Relance économique : la levée des restrictions va-t-elle accélérer la reprise ?


Assouplissement des restrictions en interne, avancée de la campagne de vaccination, ouverture des frontières, arrivée massive des MRE, entrée des premiers touristes étrangers… Les données de ces deux dernières semaines laissent présager d’une accélération de la reprise économique. Mais peut-on parler enfin d’une vraie relance ? Avis d’experts.



A lire ou à écouter en podcast :  (13.71 Mo)

Au Maroc, tous les indicateurs et les news de ces dernières semaines plaident pour une accélération de la reprise économique. En début d’année, le ministère des Finances, le HCP comme le FMI ou encore la Banque Mondiale tablaient pour 2021 sur une croissance comprise entre 4 et 4,5%, en se basant sur des scénarios de reprise assez prudents.

Avec l’évolution positive que connaît le monde, l’Europe notamment, mais aussi le Maroc, avec la baisse relative de la circulation du virus et des cas en réanimation, l’accélération de la campagne de vaccination, l’ouverture des frontières aux MRE et aux touristes avec des conditions tarifaires très attrayantes, cette prévision de croissance peut elle être révisée à la hausse ? Le Maroc va-t-il enfin enclencher la phase de relance après près d’une année et demi de vaches maigres ?

Le haut-commissaire au Plan pense que tous ces éléments sont positifs. Cependant, il préfère ne pas parler de relance pour l’instant, mais plutôt de « dégel ».

Lahlimi : « le dégel a commencé mais les menaces persistent toujours »
« Fin 2019, on faisait le point de la situation pour 2019 et 2020. J’avais dit que 2019 a été une année de grande incertitude dans le monde, alors que le Maroc s’en sortait plutôt bien. Nos prévisions pour 2020 étaient beaucoup plus positives par rapport à la tendance historique, au moment où dans le monde, les politiques étaient désemparés et marchaient avec une roue libre monétaire, pour faire face à une situation qu’ils ne maîtrisaient pas, à cause des changements sociétaux et géostratégiques. Le Maroc, grâce à une relative diversification de son économie, de son excellente orientation géostratégique due à la grande lucidité de son Roi, s’inscrivait clairement dans une trajectoire positive. Au moment où je voulais annoncer tout cela, la pandémie est arrivée… Je vous raconte cela pour vous dire que ces données structurelles de la situation marocaine n’ont pas changé. Elles ont été simplement gelées. Dès lors qu’il y aura le dégel, on pourra parler de reprise. C’est comme dans le pôle Nord. Quand il y a le dégel, les êtres naturels en dormance se réveillent, produisent, se renouvellent et donnent vie à la flore et la faune », explique Ahmed Lahlimi.

« Au Maroc, nous avons la flore et la faune. Mais elles sont pour l’instant toujours gelées. Le dégel a commencé. L’évolution de la pandémie y est pour quelque chose, mais les menaces d’une reprise pandémique existent toujours. Idem pour les menaces d’une moins bonne résistance sociale ou d’une détérioration des rapports régionaux. Il faut donc redoubler de vigilance et de prudence », ajoute-t-il.

Très prudent dans son diagnostic, Ahmed Lahlimi pense également que l’ouverture des frontières et cette grande opération de retour des MRE va participer quelque peu au dégel, mais elle représente selon lui une source de menaces.

« Le retour des MRE va un peu arranger les choses, mais il comporte également des risques. Le retour, c’est la fête, plus d’activités sociales, des traditions qui remontent, des mariages, l’Aid… Le retour, c’est certes une revivification du potentiel économique, mais c’est aussi une menace qui ne peut se résoudre que par une conscience plus aigüe de l’importance des gestes barrières, qui deviennent plus que jamais importants », affirme le Haut-commissaire au Plan, qui propose que les autorités imposent en cette période le port du masque même pendant les fêtes familiales.

« Les citoyens doivent avoir conscience de leur rôle dans la reprise économique et dans la redynamisation sociale du pays. Ça dépend autant de nous que des politiques publiques et du contexte régional et international », insiste M. Lahlimi, pour qui le vrai dégel ne se fera qu’à partir du moment où on sera totalement immunisé de ce virus qui vit toujours parmi nous.

Le Haut-commissaire au Plan pense toutefois que le niveau de croissance prévu en début d’année peut être revu à la hausse, dans les prochaines semaines au vu des nouvelles évolutions, mais pas au point d’absorber les pertes de l’année dernière ou de nous faire entrer dans une véritable phase de relance. « Nous sommes en train de faire tourner notre modèle pour voir comment les choses vont évoluer, et probablement la prévision de croissance va s’améliorer un petit peu ».

