Quelle gouvernance demain ? Le défi des conseils d’administration


Rédigé par Hajar DEHANE le Vendredi 18 Juillet 2025



L’État marocain mise sur la transformation en profondeur des conseils d’administration pour réussir sa réforme des entreprises publiques. Une révolution silencieuse, mais décisive.
Derrière chaque grande entreprise, publique ou privée, il y a une instance stratégique souvent méconnue du grand public : le conseil d’administration. C’est là que se prennent les orientations majeures, que s’évaluent les performances, que s’arbitre le dialogue entre le capital et la direction exécutive.

Dans les établissements et entreprises publics (EEP) marocains, cette instance a longtemps été le parent pauvre de la gouvernance : nominations politiques, réunions formelles, absence de suivi stratégique, confusion des rôles avec les ministères de tutelle…

Avec la mise en place de l’Agence Nationale de Gestion Stratégique des Participations de l'Etat (ANGSPE) et de la Politique Actionnariale de l’État, l’État marocain s’attaque à ce maillon faible. Faire du conseil d’administration le véritable cœur stratégique de l’entreprise publique devient un objectif prioritaire. Et cela change tout.

​D’un rôle passif à un pouvoir actif

Historiquement, les conseils d’administration des EEP se contentaient d’avaliser des décisions déjà prises ailleurs. Le ministère nommait, la direction exécutait, le conseil suivait. Résultat : un manque de contre-pouvoir, peu de suivi de la performance, et une grande vulnérabilité aux pressions politiques.

La réforme actuelle entend faire des conseils d’administration un organe stratégique, collégial, compétent et pleinement responsable. Elle prévoit la diversification des profils, en intégrant des experts, des femmes et de jeunes cadres issus tant du secteur privé que du public.

Leurs missions seront clarifiées : validation des plans stratégiques, suivi des objectifs, contrôle des risques, nomination et évaluation des dirigeants. Un agenda annuel structuré sera instauré, appuyé par des comités spécialisés dédiés à l’audit, à la rémunération, à l’éthique ou encore aux enjeux climatiques.

​Professionnaliser sans politiser

Le défi est délicat : il ne s’agit pas de transformer les conseils en tours d’ivoire technocratiques, mais d’y introduire une culture de rigueur, de compétence et d’indépendance. Pour cela, l’ANGSPE établit désormais un référentiel des administrateurs, un programme de formation obligatoire, et un mécanisme d’évaluation annuelle.

Chaque administrateur devra signer une charte d’engagement, incluant des obligations de confidentialité, de présence effective, et de loyauté envers l’intérêt général.

L’État veut aussi limiter les conflits d’intérêt, en excluant les doubles casquettes trop fréquentes (un fonctionnaire qui siège en tant qu’administrateur dans une entreprise qu’il contrôle lui-même).

Donner plus de pouvoir aux conseils

Pour que les conseils d’administration des (EEP) deviennent de véritables forces de proposition, il est impératif de leur fournir des moyens d’action concrets. Cela passe par un accès en temps réel à l’information stratégique, la capacité de diligenter des audits indépendants, ainsi que le pouvoir de valider ou de bloquer certaines décisions de gestion.

Une rémunération symbolique mais incitative pourrait également contribuer à professionnaliser ces fonctions. L’ensemble de ces mécanismes serait supervisé par l’ANGSPE, qui jouerait un rôle central en tant qu’autorité de régulation et de pilotage de la gouvernance des EEP.

​Un changement qui prendra du temps

Transformer des conseils d’administration en leviers de transformation ne se décrète pas. Cela suppose un changement culturel profond, une acculturation des tutelles, une responsabilisation des administrateurs, et une clarification du rôle de chacun.

Mais c’est le seul moyen de garantir que les entreprises publiques marocaines deviendront plus performantes, plus transparentes et plus stratégiques.

À travers cette réforme, l’État ne délègue pas son pouvoir : il l’organise. Il fait le pari de l’intelligence collective au service de l’intérêt public.




Vendredi 18 Juillet 2025
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