2025 agit ainsi comme un révélateur. Un miroir tendu au pays, mais aussi au continent.

Elle montre qu’un pays africain peut organiser un événement d’envergure internationale avec sérieux, modernité et efficacité. Elle montre qu’il est possible de croire dans ses propres capacités. Elle montre surtout que le développement n’est pas une question de richesse naturelle, mais de volonté collective.
 
Ce que ces vidéos racontent, au fond, ce n’est pas seulement le Maroc. Elles racontent un peuple qui, malgré les difficultés, malgré les critiques, malgré les doutes, a choisi de travailler, de bâtir, d’avancer. Un peuple qui refuse la fatalité. Un pays qui veut sortir du sous-développement non pas par la plainte permanente, mais par l’effort, l’investissement et la durée.
 
Certes, nous, Marocains, ne sommes pas entièrement satisfaits. Et c’est peut-être là notre force. Un pays qui se satisfait de lui-même est un pays qui s’arrête. Or le Maroc ne s’arrête pas. Il doute, il critique, il débat, il proteste parfois, il s’impatiente souvent.

Les disparités territoriales persistent, entre un littoral suréquipé et des arrière-pays longtemps relégués. Les problèmes sociaux demeurent structurels : chômage des jeunes, précarité, accès inégal à la santé, à l’éducation, au logement. Nul ne les nie. Nul ne peut honnêtement les balayer d’un revers de main.
 
Mais la différence essentielle, et que ces visiteurs étrangers perçoivent parfois mieux que nous-mêmes, c’est que le Maroc ne nie pas ses failles. Il tente de les corriger. Lentement, imparfaitement, parfois maladroitement, mais avec constance.

Les politiques d’aménagement du territoire, les investissements dans les infrastructures des régions enclavées, les programmes de protection sociale, la généralisation de l’assurance maladie, les grands chantiers éducatifs et sanitaires, tout cela procède d’une même logique : réduire les écarts, recoudre le pays, ne laisser aucun territoire définitivement hors du récit national.
 
Le développement marocain n’est pas linéaire.

Il est heurté. Il avance par à-coups, par corrections successives, par ajustements. Et c’est précisément ce qui le rend crédible. Il ne repose pas sur une rente qui anesthésie, mais sur un effort continu qui oblige à penser, à prioriser, à arbitrer. Là où la rente crée souvent l’illusion de la richesse, le travail impose la discipline du réel.
 
Ce que la CAN 2025 met en lumière, c’est donc moins une réussite achevée qu’un processus en cours.

Les stades flambant neufs, les transports performants, les villes propres et organisées ne sont pas une fin en soi. Ils sont les symptômes visibles d’un État qui planifie, d’institutions qui fonctionnent, d’une société qui, malgré ses tensions, reste arrimée à l’idée de progrès.

Et surtout, ils sont le produit d’un consensus silencieux mais profond : celui d’un peuple qui veut sortir du sous-développement.

Non pas par la violence ou le chaos, non pas par l’attente messianique d’un miracle, mais par le travail, l’apprentissage, la patience. Un peuple qui sait que rien n’est donné, que tout se conquiert, que chaque route, chaque hôpital, chaque école, chaque tramway est le résultat d’années d’efforts cumulés.
 
Les vidéos des visiteurs étrangers ne flattent pas seulement l’ego national. Elles rappellent une vérité essentielle : le Maroc avance parce que ses citoyens, malgré la dureté de la vie, continuent d’y croire. Ils critiquent l’État, mais ils respectent l’idée d’État. Ils dénoncent les injustices, mais ils refusent l’effondrement. Ils réclament davantage, non pour détruire, mais pour améliorer.
 
C’est là, sans doute, la différence majeure avec d’autres trajectoires : le Maroc construit sans brûler ce qu’il a déjà bâti. Il réforme sans rompre totalement. Il change sans renier. Et cette continuité, souvent invisible au quotidien, devient évidente aux yeux de ceux qui arrivent de l’extérieur.
 
La CAN 2025 n’aura pas seulement été un événement sportif. Elle aura été un moment de vérité. Un instant où le Maroc s’est vu à travers les yeux des autres, non pas comme il se fantasme, mais comme il est : un pays imparfait, inégal, parfois injuste, mais résolument en mouvement.

Un pays qui n’a pas le luxe de la rente, mais qui a choisi la dignité de l’effort.
 
Et peut-être est-ce cela, la leçon la plus forte de cette CAN : parfois, il faut le regard de l’autre pour mesurer le chemin parcouru. Parfois, ce sont ceux qui viennent d’ailleurs qui nous rappellent que rien de tout cela n’est banal.
 
Et peut-être est-ce cela, au fond, la plus belle victoire.
 


Jeudi 25 Décembre 2025

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