À la surprise générale, une réforme attendue depuis près de vingt ans semble enfin prendre forme dans le paysage de la formation continue au Maroc. Lors des toutes dernières réunions de suivi de la feuille de route pour l’emploi, des décisions qualifiées de « majeures » ont été actées. Le chantier est vaste, les attentes énormes, mais les signaux convergent : l’État s’apprête à opérer une profonde refonte du système de la formation professionnelle continue. Une annonce qui sonne comme une petite révolution dans un secteur longtemps figé dans l’entre-deux.
Un consensus né dans la discrétion
Les débats ont été houleux ces dernières années, et les crispations nombreuses entre pouvoirs publics, patronat et syndicats. Pourtant, c’est dans une atmosphère plutôt feutrée que le ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences a réuni fin juin un panel d’acteurs publics et privés pour faire le point sur la feuille de route pour l’emploi 2023-2026. C’est à cette occasion, selon plusieurs sources proches du dossier, qu’une avancée déterminante a été entérinée : la réforme du dispositif national de formation continue figure désormais parmi les axes d’action prioritaires.
Une vieille revendication patronale
Le patronat marocain, à travers la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), n’a eu de cesse de dénoncer l’inefficacité et l’opacité d’un système censé accompagner la montée en compétences des salariés tout au long de leur carrière. Car si la formation initiale a connu une refonte progressive ces dernières années, notamment grâce à l’implication de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), la formation continue est restée le parent pauvre des politiques publiques.
Un financement rigide, une faible adaptation aux besoins des entreprises, des lourdeurs administratives et un flou juridique sur l’éligibilité des formations ont longtemps freiné un dispositif pourtant crucial dans une économie en mutation rapide.
Un financement rigide, une faible adaptation aux besoins des entreprises, des lourdeurs administratives et un flou juridique sur l’éligibilité des formations ont longtemps freiné un dispositif pourtant crucial dans une économie en mutation rapide.
Une nouvelle gouvernance en vue ?
Parmi les pistes qui auraient été actées figure une refonte de la gouvernance du système de financement de la formation continue. Exit, possiblement, le pilotage centralisé par les seuls fonds de la taxe professionnelle. L'idée d’un guichet unique ou d’une caisse autonome ouverte à la co-gestion entre État et secteur privé fait son chemin. Un chantier qui pourrait être confié à une instance ad hoc inspirée des modèles internationaux de "Skills Councils", des plateformes mixtes de pilotage stratégique.
Un besoin urgent d’adaptation aux transitions
Cette réforme arrive à point nommé, alors que les entreprises marocaines, notamment dans l’industrie, les services numériques ou encore le tourisme, sont confrontées à de profondes transformations : automatisation, digitalisation, exigences écologiques. La montée en compétence des ressources humaines devient une condition sine qua non de compétitivité. Or, à peine 3 % des salariés marocains bénéficient aujourd’hui d’une formation continue chaque année, contre plus de 30 % dans certains pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’humain au cœur du redémarrage
Au-delà des logiques économiques, cette réforme pourrait également être un levier social. Elle permettrait d’offrir aux salariés, y compris les moins qualifiés, des passerelles d’évolution, des remises à niveau ou des reconversions. Dans un contexte de chômage structurel des jeunes diplômés et de déclassement professionnel des seniors, la formation tout au long de la vie n’est plus une option, mais une nécessité.
Ce qui pourrait changer dès 2026
Selon les indiscrétions issues de la réunion interministérielle, les premières mesures législatives devraient être présentées en Conseil de gouvernement à l’automne. Un projet de loi-cadre sur la formation professionnelle continue serait dans les cartons, accompagné d’un mécanisme incitatif pour les entreprises (crédits d’impôt, bonifications, simplification des procédures).
Autre innovation : un futur catalogue national de formations qualifiantes co-construit avec les branches professionnelles, et ouvert à des prestataires publics comme privés, certifiés sur la base d’un référentiel qualité. Une logique de "formation à la demande" et non plus "de l’offre vers l’offre".
Autre innovation : un futur catalogue national de formations qualifiantes co-construit avec les branches professionnelles, et ouvert à des prestataires publics comme privés, certifiés sur la base d’un référentiel qualité. Une logique de "formation à la demande" et non plus "de l’offre vers l’offre".
Une réforme sous haute vigilance
Mais les écueils sont nombreux. Le risque d’un effet d’annonce non suivi d’exécution hante encore les esprits, tout comme la crainte d’un système trop complexe pour les TPE-PME. La réussite passera nécessairement par une concertation continue, des moyens budgétaires crédibles, et une capacité réelle à opérer une rupture culturelle au sein des administrations concernées.
Vers un nouveau contrat social de la compétence ?
La révolution de la formation continue au Maroc ne sera pas spectaculaire, mais elle pourrait bien être décisive. Si les annonces se concrétisent, le Royaume pourrait enfin sortir de l’immobilisme et donner un second souffle à ses politiques d’employabilité. Dans une économie globalisée où le savoir-faire devient la première richesse, il était temps.