​143 milliards de dirhams pour l’eau : où en est-on ?


Rédigé par La rédaction le Jeudi 26 Juin 2025



Annoncée en grande pompe en octobre 2022 par le roi Mohammed VI, l’enveloppe de 143 milliards de dirhams dédiée au Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation (PNAEPI) a été saluée comme un tournant historique. Jamais dans l’histoire du Maroc une telle somme n’avait été allouée à une politique publique ciblant exclusivement la sécurité hydrique. Mais trois ans plus tard, une question simple mais cruciale se pose : où en est-on ?

Ce montant colossal, réparti sur une période de huit ans (2020–2027), visait des objectifs précis : sécuriser l’accès à l’eau potable pour l’ensemble de la population, garantir au moins 80 % des besoins d’irrigation sur le territoire national, désaliniser massivement l’eau de mer, construire de nouveaux barrages, moderniser les réseaux, et lutter contre les pertes et le gaspillage. En théorie, un plan complet, transversal et ambitieux. En pratique, la mise en œuvre connaît des avancées... mais aussi des retards préoccupants.

Côté réalisations, certains projets avancent à bon rythme. Dix-sept stations de dessalement sont déjà en service ou en cours de finalisation. D’ici 2028, elles devraient produire plus de 322 millions de mètres cubes d’eau douce. Les neuf autres, programmées pour 2030–2040, viendront compléter une capacité nationale de 1 257 Mm³. Cette dynamique est particulièrement visible à Agadir, Dakhla, Jorf Lasfar et Laâyoune. Les projets de Casablanca et Nador, bien qu’en phase d’études ou de début de chantier, concentrent déjà une part importante des budgets engagés.

Côté barrages, 16 sont en construction, avec une capacité totale de stockage de 4 420 Mm³, auxquels s’ajouteront 13 autres barrages programmés pour l’horizon 2040. Là encore, les chantiers emblématiques comme Ratba (1 900 Mm³) ou Kheng-Grou (1 068 Mm³) absorbent à eux seuls une large part des investissements. La logique est territoriale : irriguer les zones rurales, renforcer la résilience face aux inondations, et produire de l’électricité hydraulique.

Les autoroutes de l’eau, quant à elles, symbolisent le volet logistique du plan. La première, opérationnelle depuis 2023, a permis de transférer plus de 468 millions de mètres cubes du bassin du Sebou vers Rabat et Casablanca, dépassant les attentes initiales. La deuxième tranche, en cours, promet d’étendre ce réseau stratégique vers le sud et l’est du pays.

Mais au-delà des chiffres, des signaux d’alerte s’accumulent. Plusieurs experts dénoncent des retards de livraison, notamment pour les barrages de moyenne capacité. Le foncier, les études d’impact, la complexité des appels d’offres ou encore le manque de coordination entre ministères freinent parfois la cadence. Le rythme d’exécution budgétaire ne suit pas toujours les annonces : selon certains rapports internes, moins de 40 % des fonds alloués ont été effectivement engagés à mi-parcours du programme.

Autre inquiétude : l’entretien et la gouvernance des infrastructures une fois livrées. Construire une station ou un barrage est une chose, garantir son bon fonctionnement dans la durée en est une autre. Des communes rurales peinent à gérer l’arrivée soudaine d’équipements sophistiqués sans personnel formé ni budget de maintenance.

Et pendant ce temps, la demande continue d’augmenter. La croissance urbaine, le développement industriel et les changements climatiques accélèrent la pression sur la ressource. Si l’offre progresse, elle court toujours après une consommation en hausse constante.

L’enveloppe de 143 milliards de dirhams représente sans aucun doute un effort exceptionnel. Mais sa réussite ne se mesurera pas uniquement à l’aune des projets lancés. Elle dépendra de la capacité à les livrer à temps, à les faire fonctionner durablement, et à intégrer la lutte contre le gaspillage dans chaque dirham dépensé.

En somme, l’enjeu n’est plus de promettre des milliards. Il est désormais de les transformer en mètres cubes, en hectares irrigués, en robinets qui coulent – durablement – dans chaque foyer.




Jeudi 26 Juin 2025
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