Tourisme : côte jardin….et cour


Les indicateurs du tourisme sont au vert. Les chiffres des quatre premiers mois 2025 illustrent de nouveau la reprise. Subsistent cependant des questions structurelles : la part de marché majoritaire des agences internationales de réservation et le tourisme national à la peine aussi. Mustapha SEHIMI explique l'état des lieux.



Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit & Politologue

Au vu des chiffres des quatre premiers mois de cette année, prévaut assurément l'optimisme : le tourisme s'est installé dans une séquence de reprise. A la fin du mois d'avril dernier, le tableau est le suivant : 5,7 millions de touristes (51% étrangers et 49% de MRE), des recettes de 34,4 milliards de DH (MMMDH)...

Le prolongement et même l'amélioration de la tendance relevée en 2024: 17,4 million d'arrivées (+ 26 %), 112 MMMDH de recettes et, 28,7 millions de nuitées (+12%). Désormais, le Royaume est depuis l'année dernière la première destination touristique dans le continent, devant l’Égypte (16 millions), la Tunisie (10) et l'Afrique du Sud (9). C'est un secteur important dans la dynamique du développement avec un taux de 7% du PIB et quelque 2 millions d'emplois directs et indirects.

Il faut y voir les résultats de la Feuille de route 2023-2026 : un budget de 6,1 MMMDH, après celui du plan d'urgence de 2 MMMDH post-Covid, redéfinition de l'offre autour de neuf filières thématiques et cinq filières transversales, diversification du produit, montée en gamme, connectivité aérienne -avec une réservation de plus de 2,4 millions de sièges en 2024 vers des marchés cibles et des destinations émergentes...

Cela dit, il vaut de noter que des contraintes importantes pèsent encore qui doivent être levées à terme si l'on veut attendre les 26 millions de touristes annoncés pour 2030. La première d'entre elles regarde la structure du marché touristique marocain. Référence est faite à la part majoritaire des grandes plateformes de réservation en ligne qui progressent encore : elles absorbent pratiquement plus de 60 % au moins du marché avec les tour-opérateurs elles absorbent 75% des nuitées internationales en hôtels classés en 2024, selon l'ONMT.

Les OTA (Online Travel Agencies ), les plus connues sont Booking ma (entre 30 et 40%),  Expedia, Airbnb, Hôtels.com, Agoda, eDreams, Mastminute.com, Travelocity, etc. Cette commercialisation par les OTA absorbent 60% des réservations en ligne. Cela présente un avantage: celui d'une distribution toute l'année et d'un lissage de la saison touristique.

Autre contrainte: en creux, les éléments négatifs ne manquent pas: un taux élevé de commission (15 à 25 %) réduisant la marge bénéficiaire des hôteliers, une dépendance commerciale, une pression sur les prix avec une dévalorisation de l'offre hôtelière, une contraction des canaux directs et des agences nationales de voyages autour d’un seuil de moins de 25% du marché.

Le gouvernement et son département du Tourisme appréhendent-ils de manière conséquente toutes ces données ? Quelles mesures sont prises en effet en faveur des opérateurs locaux tels des programmes de fidélité direct, des incitations leur propre site Web ou encore le soutien de l'OMMT à la digitalisation locale? Pourquoi ne pas mettre sur pied une centrale nationale de réservation regroupant les hôtels et les voyagistes ? Un pôle visant à en faire un "champion" national autour d'un agrégat des services suivants: réservation d'hébergements (hôtels, appartements, riads...), billets d'avion train et bus, location de voitures, activités touristiques (visites guidées, excursions...) sans oublier des forfaits" vol + hôtel".

En l'état, selon la Fédération nationale des agences de voyage du Maroc (FNAVM), la moitié des 2000 agences traditionnelles sont pratiquement inactives par suite de leur effondrement lié à la place majoritaire des OTA, les agences de voyages en ligne. De plus en plus, les agences nationales ferment ou pivotent vers des niches - comme le tourisme religieux vers La Mecque ou encore vers des services à valeur ajoutée (assurances, transport...).

Tourisme intérieur: secondaire...
Autre grand dossier : le tourisme intérieur. Faut-il rappeler à cet égard que depuis des années, les gouvernements successifs n'ont pas réussi à trouver la bonne formule. Après avoir été considéré longtemps comme un secteur secondaire, ce n'est qu'à partir de 2010 qu'il a été reconnu comme levier stratégique dans le cadre de la Vision 2020. Des programmes spécifiques ont bien été lancés : aménagement de l'offre, soutien tarifaire et packages, partenariats (RAM, ONCF, hôtels et agences) avec des propositions de "forfaits nationaux". La promotion et la consolidation de ce secteur présente des avantages cumulatifs : réduire la dépendance aux flux étrangers, assurer une clientèle régulière hors saison, favoriser la cohésion nationale par la mobilité, appuyer enfin le développement régional (zones rurales, oasis, montagnes). Mais l'offre n'est pas vraiment adaptée aux familles marocaines. Elle pâtit également d'une faible connectivité ou encore d'infrastructure dans les territoires régionaux et locaux. Au total, le tourisme national arrive avec 8,5 millions de visiteurs étrangers à hauteur de 30% des 28,7 millions de nuitées de l'année 2024.

La demande est forte mais c'est l'offre qui reste hautement insuffisante : elle est toujours déséquilibrée, surtout en été, pénalisant les nationaux par suite de la flambée des prix de services en été. Le ministère du Tourisme parle de "mesures correctives" face à ce phénomène (diversification de l'offre, un nouveau cadre juridique une qualité de service et des tarifs encadrés). Pour l'heure, rien de bien concret, exception faite de nouvelles lignes intérieures et de modestes incitations à l'investissement dans des produits spécifiques (montagne, tourisme de nature et rural, culturel et patrimonial, thermalisme et bien-être, religieux et spirituel (zaouias mausolées, moussems,...). Une clientèle segmentée.

Un discours de réforme...
Rester dans la gestion d'un discours de réforme accompagné de chiffres positifs ne doit pas dispenser d'une appréhension plus globale du tourisme dans le développement ainsi que dans le nouveau modèle de société à l'ordre du jour. La recette moyenne de chaque touriste au Maroc est de 90 dollars environ  - comme en Égypte avec 88 $- mais de 120 $ au Portugal, de 146 $ en Turquie et de 188 $ en Espagne. Des mesures structurelles annoncées sont restées lettre morte. Le Conseil Supérieur du Tourisme, créé par décret en 2015 et présidé par le Chef de l'exécutif est-il encore opératoire ? Composé de 30 membres (ministres, ONMT, CGEM, opérateurs privés...), assume-t-il ses missions ? En tout état de cause, la gouvernance de ce secteur est à améliorer de même que la territorialisation régionale et locale.



Jeudi 26 Juin 2025

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