Historiquement, la nomination du plus haut fonctionnaire international s’est longtemps jouée dans l’opacité, les grandes puissances; les cinq membres permanents du Conseil de sécurité s’accordant sur la personnalité la moins clivante.
Sous la pression de certains États dont le Canada et d’organisations de la société civile, la procédure a été infléchie lors du dernier cycle: publication des candidatures et des déclarations de vision, auditions ouvertes, calendrier préétabli.
Malgré ces avancées notables, en 2016, António Guterres a tout de même été adoubé par les grandes puissances dans le cadre d’un processus demeuré largement verrouillé, notamment via les consultations à huis clos du Conseil.
Nouvellement installée à la présidence de l’Assemblée générale, l’Allemande Annalena Baerbock — ancienne ministre des Affaires étrangères et figure des Verts a justement fait de la sélection du prochain secrétaire général l’une de ses priorités.
Techniquement, c’est elle qui, en coordination avec la présidence tournante du Conseil de sécurité, doit enclencher la séquence : lancer l’appel à candidatures puis garantir leur diffusion publique.
Pour ce faire, elle devra composer avec des réticences, russes et chinoises, mais aussi américaines, britanniques et françaises, à ouvrir davantage une procédure qu’elles préfèrent maîtriser.
Déjà, les manœuvres diplomatiques s’emploient à éviter la reconduction de certains précédents initiés il y a dix ans par le Danois Mogens Lykketoft : rencontres médiatisées avec les candidats, possibilité pour tout un chacun de leur soumettre des questions en ligne, et, plus largement, une mise en scène de la transparence que plusieurs capitales jugent risquée.
De quoi, potentiellement, retarder ou affadir le lancement d’une course menée trop tôt, avant que les équilibres n’aient été verrouillés.
Pourquoi est-il si important que le secrétaire général soit choisi au terme d’une procédure transparente et inclusive?
Il ne s’agit pas seulement de démocratiser la gouvernance mondiale, mais aussi de renforcer, autant que possible, la légitimité et l’autorité du numéro un de l’ONU en lui donnant le capital politique nécessaire pour exercer pleinement l’influence de sa fonction, y compris au prix de frictions avec certaines capitales.
«La crise du multilatéralisme rappelle, au fond, l’urgence d’installer au sommet de l’ONU une personnalité redevable non pas aux seules grandes puissances, mais au monde entier, y compris aux sociétés civiles. L’époque réclame une direction capable, si nécessaire, de «faire des vagues», à l’image de Dag Hammarskjöld, secrétaire général de 1953 à 1961.»
À l’inverse, on peut imaginer qu’une personne sélectionnée publiquement, sur la base d’un programme politique fort, connu et largement débattu, disposerait d’une marge de manœuvre accrue pour exercer les «bons offices» de la fonction, même au risque de froisser des belligérants.
La crise du multilatéralisme rappelle, au fond, l’urgence d’installer au sommet de l’ONU une personnalité redevable non pas aux seules grandes puissances, mais au monde entier, y compris aux sociétés civiles.
L’époque réclame une direction capable, si nécessaire, de «faire des vagues», à l’image de Dag Hammarskjöld, secrétaire général de 1953 à 1961.
C’est dans ce contexte que la procédure de sélection du prochain secrétaire général a été officiellement enclenchée mardi 25 novembre, avec l’envoi aux États membres d’un appel à candidatures pour succéder à António Guterres à compter du 1er janvier 2027.
Alors que plusieurs États militent pour qu’une femme soit enfin désignée, l’idée est loin de faire l’unanimité.
Tout en regrettant qu’aucune femme n’ait jamais occupé la fonction, la lettre se contente d’encourager les États à «envisager» la nomination d’une candidate.
Chaque candidat potentiel doit être officiellement présenté par un État ou un groupe d’États en soumettant une «vision» ainsi que ses sources de financement.
Plusieurs noms circulent déjà, dont l’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet, le directeur général de l’AIEA Rafael Grossi et la Costaricienne Rebeca Grynspan, actuelle secrétaire générale de la Cnuced.
Selon une tradition de rotation géographique inégalement respectée, l’Amérique latine revendique cette fois la fonction. Mais si la lettre souligne «l’importance de la diversité géographique», elle ne mentionne aucune région.
Le courrier précise enfin que l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité pourront auditionner publiquement les candidats; un dispositif de transparence inauguré lors du cycle de 2016.
Reste que ce sont les membres du Conseil qui tiendront la clef : ils doivent engager le processus formel «d’ici fin juillet» et, surtout, les cinq permanents — États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France conservent, via leur droit de veto, un pouvoir décisif sur le destin des candidatures.
L’Assemblée générale ne pourra élire le futur secrétaire général que sur recommandation du Conseil, pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois.