Quand les jeunes remixent le passé : le retour des instruments traditionnels dans la musique marocaine moderne


Rédigé par Salma Chmanti Houari le Lundi 29 Septembre 2025

Au Maroc, il suffit d’écouter les playlists des jeunes pour remarquer une tendance surprenante : entre un son trap, une instru électro et une mélodie afrobeat, on retrouve de plus en plus… le guembri, les qraqeb ou encore le oud. Longtemps perçus comme “anciens” ou réservés aux musiciens traditionnels, ces instruments emblématiques reviennent en force grâce à une nouvelle génération d’artistes qui les réinventent. Résultat : un mélange explosif qui séduit à la fois les jeunes Marocains et un public international avide d’authenticité.



Un héritage musical millénaire

La richesse de la musique marocaine repose en grande partie sur ses instruments traditionnels. Le guembri, ce grand luth en bois au son grave, est au cœur de la musique gnawa, souvent accompagné des qraqeb, ces percussions métalliques hypnotiques. Le oud, plus raffiné, domine les orchestres de musique andalouse et classique arabe. Quant aux tambours amazighs comme le bendir, ils rythment depuis des siècles fêtes et cérémonies.
 
Ces instruments racontent une histoire : celle de la diversité marocaine, mélange d’influences arabes, amazighes, africaines et andalouses. Mais pendant longtemps, les jeunes urbains les associaient surtout à des soirées “de vieux” ou à des cérémonies familiales. Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération décide de les remettre au goût du jour.

​La nouvelle vague des artistes hybrides

Depuis quelques années, des musiciens marocains repoussent les frontières entre ancien et moderne. Dans un morceau de rap, un sample de guembri accompagne des beats trap ; dans un DJ set électro, on entend des qraqeb résonner au milieu de basses puissantes.
 
Des collectifs comme Gnawa Electro ou des artistes comme Oum, Hoba Hoba Spirit, ou plus récemment des rappeurs émergents de Casablanca et Rabat, n’hésitent pas à puiser dans ce patrimoine. Même la scène électro internationale a flairé le filon : des DJ comme Fnx Omar ou Maalem Hicham Bilali collaborent pour créer des ponts entre la transe gnawa et la techno européenne.
 
Cette fusion crée un son authentique et moderne, qui se démarque de la production standardisée et attire une jeunesse en quête de singularité.

​Pourquoi ça marche ?

Trois raisons expliquent cet engouement :
 
1. Une identité revendiquée : Dans un monde globalisé, les jeunes Marocains veulent consommer de la musique moderne sans perdre leurs racines. Le guembri dans un son rap, c’est un peu comme dire : “Oui, je suis de la génération TikTok, mais je suis aussi fier de mon héritage.”
 
2. Une touche d’originalité : Alors que les prods trap ou électro se ressemblent souvent, ajouter un oud ou des qraqeb change tout. Ça donne une couleur marocaine unique, qui séduit aussi les auditeurs étrangers.
 
3. La scène live : Ces instruments ne sont pas que des sons, ce sont des performances. Voir un maâlem (maître gnawa) sur scène avec un DJ, c’est une expérience vibrante que les machines seules ne peuvent offrir.

​Festivals : vitrines de la fusion culturelle

Les festivals marocains jouent un rôle majeur dans cette renaissance. Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira est un laboratoire où les jeunes découvrent chaque année des collaborations inédites entre maîtres gnawa et artistes internationaux.
 
À Mawazine, on voit souvent des concerts où les instruments traditionnels s’invitent aux côtés de stars mondiales. Le Festival Timitar à Agadir, dédié à la culture amazighe, valorise aussi les percussions traditionnelles tout en invitant des musiciens de la scène urbaine.
 
Ces scènes hybrides ont montré aux jeunes que le guembri ou le bendir ne sont pas que des reliques du passé, mais des outils d’innovation musicale.

Des jeunes créateurs inspirés

Ce phénomène ne concerne pas seulement les “grands” artistes. Sur YouTube, TikTok ou SoundCloud, de nombreux jeunes beatmakers marocains s’amusent à sampler des enregistrements d’oud ou de qraqeb dans leurs prods. Certains remixent même des chants traditionnels pour les transformer en morceaux électro ou afrotrap.
 
À Casablanca, des collectifs de musique urbaine organisent des “jam sessions” où chacun vient avec son instrument. Résultat : on peut entendre un bendir dialoguer avec une boîte à rythmes, ou un guembri improviser sur une guitare électrique.
 
Cette créativité montre que les jeunes ne veulent pas choisir entre tradition et modernité : ils veulent les mélanger pour créer quelque chose de neuf, qui leur ressemble.

​Une fierté culturelle qui voyage

Ce mouvement a aussi un effet inattendu : il fait rayonner la culture marocaine à l’international. Quand un rappeur marocain balance un son avec des qraqeb, ou qu’un DJ mixe du guembri à Berlin, c’est toute une identité musicale qui s’exporte.
 
Le public étranger est friand de ces sonorités authentiques, et les festivals européens ou américains accueillent de plus en plus de musiciens marocains. Ce qui, en retour, renforce la fierté des jeunes au Maroc : “Notre musique, nos instruments, ils plaisent au monde entier.”

​Tradition et modernité : une histoire d’équilibre

Bien sûr, certains puristes s’inquiètent : “En mélangeant trop, on risque de perdre l’âme de la musique traditionnelle.” Mais la plupart des jeunes voient les choses autrement : pour eux, il ne s’agit pas de remplacer la tradition, mais de l’actualiser.
 
Un peu comme la mode vintage : on ressort les pièces anciennes, mais on les porte à la façon d’aujourd’hui.

 
Et c’est peut-être là le secret : la jeunesse marocaine ne tourne pas le dos à son passé, elle le remixe pour qu’il continue de vibrer dans le présent.

Du guembri dans le rap, du oud dans la trap, des qraqeb dans l’électro… La musique marocaine vit une révolution douce, portée par une jeunesse créative qui ne veut pas choisir entre Spotify et les soirées gnawa.

En redonnant vie aux instruments traditionnels, ces jeunes musiciens prouvent que la modernité ne signifie pas effacer le passé, mais au contraire le transformer en une source infinie d’inspiration.
 
Alors, la prochaine fois que tu écoutes un son marocain moderne, tends bien l’oreille : derrière les beats électroniques, il y a peut-être une mélodie vieille de plusieurs siècles qui continue de battre au rythme du Maroc.

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Lundi 29 Septembre 2025
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