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Par Naim Kamal
On va à l’école pour apprendre, mais aussi et surtout pour s’assurer un avenir. Encore faudrait-il survivre au Maroc à la logique de sa propre bureaucratie. En voici un exemple éloquent : un étudiant, la plupart du temps avec le soutien matériel de ses parents, gravit les étages de l’université et croit atteindre des sommets en accédant au Master. Illusion. Car à l’étage du ‘’Master spécialisé’’, ce n’est pas l’ascenseur social qu’il trouve, mais un pallier fermé. Récit d’une aberration :
Le Master universitaire spécialisé, payant, délivré par des universités publiques, n’est pas un diplôme national. Il n’est reconnu ni pour l’accès à la fonction publique, ni dans les concours de l’administration. C’est l’archétype du vrai faux Master que l’Etat produit, facture (parfois jusqu’à 56.000 dh), mais qu’il ne valide pas. L’université le vend, mais n’en assure pas le service après-vente. On l’enseigne, mais on le dévalorise ipso facto. Une imposture légale, rendue possible par les subtilités de la loi 01-00 qui autorise les universités à créer des diplômes éponymes sans les inscrire dans le cadre des diplômes nationaux.
Résultat : le Master spécialisé devient un produit de consommation jetable, utile tout au plus dans le secteur privé, et encore. La Majorité de ces formations sont pour les enseignants un moyen d’arrondir les fins des mois. Pour les universités, une source de revenus. Pour l’étudiant un mirage d’élévation sociale.
Le faux-vrai diplôme
Pendant que les étudiants sont ainsi ‘’ Mastirysés’’, des enseignants, eux, franchissent la ligne. A Agadir, l’un d’eux défraye la chronique, arrêté pour avoir vendu des diplômes. Pas des attestations de présence, non, mais des diplômes en bonne et indue forme. De vrai-fais diplômés supérieurs sortis de son chapeau et payés de leurs poches. Récit de l’absurde :
Ce qui choque, c’est que ces faux diplômes là sont, eux, reconnus. Ils permettent à leurs détenteurs de passer des concours, d’obtenir des postes, de siéger à des jurys. Pendant longtemps les pouvoirs publics ne bronchent pas ou si peu. L’Etat est ici à la fois victime et coupable d’une faraude qui n’est plus une exception. Mais une méthode, un raccourci de contournement que tout un écosystème rend possible : syndicats protecteurs, réseaux informels, silence complice, ministères absents.
Le paradoxe est total : un étudiant honnête, qui paye des milliers de dhs pour suivre un Master public non reconnu, voit sa formation invalidée. Un autre, achetant un titre sous la table, peut prétendre à tous les postes publics. L’un est floué par la loi, l’autre protégé par l’absence de responsabilité. L’un est victime d’un système défaillant, l’autre en est le fruit.
Dans ce double dysfonctionnement, ce n’est pas seulement l’université qui est attaquée, c’est la valeur même du mérite et de l’effort. Ce sont les jeunes qui, à force d’efforts honnêtes, finissent par douter de l’effort. Ce sont les familles qui se sentent trompées. L’Etat est trahi, la société est trahie, et celle-ci dans son ensemble qui perd confiance dans ses propres institutions.
Le diplôme n’est plus le sésame du savoir ou de l’ascenseur social. Il est devenu un objet de doute. Une ligne sur un CV qui nécessite enquête.
Pour réparer les dégâts et recoller les morceaux, il faut plus qu’une volonté politique ferme, un sursaut moral. Sévir, assainir, restaurer les valeurs, et surtout exiger des rouages de l’Etat qu’ils cessent de produire ce qu’ils refusent de reconnaître, et reconnaître ce que des responsables à différents échelons, refusent de voir.
Rédigé par Naim Kamal sur Quid