Un livre de rahma bourquia : les sciences sociales et humaines en crise ?


L'héritage est là : les sciences humaines et sociales sont précieuses dans la production du savoir; elles aident à l'appréhension des transformations de la société. Qu'en est-il cependant de leur statut et de leur rôle face a aux mutations technologiques ? Compte rendu de Mustapha Sehimi.



Par Mustapha Sehimi

Avec ce livre, Les sciences humaines sont-elles en crise ? (la Croisée des chemins Casablanca, 2025, 253 p.), Rahma Bourquia s'attelle à une problématique de fond: celle de l'épreuve, pourrait-on dire, des sciences humaines et sociales confrontées aux nouvelles données de la société dans leur versant technologique (IA, algorithmes, technocratie,...), Figure universitaire éminente, présidente de l'Université Hassan II Mohammedia, aujourd'hui à la tête du Conseil supérieur de l'éducation de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS), membre de l'Académie du Royaume, elle a publié plusieurs ouvrages en sa qualité de sociologue et d'anthropologue.

Quels outils d’analyse ?

L'hypothèse de cet ouvrage est de s'interroger sur les sciences humaines et sociales: leur inventaire analytique, leur apport au savoir et les défis qu'elles rencontrent dans la société contemporaine marquées notamment du sceau du "paradigme entrepreneurial" et du "développement du numérique". Contribuent-elles encore à une meilleure connaissance humaine et sociale? Quels outils d'analyse sont pertinents et efficients ? N'y-a t-il pas crise dans champ du savoir ? Une approche comparative qui prend également en charge le Maroc avec ses spécificités historiques.

L'auteur retrace longuement la longue histoire conceptuelle des sciences humaines et sociales avec ses courants critiques sans oublier la science coloniale. Elle traite également du mode de production du savoir dans l'Université marocaine. Peut-on parler globalement de "crise"? De fait, n'a-t-on pas affaire plutôt au "reflet des crises des réalités économiques et sociales et des sociétés en grande transformation et en reconfiguration "? De nouveaux objets prennent place dans ce champ-là avec un champ transdisciplinaire élargi aux neurosciences et aux sciences de l'éducation, ainsi qu’a l'intelligence artificielle (IA). S'il y a crise, c'est que les écueils  ne manquent pas. Référence est faite à la conjonction de plusieurs facteurs: la crise du système monde et des théories globalisantes avec la fragmentation de l'objet, la dominance de l'économisme qui s'est pratiquement approprié tout le champ de la production des connaissances au profit de l'économie néo-libérale et puis ce qu'elle appelle "un utilitarisme réducteur". Le scientisme prévaut avec son corollaire de la marginalisation des sciences humaines et sociales comme si elles étaient économiquement "inutiles".

Science et… opinion

Mais il y a plus. C'est qu'en effet la science aujourd'hui est fortement concurrencée par l'opinion - un fait déjà relevé par Gaston Bachelard dans son livre de référence "Formation de l'esprit scientifique": " L'opinion pense mal; elle ne pense pas: elle traduit des besoins en connaissances ! En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître… L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur  des questions que nous ne savons pas   formuler clairement... les problèmes ne se posent pas d'eux- mêmes". Pour autant, les opinions pour subjectives qu'elles soient constituent une matière première utile sur le ressenti et le vécu des citoyens et leurs relations sociales; il appartient aux chercheurs d'étudier au-delà du langage et de proposer une grille d'interprétation avec des méthodes, des théories et des savoirs propres". Autrement dit, ces questions :le pourquoi ? Le comment ? Un autre écueil regarde la perméabilité des sciences humaines et sociales aux idéologies, notamment les idées marxisantes dans les universités marocaines ainsi que le renforcement des études islamiques. Une politique d'"islamisation" éloignée d'une islamologie de rigueur scientifique, dissociée de la théologie (fiqh).

Enfin, le problème du "médiatique, du numérique et de l'oralité": avènement de nouvelles formes de production, de diffusion et de circulation (blogs, plateformes, supports et formes de mise en ligne...). L'intellectuel médiatique voit son statut émerger et se consolider même, éclipsant le chercheur qui, lui, produit de l'écrit. Une oralité médiatique qui ne diffuse pas vraiment un savoir éclairé: tant s'en faut. Un débat de fond. Une nouvelle ingénierie économique et sociale est à l'ordre du jour. Les sciences humaines et sociales une contribution significative pour une meilleure peuvent y apporter connaissance des défis et des enjeux de ce processus de transformation.



Lundi 18 Aout 2025

Dans la même rubrique :