Séisme du Grand Atlas: quels outils pour une participation citoyenne efficace aux efforts de reconstruction?


La reconstruction est un grand chantier dont les jalons ont été arrêtés par le Souverain selon une vision de développement rural durable, juste et respectueuse de la culture locale et de la sociologie de la montagne. C’est dans cet esprit qu’il est primordial de faire participer les communautés locales directement affectées par le séisme dans l’effort de reconstruction.



Par Lahcen Haddad

Une approche «Engagement citoyen» garantirait un meilleur impact sur les populations désœuvrés et dépossédées par la catastrophe. L’«Engagement citoyen» est un va-et-vient intelligent entre les «victimes du séisme devenues bénéficiaires du programme de reconstruction» qui leur permet de donner leurs avis sur les plans, programmes et projets de reconstruction.

L’objectif étant de répondre aux besoins de la population et de s’assurer d’une appropriation effective du process et des résultats de l’effort de reconstruction par les bénéficiaires.


Pour faire participer les citoyens dans l’effort de reconstruction des communautés affectées par le séisme, je propose trois techniques d’engagement citoyen qui émanent des bonnes pratiques de mobilisation sociale pour le développement local à travers le monde.


Les consultations: il ne s’agit pas des réunions formelles qu’on fait habituellement, auxquelles la société civile est invitée à prendre la parole et après quoi, on revient «aux affaires comme d’habitude». Au contraire, il faut écouter la population et mettre en place une «liste longue» de ses besoins. Ensuite, on fait l’évaluation en fonction des objectifs de la reconstruction arrêtés par le Souverain et le gouvernement pour arriver à une «liste courte» de ces mêmes besoins. Le triage se fait selon des critères d’efficacité, de durabilité, d’impact positif et de coût.

La population est informée de la «liste courte» assortie de justifications et elle a le droit de faire recours devant des comités ad hoc mis en place selon le besoin.

Le risque de ce genre de consultations est qu’elles favorisent les personnes rodées à la prise de parole, ou instruites, ainsi que les militant(e)s de la société civile. Les femmes, les jeunes, et les groupes marginalisés (personne en situation de handicap, migrants, etc.) courent le risque de ne pas être inclus.

C’est pourquoi il faut organiser des «hearings» (audiences) en tamazight, facilités par des personnes ayant une bonne connaissance du contexte socio-culturel, pour écouter ces groupes en parallèle avec les consultations générales.


Les principes clefs des consultations sont l’écoute, le retour vers la population, la communication continue et une approche inclusive, qui ne laisse personne hors du circuit.


Le Mécanisme de gestion des plaintes (MGP): il s’agit d’un système simplifié de réception, traitement, et résolution des doléances de la population relatives à la reconstruction. Les plaintes ne doivent pas être une cause de réticence chez les responsables et les prestataires de services.

Au contraire, il faut traiter les doléances en tant que sources de données et d’informations. C’est pourquoi il faut encourager la population à se plaindre, mais il est indispensable de mettre un dispositif qui permet de le faire dans un contexte bien encadré et efficace.

Il est recommandé de commencer par mettre en place des comités (de 4 ou 5 personnes incluant des femmes et des jeunes) de réception des plaintes au niveau de chaque douar. Si ces comités n’arrivent pas à résoudre la plainte, le plaintif/la plaintive a le droit de se diriger vers un comité établi au niveau de la commune. Le dernier recours serait à un comité au niveau de la province.


Les canaux de réception des plaintes doivent être multiples. Ceux et celles qui ne veulent pas déposer une plainte au niveau local peuvent aller directement vers la commune. On peut mettre également un numéro vert. Mais le numéro vert requiert un back-office et une équipe rodée qui sait parler à la population et enregistrer les plaintes tout en donnant oralement ou par voie digitale un récépissé.

Le guide du MGP doit clarifier exactement comment enregistrer les plaintes, donner un récépissé, combien de temps il faut, à chaque étape, pour traiter une doléance et comment la clôturer (avec signature et consentement, etc.).

 

On peut avoir un MGP, mais la population ne l’utilise pas parce qu’elle n’est pas au courant de son existence, d’où la nécessité d’une bonne communication en tachelhit sur son existence, ou parce qu’elle est intimidée, d’où la nécessité d’une multiplicité de canaux de dépôt des plaintes.


Il est conseillé de faire des analyses simples et périodiques pour étudier le type et la nature des plaintes. Les plaintes qui se répètent sont peut-être d’ordre systémique. Il faut intervenir pour les corriger au niveau du système. Si une bonne partie des populations se plaint de la lenteur dans l’exécution des travaux, il faut intervenir au niveau des prestataires pour les inciter à respecter le CPS.


Le MGP est un outil de collecte d’informations sur comment la population réagit à l’effort de reconstruction. L’indicateur de son succès est le nombre de plaintes: si plus de gens se plaignent, c’est qu’ils sont convaincus que c’est un outil fiable. Il est également un outil de gestion: on l’utilise pour voir ce qui ne marche pas et on intervient pour corriger le tir. L’essentiel est qu’il soit simple, fiable et efficace.


Quand il s’agit de plaintes sensibles (violence basée sur le genre, harcèlement sexuel, etc.), il y a un process spécifique qui vise à protéger l’identité des survivantes tout en les accompagnant du point de vue psychologique et légal. Tout un travail préalable de mapping des services dédiés et des ONG spécialisées dans ce genre de cas dans la région est essentiel pour faire le point du dispositif nécessaire pour traiter les plaintes sensibles.


Le Suivi communautaire (SC): les communautés locales peuvent aider le gouvernement à faire le suivi de l’exécution des projets. Il y a bien sûr un suivi technique fait par les équipes techniques, mais le suivi communautaire est différent parce qu’il s’agit de collecter les avis de la population au début, à mi-parcours et à la fin de la réalisation d’un projet d’utilité commune, comme une fontaine d’eau, une place publique, une maison de jeunes ou une route qui désenclave un douar.

Le suivi communautaire entraîne l’appropriation qui se solderait par la suite par une disposition à maintenir le projet et garantir sa durabilité.

Il est essentiel de choisir des points focaux dans chaque douar, les doter d’un smartphone et leur donner des questions simples à poser à la population sur le projet durant les différentes phases de sa réalisation. Les réponses sont uploadées sur un outil technologique, comme KoboToolBox, et analysées par les équipes du projet. Des décisions sont prises à la lumière du feedback de la population et celle-ci est informée à temps de ces décisions.


Les principes de base du SC sont la collecte périodique des données, la simplicité des questions (qui ne doivent pas dépasser deux ou trois), l’analyse, la prise des décisions et le retour vers la population.


L’engagement citoyen (EC) est une approche nécessaire pour faire réussir le programme de reconstruction. Il permet une participation efficace et directe de la population. Mais l’EC ne remplace pas le rôle de la démocratie représentative (les élus); au contraire, il la complète. Il ne marginalise pas la société civile, mais il lui donne un rôle de mobilisateur social.

L’EC permet à la population de s’approprier le process et ses résultats. Il est la clef de la durabilité du programme, c’est-à-dire de son impact positif et à long terme sur la population.


Rédigé par Lahcen Haddad sur Le 360


Mercredi 27 Septembre 2023

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