Sahara : les omissions d’un diplomate aguerri

Par Naïm Kamal


Dans un entretien avec le site français Médiapart commentant la main tendue du Roi Mohammed VI à l’Algérie, Jamal Benomar, diplomate de près d’un quart de siècle de carrière à l’ONU, déclare vouloir réveiller un rêve ancien et noble de nos parents et grands-parents : celui d’un Maghreb uni, solidaire et souverain. Pour Naïm Kamal, l’intention est certainement louable, mais d’emblée contrariée par une lecture biaisée et étonnamment sélective du complexe dossier du Sahara.



​La géopolitique : une première étrange omission

Jamal Benomar, ancien diplomate onusien, d’origine marocaine et de nationalité britannique
Jamal Benomar, qui a été aussi, et ce n’est certainement pas un hasard, secrétaire général adjoint onusien sous Ban KI-Moon – le Coréen dont les Marocains gardent un souvenir mitigé – pêche curieusement par une omission majeure dans son interview avec Mediapart : il néglige complétement les dimensions géopolitiques du conflit du Sahara. Ce qui lui permet de se consacrer exclusivement aux comportements diplomatiques du royaume, et de réduire la présence algérienne dans ce dossier à une figuration presque fortuite, pour mieux exonérer Alger de toute responsabilité directe dans le conflit saharien. Une omission bien commode pour éviter d’aborder les desseins véritables de l’Algérie engagée pourtant corps et armes dans cette bataille militaire et diplomatique depuis cinq décennies. `

Dès lors, M. Benomar, d’origine marocaine et de nationalité britannique, peut librement instruire le procès du Maroc qui aurait marchandé ses succès diplomatiques actuels contre « d’obscures contreparties ». L’assertion surprend venant d’un personnage supposément rodé aux coulisses diplomatiques, laissant penser naïvement que les relations internationales seraient une affaire de bons sentiments ou que les Etats pouvaient être motivés par autre chose que par leurs intérêts.

​Une diplomatie marocaine caricaturée

Méthodiquement, l’ancien diplomate s’emploie à multiplier par zéro les efforts du Maroc sans qu’à aucun moment, il ne souffle mot de l’attitude et des manœuvres algériennes dans cette affaire. Son exercice sélectif une fois installé, M. Benomar ne s’embarrasse pas de mettre en exergue les ‘’positions réservées’’ de la Chine et de la Russie, et en valeur le soutien de l’Afrique du Sud et de le Mozambique quand ils sont membres non permanents du Conseil de Sécurité. Celui des Etats Unis, de la France et du Royaume Uni, se voit en revanche réduit à un ‘’mirage dans le désert’’. il ne dit pas les choses ainsi mais c’est tout comme.

Poursuivant cette approche étrangement asymétrique, il caricature la diplomatie marocaine, l’accusant de privilégier la confrontation et de mobiliser les acteurs internationaux pour « entériner le fait accompli » (Sic). La main tendue du Roi Mohammed VI à l’Algérie n’est alors dans son ‘’analyse’’ à charge qu’une clause rhétorique, vidée de tout sens véritable.

Cette minoration de la volonté royale plusieurs fois réitérée, plusieurs fois restée sans le moindre écho du côté algérien, n’est pas innocente. Elle lui permet de laisser le seul Maroc endosser la mission d’envisager ‘’une solution dans un cadre strictement maghrébin avec trois dimensions : un dialogue inclusif sahraoui-sahraoui, un dialogue direct entre le Maroc et le Polisario et un dialogue entre Rabat et Alger’’.  Et peu lui importe si sa trouvaille a été tentée auparavant.

Au-delà du fait que sa démarche élude le préalable désormais évident et incontournable, à savoir que toute issue au conflit suppose la résolution des différends entre le Maroc et l’Algérie, elle jette aux oubliettes les épisodes historiques où le Maroc, avec persévérance, s’est plié à ces échanges qui ont vu les rencontres entre les chefs d’Etat des deux pays se multiplier à la frontière maroco-algérienne, ouvrant la voie au sommet maghrébin de Zeralda en Algérie en juin 1988, et par le suite au sommet constitutif de l’UMA à Marrakech en février 1989.

Dans ce contexte de construction vertueuse, le défunt Roi Hassan II avait reçu un mois avant ce sommet fondateur une délégation de la direction du Polisario dans la ville ocre. Plus tard, il confiera au Roi Mohammed VI, alors Prince héritier, de discuter avec des représentants du mouvement séparatiste, à Tanger.  Simultanément, les responsables marocains continueront à rencontrer les représentants du Polisario, en secret ou en public, indifféremment à Genève et à Rabat. Un dialogue sahraoui-sahraoui a même été engagé en 1993 à Laayoune, chef-lieu de Sakiat Alhamra au Sahara.

Pour quel résultat ? Une rencontre de Hassan II avec le président Chadli Benjdid à Bousfer dans la région d’Oran en 1992, qui a tourné court, transformée par la hiérarchie militaire algérienne en une dérisoire démonstration de force pour impressionner le souverain marocain.

Moins d’une année plus tard, tandis que l’Algérie s’embourbait dans sa guerre civile, survenait l’attentat d’Atlas Asni, à Marrakech, ville de la fondation de l’UMA, perpétré par un groupe de jeunes franco-algériens dont la manipulation par la sécurité militaire algérienne est bien plus qu’une forte présomption. Un évènement qui a été déterminant dans l’escalade de la défiance entre les deux voisins maghrébins.

​Les années 1970 en 2025

Est-ce l’âge, mais Jamal Benomar dans sa lancée cite volontiers le plan Backer II, accepté par Alger et son proxy mais rejeté par Rabat, tout en oubliant opportunément encore que le Maroc avait préalablement accepté le plan Backer I, rejeté lui par l’Algérie et le Polisario. Étrangement, il omet aussi de mentionner cette saugrenue et itérative proposition algérienne de partage du Sahara soumise alors par Abdelaziz Bouteflika à James Backer, et depuis régulièrement remise à jour. Elle est révélatrice pourtant des véritables ambitions d’Alger de s’ouvrir à tout prix une fenêtre sur l’Atlantique et de fermer au Royaume l’Afrique subsaharienne.

Tant d’occultations finissent par faire de son interview un fouillis de sournoiseries et de fausse candeur qui lui fait dire sur le ton ingénu du sage distancié : ‘’qu’est-ce qui empêche l’un des chefs d’État de décrocher son téléphone et de dire à son homologue : « Mon frère, la semaine prochaine, je viens vous rendre visite.  Parfois, le début d’un apaisement ne tient qu’à un geste simple, mais courageux. »

On pourrait indulgemment croire que vingt-cinq ans de diplomatie à l’ONU n’ont pas réussi à apprendre à M. Benomar que le pouvoir en Algérie ne relève pas d’un simple ‘’guichet unique’’ mais d’une mosaïque complexe d’intérêts claniques. Sauf que derrière cet interview que ne renieraient pas la presse inconditionnelle du pouvoir algérien ni le groupuscule gauchiste marocain Annahj, la vérité est beaucoup plus simple : l’ancien détenu politique marocain est toujours prisonnier des prismes idéologiques de ses années 1970 au Maroc.



Lundi 4 Aout 2025

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