Triple transition : comment les EEP sont sommés d’intégrer le climat, le digital et le social


Rédigé par Hajar DEHANE le Vendredi 18 Juillet 2025



À l’heure de la transition écologique, de la révolution numérique et des attentes sociales croissantes, les entreprises publiques marocaines doivent se réinventer. L’État actionnaire veut en faire des modèles durables.
Le monde change à grande vitesse. La crise climatique s’intensifie, les technologies bouleversent les modèles économiques, et les inégalités sociales se creusent. Dans ce contexte, les entreprises publiques (EEP) marocaines n’échappent pas à la triple pression du climat, du digital et du social.

Longtemps perçues comme des bastions de stabilité et de service, elles sont désormais sommées de se transformer profondément pour incarner une nouvelle génération d’acteurs publics, responsables, efficients et inclusifs.

Climat : passer de la conformité à la stratégie

La dimension environnementale est aujourd’hui incontournable dans la stratégie des EEP. Certaines d’entre elles, à l’image de l’Office chérifien des phosphates (OCP), de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) ou encore de l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen), ont intégré les enjeux climatiques dans leur modèle économique.

Mais de nombreuses autres établissements publics accusent un retard préoccupant. Pourtant, les défis sont bien identifiés : réduction de l’empreinte carbone, gestion durable des ressources (eau, énergie, déchets), adaptation aux risques climatiques tels que la sécheresse ou les inondations, et prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les marchés publics.

L’Agence Nationale de Gestion Stratégique des Participations de l'Etat (ANGSPE) ambitionne désormais de faire du “climat” un indicateur de performance à part entière, au même titre que les résultats financiers. Cela implique l’élaboration de bilans carbone obligatoires, la mise en place de plans de transition écologique, et la mobilisation d’investissements verts.

Digital : sortir de la lenteur administrative

Deuxième pilier de la triple transition, la transformation numérique s’impose comme un impératif stratégique pour les entreprises publiques marocaines. Pourtant, bon nombre d’entre elles restent engluées dans une lenteur administrative structurelle, héritée de systèmes d’information obsolètes, d’une gouvernance de la donnée quasi inexistante, de failles persistantes en cybersécurité et d’un recours encore timide à l’intelligence artificielle.

Pour accélérer le rythme, l’ANGSPE incite les établissements publics à se doter de feuilles de route digitales claires, à intégrer des outils de pilotage par la donnée, à automatiser les fonctions support, mais surtout à proposer des services numériques accessibles et performants aux citoyens comme aux entreprises.

Dans ce contexte, la digitalisation n’est plus un choix technologique, mais une condition de survie institutionnelle, de transparence administrative et de compétitivité économique, tant dans la gestion interne que dans la relation aux usagers et aux territoires.

Social : au-delà de l’emploi, un devoir d’impact

Troisième pilier souvent négligé de la transformation des EEP, l’impact social mérite d’être placé au cœur des priorités. Acteurs économiques de premier plan, représentant près de 80 % de l’investissement public, les EEP ont une responsabilité directe dans la lutte contre les inégalités, la promotion de la parité, l’inclusion territoriale, la formation des jeunes et l’élargissement de l’accès aux services.

Cela suppose des recrutements inclusifs prenant en compte le genre, le handicap et les zones défavorisées, des partenariats solides avec les universités et les régions, des politiques RSE auditées et mesurables, ainsi qu’un dialogue soutenu avec la société civile. Car sans transition sociale, point de confiance ni de stabilité : la fracture entre institutions et citoyens risque de s’élargir dangereusement

Une approche transversale, pilotée par l’ANGSPE

La triple transition ne doit pas être fragmentée, mais intégrée. Pour l'ANGSPE, il s’agit d’imposer une vision intégrée, fondée sur des outils communs et une gouvernance renouvelée. Cela passe par l’introduction de contrats de performance assortis d’indicateurs non financiers (climat, digital, impact social), l’instauration de comités de durabilité dans les conseils d’administration, l’indexation partielle des rémunérations des dirigeants à ces critères, ou encore le lancement d’appels à projets transversaux sur l’innovation durable. Cette approche systémique vise à rompre avec la logique de gestion en silos, source d’inefficacité, pour instaurer une dynamique de transformation cohérente, pilotée et mesurable à l’échelle de l’ensemble du portefeuille public.

​Vers un capitalisme d’État responsable ?

Avec cette triple transition, l’État marocain dessine un nouveau modèle d’actionnariat public. Plus exigeant, plus moderne, plus ancré dans les grands défis du siècle. Il ne s’agit plus seulement de rentabilité ou d’extension des services, mais d’impact, d’agilité et de durabilité.

Les EEP, si elles relèvent ce défi, peuvent devenir des locomotives d’un développement souverain, vert et solidaire. Sinon, elles risquent d’être dépassées par les exigences de leur temps, et remplacées par des alternatives plus agiles, voire étrangères.

L’heure n’est plus aux ajustements marginaux, mais à la refonte stratégique du rôle public dans l’économie.




Vendredi 18 Juillet 2025
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