Nabil Adel : « le rattrapage ne se fera qu’en 2023 »
Même avis partagé par l’économiste du mouvement Maan, Nabil Adel, qui estime qu’on finira l’année entre 4 à 4,5% de croissance, et ce malgré ce newsflow positif estival. Lui aussi évite de parler de relance, préférant le terme de « rattrapage ».

« Le concept de relance s’applique aux pays développés qui ont des appareils productifs sous employés et qui retrouvent le plein emploi. C’est un schéma qui ne s’applique pas au Maroc qui n’a pas d’appareil productif. Je préfère donc parler de rattrapage, ou de croissance de la production… ».

Cette croissance estimée dépend, selon lui, des mêmes hypothèses de début d’année, car rien n’a fondamentalement changé. A part cette opération de retour des MRE qui va réactiver un peu le secteur du tourisme.

« Le BTP, le commerce et l’industrie commencent à reprendre…. Mais quand vous reprenez la production après une année blanche, la croissance ne peut être que positive. La question essentielle reste de savoir si cette croissance sera suffisante pour absorber les pertes de 2020 ? La réponse est non. Car il est impossible de réaliser une croissance de 8 à 9% cette année. Il faut donc attendre au moins 2023 pour revenir aux niveaux de production de 2019 », estime M. Adel.

Et l’impact de cette arrivée massive de MRE ? Pour Nabil Adel, cette vague de retour aura un effet indéniable sur le tourisme et les secteurs qui vivotent autour. « Ça va produire un grand appel d’air pour les opérateurs du secteur touristique et les secteurs qui en dépendent, comme l’artisanat, le transport, et la consommation en général. Mais cela ne va pas compenser les touristes étrangers qui ne viendront pas en masse cette année. L’effet MRE sera certes positif, car il va sauver certains opérateurs, fera bouger un peu les choses, mais ça n’aura pas un grand impact sur la croissance. Ce n’est pas l’arrivée des MRE qui poussera la croissance à 8%… », explique-il.

Karim Amor, CGEM : « On ne s’est pas encore relevés de la crise »
Karim Amor, entrepreneur et président de la 13ème région de la CGEM, celle des Marocains du Monde, ne dit pas autre chose.

-« L’état de l’économie reste assez disparate. Ça dépend bien sûr des secteurs. L’immobilier est par exemple très calme. Mais la minoterie et l’agroalimentaire en général cartonnent. On ne s’est pas encore relevés de la crise. La relance n’est pas encore là. Les indicateurs de prospective sont certes bons, mais la relance n’est pas encore là. On n’est pas encore dans un réveil un peu groggy. On est encore un peu sonnés », souligne-t-il.

 

Toutes choses étant égales par ailleurs, il reconnaît toutefois « que cette opération d’arrivée massive des MRE aura un effet positif évident sur l’économie. Surtout sur la consommation. En plus de l’hôtellerie et du loisir, ça sera sur des produits qu’on avait l’habitude de consommer en période de Covid,» nuance-t-il.
Pour lui, ces 2 à 3 millions de MRE « donneront un certain ballon d’oxygène à l’économie ce qui n’aurait pas été le cas s’ils n’avaient pas été là »..

« Sa Majesté est un visionnaire. Quand on vend un billet à 97 euros à un MRE, on sait qu’il y a des milliers d’euros qui vont être dépensés au Maroc pendant son séjour. Surtout que la quasi-majorité de nos MRE font partie de la classe moyenne et ont accumulé une grosse épargne durant ces deux dernières années. Avec cette crise, le niveau d’épargne n’a jamais été aussi élevé en Europe ou aux Etats-Unis. Ces MRE ont besoin de s’éclater, de sortir, de voyager… Et vont donc dépenser cette épargne au Maroc, sachant qu’on est en période de Aid, période qui connaît une démultiplication des dépenses .
Avec les MRE, ça va être encore plus important », ajoute Karim Amor, pour qui on ne doit plus assimiler un marocain du monde à une cash machine, mais plutôt à une personne qui peut contribuer à construire le maroc de demain de par son expérience sur des marchés très concurrentiels sur tous les plans .

 » Pendant la pandémie, quand la Banque mondiale annonçait une baisse de 20% des transferts de la diaspora dans le monde entier, les transferts des MRE ont augmenté de 5%. C’était unique au monde. Et depuis le début de l’année, leurs transferts ont augmenté de 45%… Mais les MRE détestent qu’on en parle, parce qu’ils ne veulent pas qu’on les assimile à un portefeuille.
Nous, au sein de la CGEM, on s’occupe des MRE qui sont des hauts potentiels, des cadres supérieurs, des chercheurs, des entrepreneurs… Pour cette catégorie, dont une partie va venir cet été, il va y avoir une relance toutes catégories d’hôtels confondus. Mais nous à la CGEM on voit les choses différemment, car notre objectif et notre stratégie est de faire participer les Marocains du monde à la relance. On ne les prend plus pour des cash machine, mais pour des gens qui ont de la valeur ajoutée à apporter, des capacités de mentorer, avec un feed back, on leur donne des opportunités d’investissement, on les implique dans des programmes de R&D, on leur demande de faire rayonner le Maroc là où ils vivent, et on les encourage à faire du business entre eux. On est dans une dynamique de lobbying purement business, et complètement assumée, à l’américaine . Nous, on se concentre dans notre stratégie sur toute la valeur ajoutée, l’expérience, l’intellect et leur capacité à faire rayonner le Maroc », indique le monsieur MdM du patronat..

Mais cette stratégie n’aura pas d’effet tout de suite. La CGEM faisant du travail de fond dont les fruits n’apparaîtront peut-être qu’à moyen terme.

Othman Chérif Alami : « les mesures d’assouplissement sont venues trop tard »
Grand voyagiste, hôtelier et président de la fédération des transporteurs touristiques, Othman Cherif Alami reste aussi assez sceptique par rapport à une éventuelle relance en ce deuxième semestre dans son secteur. Et dans l’économie en général.

« L’allègement des restrictions, l’ouverture des frontières, l’arrivée massive des MRE, la possibilité de recevoir des touristes à des tarifs préférentiels… Tout cela est positif. Mais ce n’est pas suffisant pour parler de relance. On part d’un diagnostic économique, financier et social assez brutal, puisque 80% des entreprises du secteur touristique sont dans un état très grave. Des entreprises très endettées qui n’ont pas la capacité de se relever pour répondre à cette demande », nous dit-il.

Selon ses estimations, 30% des entreprises du secteur, des TPME pour la quasi-majorité, ne vont pas se relever de cette crise. Et 30% ont réduit pour une longue période leurs effectifs, leurs ambitions.

« Pendant 15 mois, on n’avait aucune visibilité. Idem pour nos clients et partenaires. L’arrivée des MRE, c’est bien. Mais comment nos entreprises pourront-elles se relever pour répondre à la demande ? Sachant qu’elles sont surendettées, n’ont pas de cash pour redémarrer, certaines sont même menacées de saisies… Les MRE d’ailleurs vivent généralement chez la famille. Une partie d’entre eux passent une semaine ou quelques jours dans des hôtels ou dans des centres de vacances… Mais les entreprises du secteur ne sont pas prêtes pour les accueillir. 50% des unités d’hébergement vont rester fermées », affirme M. Chérif Alami.

Pour lui, on ne pourra parler de relance dans le secteur qu’après le retour des touristes européens. Et pour cela il faudra attendre au moins l’année 2024.

« Les Européens représentent 80% de notre clientèle. Et ils ne vont pas venir en masse cet été car les mesures d’ouverture des frontières ont été annoncées trop tard comme nous le disent nos partenaires et TO. Les Européens planifient leurs vacances des mois à l’avance… On va certes avoir un petit regain en juillet et en août, mais on reviendra dès septembre à la situation d’avant », prévoit-il.

Pour lui, la vraie reprise ne sera possible qu’à partir d’avril 2022, pour atteindre en 2024 le rythme de croisière. « Nos TO ont des cycles de vacances. Du 1er novembre au 31 mars, les Européens ne voyagent pas beaucoup. La période haute commence en avril et finit en octobre. Si on veut assurer une vraie reprise du secteur, il faut préparer dès maintenant la haute saison d’avril prochain », propose-t-il, tout en insistant sur l’état désastreux du secteur, chiffres à l’appui.

« On s’attend globalement cette année à l’arrivée de 4 millions de touristes, MRE compris. On ne peut parler de reprise avec ces chiffres, sachant qu’en 2019 on avait fait plus de 13 millions d’entrées… Dans le monde, la reprise du tourisme n’est prévue qu’en 2024. Et le Maroc s’inscrit également dans la même tendance », conclut Othman Chérif Alami.

Pour l’ensemble de nos interlocuteurs, économistes comme acteurs du secteur privé, il est donc trop tôt pour parler de relance, malgré les annonces positives de ces derniers jours.  Des annonces qui concernent le seul secteur touristique, et qui ne sont pas en mesure de le mettre sur les rails d’une croissance solide, encore moins de booster la croissance du pays pour lui permettre de retrouver le niveau de richesse d’avant Covid.

Rédigé par Mehdi Michbal sur https://medias24.com

 


Mardi 22 Juin 2021

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