Suite au drame de Safi, Nizar Baraka annonce un plan de prévention contre les inondations

Avec l'avis d'un urbaniste : Safi face aux inondations : prévention, urbanisme et le réveil des risques climatiques


Rédigé par La rédaction le Mardi 23 Décembre 2025

Le choc a été brutal. Trente-sept vies perdues, un centre-ville meurtri, et une question qui s’impose sans détour : comment une ville côtière comme Safi a-t-elle pu être submergée en quelques heures ? Face à l’émotion et à l’exigence de réponses, le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, a détaillé devant le Parlement un plan d’action qui se veut à la fois immédiat et structurant. En urbaniste, je lis cette séquence comme un tournant possible : soit le Maroc transforme ce drame en levier de réforme, soit il s’en tient à une gestion réparatrice, insuffisante face au climat qui change.



​Safi, une vulnérabilité urbaine mise à nu

Les faits sont connus, mais leur lecture mérite précision. Les pluies se sont abattues sur Safi avec une intensité rare, concentrée sur un laps de temps très court. Le cœur urbain a encaissé l’essentiel du choc. Le barrage situé à neuf kilomètres, conçu pour protéger la ville, n’a retenu qu’environ deux cent mille mètres cubes d’eau, loin de sa capacité théorique de trois millions et demi. Non par défaillance technique, mais parce que les eaux se sont engouffrées dans le tissu urbain avant même d’y parvenir.

C’est là que l’urbanisme entre en scène. Une ville qui s’est densifiée sans toujours respecter les logiques hydrauliques finit par payer le prix de ses arbitrages passés. L’oued Chaâba, longtemps considéré comme une contrainte secondaire, s’est rappelé à la mémoire collective avec une violence inédite. « Les eaux se sont concentrées dans le tissu urbain », a reconnu le ministre devant la Chambre des représentants. Cette phrase, au-delà de la technique, dit beaucoup de nos choix d’aménagement.

​Aides d’urgence et reconstruction : l’indispensable premier temps

À chaud, l’État a enclenché la mécanique de solidarité. Le programme de réhabilitation des zones sinistrées, lancé sous Hautes Instructions Royales, prévoit des aides d’urgence aux familles ayant tout perdu et la prise en charge des habitations endommagées. Les autorités locales poursuivent le recensement des foyers touchés. Sur ce point, difficile de contester la réactivité institutionnelle. Elle était attendue. Elle est nécessaire.

Mais elle ne suffit pas. La reconstruction, si elle se contente de remettre à l’identique ce qui a été détruit, prépare les drames de demain. L’urbaniste que je suis sait combien la tentation du « vite fait » est grande sous la pression sociale. Or, reconstruire mieux suppose de ralentir, de revoir les gabarits, de libérer des couloirs d’écoulement, parfois même de renoncer à bâtir là où l’eau reprend toujours ses droits.

​Un nouveau système de protection : promesse technique, défi territorial

Sur le terrain, Nizar Baraka s’est déplacé avec le directeur général de l’Hydraulique. Une étude technique a été lancée pour concevoir un nouveau système de protection contre les inondations. Elle prévoit notamment l’élargissement de l’exutoire afin que l’oued Chaâba puisse se déverser directement dans la mer.

Le chantier est ambitieux. Il mobilise collectivités territoriales, autorités locales, services du ministère, Agence du bassin hydraulique d’Oum Er-Rbia, bureaux d’études spécialisés, sous la coordination de la province. Cette gouvernance élargie est un signal positif. Trop souvent, les projets hydrauliques se heurtent à des silos administratifs. Ici, la transversalité est affichée.

Reste une question de fond : comment articuler ces ouvrages avec la ville existante ? Une digue, un exutoire, un bassin de rétention ne sont pas des solutions magiques s’ils ne s’inscrivent pas dans une stratégie urbaine globale. La protection contre les crues ne peut être pensée indépendamment des plans d’aménagement, des règles de constructibilité et des usages du sol.

​Cartographie des risques : l’atlas comme boussole

Le ministre l’a reconnu sans détour : l’atlas des zones à risque actuellement en vigueur est obsolète. Sa révision est annoncée pour l’année prochaine, avec l’intégration de Safi parmi les territoires nécessitant une vigilance accrue. Pour l’urbaniste, c’est un point clé. Cartographier, c’est nommer le danger. Et ce qui est nommé peut être anticipé.

Un atlas actualisé, s’il est correctement exploité, doit devenir un outil décisionnel, pas un simple document technique. Il doit peser sur les autorisations de construire, guider les investissements publics, informer les citoyens. Trop souvent, ces cartes dorment dans des tiroirs pendant que les lotissements avancent. La crédibilité de la réforme se jouera dans sa traduction réglementaire.

​Projets engagés, alertes renforcées : des signaux encourageants

Entre deux mille vingt-et-un et deux mille vingt-cinq, vingt-trois projets de protection contre les inondations ont été réalisés dans plusieurs provinces, et quinze autres sont en cours de lancement. Un nouveau programme est annoncé dès le début de l’année prochaine via les agences de bassins hydrauliques. Sur le papier, l’effort est réel.

Le renforcement des dispositifs d’alerte précoce mérite également d’être souligné. L’exemple d’Ourika, où les crues d’août dernier n’ont fait aucune victime grâce à une alerte diffusée à temps, est parlant. Il montre que l’anticipation sauve des vies. Des partenariats internationaux viennent consolider ces systèmes, tandis que les capacités d’intervention d’urgence sont renforcées. Là encore, la direction est la bonne.

​Eau, climat et urbanisme : penser ensemble

Les dix derniers jours de pluies et de neige ont apporté quatre cent quatre-vingt-deux millions de mètres cubes supplémentaires aux barrages. La neige a couvert cinquante-cinq mille kilomètres carrés. Le taux de remplissage national avoisine désormais trente-quatre pour cent, permettant de couvrir les besoins de plusieurs régions. Cette donnée, souvent reléguée au second plan dans le débat sur Safi, rappelle une réalité paradoxale : l’eau manque et déborde à la fois.

C’est là que le regard urbanistique devient indispensable. Le Maroc doit apprendre à gérer l’excès comme la rareté, parfois simultanément. Les villes côtières, longtemps perçues comme protégées, se révèlent vulnérables. Le changement climatique n’est plus une abstraction. Il s’invite dans les rues, dans les maisons, dans les bilans humains.

Certes, un moment de vérité mais l’État ne reste pas immobile

Il faut le dire : Safi paie des décennies d’aménagements fragmentés, d’oueds canalisés puis oubliés, de constructions autorisées sans vision hydrologique fine. Le drame n’est pas un simple accident météorologique. Il est aussi le produit de choix collectifs.

L’État ne reste pas immobile. La réaction est structurée, les annonces sont précises, les chiffres assumés. Le plan présenté par Nizar Baraka ouvre des pistes sérieuses : révision des cartes, nouveaux ouvrages, alertes renforcées, coordination élargie. Tout cela va dans le bon sens.

La vraie question n’est donc pas celle de l’intention, mais de la continuité. Transformer l’essai exigera du temps, de la rigueur et une capacité à dire non à certains projets, même sous pression. C’est à ce prix que Safi pourra devenir un cas d’école, non pas d’une tragédie annoncée, mais d’une ville qui a su apprendre de l’eau.




Mardi 23 Décembre 2025
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