Transformer la pénurie en prospérité : Innovations et stratégies pour une gestion durable de l’eau au Maroc"




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Mohammed BENAHMED, Expert international en développement durable et financement

Face à la raréfaction croissante des ressources en eau, exacerbée par les effets du changement climatique et une demande en hausse, le Maroc se trouve à un carrefour décisif. Les approches traditionnelles de gestion de l’eau, bien qu’essentielles, ne suffisent plus à répondre aux défis actuels.

Cet article explore des solutions novatrices, telles que la réutilisation des eaux grises, l’intégration de panneaux photovoltaïques flottants, ou encore les couvertures de réservoirs, en s’appuyant sur des données empiriques récentes et des expériences internationales transposables. L’objectif est de démontrer comment des technologies et des approches collaboratives peuvent transformer cette crise en une opportunité durable pour le Maroc.

Une gestion hydrique face à une pression sans précédent

La gestion de l’eau au Maroc est confrontée à des défis complexes, mêlant une raréfaction des ressources hydriques, une surexploitation accrue et une urbanisation rapide. Selon l’UNESCO (2023), le Maroc a vu ses ressources en eau par habitant chuter de 45 % en trente ans. Cette diminution s’accompagne de sécheresses répétées, réduisant les niveaux des principaux barrages du pays à des seuils critiques, tels que le barrage Al Massira qui fonctionne actuellement à moins de 15 % de sa
capacité. Parallèlement, l’utilisation inefficace de l’eau dans les secteurs agricole et domestique aggrave la situation.

Cependant, loin de se résigner à cette crise, le Maroc a une opportunité unique de se positionner comme un leader régional dans la gestion durable de l’eau. À travers des innovations technologiques, des politiques inclusives et une coopération internationale renforcée, il est possible de réinventer les approches hydriques actuelles tout en garantissant un avenir résilient.

La réutilisation des eaux grises : une ressource encore sous-exploitée

La réutilisation des eaux grises, représentant environ 60 % des eaux usées domestiques, constitue une opportunité significative pour réduire la pression sur les ressources en eau potable. Ces eaux, issues des douches, des lavabos ou encore des machines à laver, contiennent peu de contaminants organiques, ce qui les rend plus faciles à traiter que les eaux noires des toilettes.

Dans des pays comme Singapour, la réutilisation des eaux usées a atteint un niveau de sophistication impressionnant. Le programme NEWater recycle aujourd’hui 40 % des eaux usées urbaines pour divers usages, y compris la consommation humaine. En Australie, les eaux grises traitées sont intégrées dans des réseaux séparés pour l’irrigation des espaces verts et le nettoyage, ce qui a permis une réduction de 20 % de la consommation d’eau potable à Melbourne.

Au Maroc, les eaux grises représentent un potentiel inexploité. Dans les zones résidentielles, des projets pilotes, comme celui mené à Marrakech, montrent que l’installation de systèmes de filtration domestiques pourrait permettre de réutiliser ces eaux pour l’irrigation ou les toilettes, réduisant de 25 % les besoins en eau potable. Si ces systèmes étaient généralisés, le pays pourrait économiser jusqu’à 700 millions de m³ d’eau chaque année (PNUD, 2023)

​Panneaux photovoltaïques flottants : une double révolution énergétique et hydrique

L’intégration des panneaux photovoltaïques flottants (FPV) sur les plans d’eau constitue une avancée majeure pour conjuguer la production d’énergie renouvelable et la préservation des ressources en eau.

Ces installations permettent de réduire l’évaporation des réservoirs tout en produisant une énergie propre, essentielle pour alimenter les infrastructures hydriques.

Des exemples internationaux illustrent le potentiel de cette technologie. Au Japon, le barrage de Yamakura héberge une centrale FPV couvrant 13,7 hectares et produisant 13,7 MW d’électricité tout en diminuant de 15 % l’évaporation de l’eau. En Inde, le projet du lac Omkareshwar, avec une capacité de 600 MW, a permis d’économiser 1 milliard de litres d’eau par an grâce à la réduction de l’évaporation.

Au Maroc, le potentiel de ces technologies est immense. Le barrage Al Massira, par exemple, pourrait accueillir une centrale FPV d’une capacité de 100 MW, capable d’alimenter 120 000 foyers tout en réduisant significativement les pertes d’eau dues à l’évaporation. Ces projets nécessitent toutefois une intégration stratégique, incluant la formation technique locale et la mise en place de partenariats public-privé pour garantir leur viabilité à long terme.

Vers une transition numérique et financière pour une gestion hydrique efficace

La gestion de l’eau au Maroc ne peut être dissociée des avancées technologiques et des mécanismes de financement innovants.

Dans l’agriculture, secteur responsable de 80 % de la consommation hydrique, l’adoption de capteurs IoT, de drones et de plateformes d’intelligence artificielle permet d’optimiser l’irrigation, réduisant les pertes d’eau de 20 à 40 %. Des initiatives similaires en Inde et au Chili ont prouvé leur efficacité, avec des économies annuelles de plusieurs milliards de litres d’eau.

Par ailleurs, le financement des projets hydriques nécessite des approches disruptives. Les "green bonds" pourraient soutenir des initiatives comme la réutilisation des eaux usées ou l’installation de panneaux solaires flottants, tout en attirant des investissements durables. Le barrage de Taghzirt, financé partiellement par des obligations vertes, illustre cette possibilité au Maroc.

Une feuille de route claire est essentielle pour guider ces efforts. Parmi les indicateurs de succès figurent la réduction des taux d’évaporation des barrages, l’augmentation des surfaces irriguées grâce aux eaux usées traitées, ou encore la baisse des prélèvements dans les nappes phréatiques. Avec des partenariats internationaux renforcés, le Maroc pourrait s’inspirer des Pays-Bas ou d’Israël pour bâtir une gestion hydrique durable, alliant résilience environnementale et efficacité économique.

Couvertures de réservoirs et gestion intégrée eau-énergie

Les couvertures de réservoirs, souvent négligées, constituent une solution pragmatique pour préserver les ressources hydriques. Ces structures, installées à la surface des réservoirs, permettent de réduire l’évaporation de l’eau jusqu’à 80 %, tout en limitant la prolifération des algues.

Les Émirats arabes unis ont expérimenté ces systèmes dans le désert d’Al Ain, économisant 80 % de l’eau des réservoirs tout en maintenant la qualité des ressources. Aux États-Unis, la ville de Los Angeles a adopté les "Shade Balls", des boules flottantes qui protègent les réservoirs tout en économisant des millions de gallons d’eau par an.

Au Maroc, le barrage Sidi Mohammed Ben Abdellah pourrait être équipé de ces solutions pour réduire les pertes d’eau et, combiné à des panneaux solaires flottants, produire une énergie propre pour alimenter les zones rurales environnantes.

Mobilisation numérique et collaboration internationale : De la crise à l’opportunité

L’utilisation des technologies numériques représente une étape cruciale dans la modernisation de la gestion hydrique. Les capteurs IoT permettent un suivi en temps réel des niveaux d’eau dans les barrages et les nappes phréatiques, tandis que l’intelligence artificielle offre des prévisions précises pour optimiser les allocations d’eau.

La collaboration internationale joue également un rôle déterminant. Singapour, Israël et les Pays-Bas démontrent l’importance d’un partage des connaissances et d’une gestion transfrontalière efficace. Le Maroc, en tirant parti de ces expériences, peut non seulement moderniser ses infrastructures, mais aussi devenir un acteur clé dans la coopération régionale sur l’eau en Afrique du Nord.

Le Maroc, confronté à une crise hydrique sans précédent, a les moyens de transformer ce défi en une opportunité durable. En combinant des technologies innovantes, comme la réutilisation des eaux grises et les panneaux photovoltaïques flottants, avec des approches intégrées et collaboratives, le Royaume peut garantir une gestion hydrique résiliente.

Ce chemin nécessite une vision claire, soutenue par une volonté politique forte et l’implication active des citoyens. Face aux défis du changement climatique, l’innovation, la mobilisation et la coopération internationale seront les piliers d’un avenir hydrique durable et prometteur.

​Références


• UNESCO. Rapport mondial sur l’eau, 2023.
• PNUD. Études hydriques nationales, 2023.
• International Renewable Energy Agency. "Floating PV Systems and Water Management," 2022.


Mercredi 5 Mars 2025

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