Régionalisation de la santé


Par Dr Anwar CHERKAOUI - Expert en communication médicale et journalisme de santé.

Le Maroc peut il s’aider de ses hauts cadres competents … même après la retraite ?

Le Maroc avance à grands pas vers l’une des réformes les plus structurantes de son histoire sanitaire : la régionalisation de la santé.

Un chantier lourd, complexe, exigeant.

Il repose sur un défi simple à formuler, mais difficile à réaliser : mettre en place, dans chaque région, une direction solide, efficace, moderne et capable de piloter l’ensemble de l’offre de soins. Cela nécessite des femmes et des hommes d’expérience.


Or l’administration marocaine, fidèle à ses textes, voit chaque année partir à la retraite des cadres chevronnés, formés durant des décennies, et maîtrisant parfaitement les rouages du système de santé.

Ces compétences quittent le navire au moment même où le pays en a le plus besoin.

D’où une question légitime : est-il vraiment impossible, juridiquement ou politiquement, de continuer à mobiliser ces hauts cadres sous forme de contrats temporaires ?



​ Quand l’âge administratif ne correspond pas à l’âge de la compétence

L’administration raisonne en chiffres : 60 ans, 63 ans, fin de carrière, fin de mission. Mais la compétence, elle, ne connaît pas l’âge administratif.

Un cadre de haut niveau qui a encore la force, la lucidité, la connaissance et l’efficacité ne devrait pas être écarté simplement parce que son dossier a atteint une date limite.

Dans une réforme aussi titanesque que la régionalisation, perdre ces profils revient à perdre du savoir stratégique, du savoir-faire organisationnel, une mémoire institutionnelle précieuse et surtout une capacité d’exécution que les jeunes cadres, aussi brillants soient-ils, ne possèdent pas encore.

​L’administration moderne n’est plus figée : place à la contractualisation

De nombreux secteurs publics dans le monde ont déjà amorcé une évolution majeure :
passer d’une administration rigide à une administration agile.

Cette agilité repose sur une idée simple : quand l’intérêt général l’exige, les textes doivent s’adapter.

Au Maroc, rien n’empêche dans l’esprit sinon parfois dans la lettre de recourir à des contrats temporaires, ciblés, limités dans le temps.

Imaginons un cadre de haut niveau, parti à la retraite mais encore largement opérationnel. 

Pourquoi ne pas lui proposer un contrat de 12, 24 ou 36 mois pour :

- monter la Direction Régionale de la Santé de Rabat-Salé-Kénitra ;
- structurer les équipes ;
- superviser la mise en place des outils de gouvernance ;
- élaborer les processus administratifs et techniques ;
- transférer son expertise aux équipes permanentes ;
- former les futurs directeurs régionaux adjoints.

Mission claire, durée limitée, objectifs mesurables.

Un modèle gagnant pour l’administration, pour la région… et pour le pays. D’autres pays l’ont déjà fait : et cela fonctionne 

La contractualisation de hauts cadres après la retraite n’est pas une innovation improbable.  Elle existe partout où l’administration moderne a compris que l’expérience est un capital.

​France

La fonction publique française permet le recrutement de retraités comme “contractuels expérimentés” dans des missions stratégiques, notamment dans la santé, l’éducation ou la sécurité civile. 

Plusieurs anciens directeurs d’hôpitaux ont été rappelés pendant la réforme hospitalière de 2009 et durant la crise Covid.

​Canada

Les provinces recrutent régulièrement d’anciens sous-ministres, directeurs généraux ou experts sanitaires pour piloter des réformes régionales, sous contrat, parfois même dans le cadre de missions spéciales de 6 à 18 mois.

​ Royaume-Uni

Le NHS fait appel à des “return consultants” : des cadres supérieurs à la retraite rappelés sur projet, notamment pour structurer des systèmes régionaux ou superviser des transitions majeures.

États-Unis

Les agences de santé publiques (HHS, CDC, State Health Departments) contractualisent souvent des hauts experts retraités pour des missions de modernisation, d’accréditation ou de transformation numérique.

​Pays du Golfe

L’Arabie saoudite, les Émirats et le Qatar utilisent massivement les “senior advisory contracts” pour accompagner la régionalisation hospitalière ou le développement des autorités sanitaires.

Ce que le Maroc pourrait envisager n’est ni une exception, ni une entorse. C’est une pratique moderne, pragmatique et largement adoptée.

Pourquoi le Maroc doit oser cette flexibilité maintenant ?

Parce que le timing est critique. Le Royaume ouvre un chantier immense :

Nouveaux groupements sanitaires territoriaux, directions régionales, refonte de la gouvernance, réorganisation des parcours de soins, digitalisation, nouvelles normes de qualité.

- Partir à la retraite au moment où le pays a le plus besoin de vous
est une perte stratégique.

- Garder les meilleurs, même sous contrat, est un investissement. Et dans une administration moderne, humble et intelligente, c’est même une évidence.

- La régionalisation de la santé ne se construira pas uniquement avec des textes et des bâtiments. Elle se construira surtout avec des compétences humaines.

- Le Maroc dispose d’un vivier de cadres expérimentés, porteurs de solutions et de mémoire institutionnelle. Les laisser partir sans leur offrir la possibilité de contribuer encore serait une erreur stratégique.

- La contractualisation ciblée, temporaire, encadrée et orientée n’est pas une rupture avec la loi.

C’est une évolution naturelle, pragmatique, au service de l’intérêt général. Et si le Maroc veut réussir sa réforme, il devra oser cette souplesse.

Par Dr Anwar CHERKAOUI

Vendredi 28 Novembre 2025



Rédigé par La rédaction le Vendredi 28 Novembre 2025
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