​Chronique – La fin d’une ère à Bank Al-Maghrib


Rédigé par le Samedi 27 Septembre 2025

La succession d’Abdellatif Jouahri à Bank Al-Maghrib alimente les spéculations : huit profils pressentis pour incarner l’avenir monétaire du Maroc selon la rumeur



Ce week-end, entre les greens parfaitement taillés des parcours de golf de Rabat et les salons feutrés de Casablanca, un murmure s’est imposé comme sujet unique de conversation : le gouverneur de Bank Al-Maghrib a annoncé qu’il quittera son poste à la fin de son mandat. Une annonce sobre, presque anodine, mais qui a eu l’effet d’un séisme silencieux dans les cercles économiques et politiques. Après plus de deux décennies à incarner la stabilité monétaire du royaume, sa sortie programmée ouvre un champ de spéculations sans fin. Les élites du pays, entre un swing et une gorgée de thé vert, ne parlent que de cela : qui, demain, sera le gardien du dirham, le maître des taux directeurs, le garant de la crédibilité financière du Maroc ?

On n’occupe pas plus de vingt ans le siège de gouverneur de la banque centrale sans marquer profondément l’institution. Le futur départ symbolise la fin d’une époque : celle où un seul homme, avec son style fait de rigueur, de prudence et d’un franc-parler redouté, a su maintenir le cap dans des eaux parfois tumultueuses.

Son mandat a traversé des crises financières internationales, des chocs énergétiques, des tensions inflationnistes et des vagues de réformes internes. À chaque fois, il s’est posé en arbitre vigilant, rappelant que la monnaie n’est pas un jouet politique mais une infrastructure vitale, invisible et fragile. Sa longévité elle-même fut un message : dans un monde de mandats courts et de ministres éphémères, la stabilité monétaire exige de la continuité.

Son style ? Froid pour certains, paternel pour d’autres. Mais tous reconnaissent qu’il a donné une colonne vertébrale à la politique monétaire du pays. Et c’est précisément ce qui rend la succession vertigineuse : comment remplacer une figure devenue presque une institution à part entière ?

Le poste de gouverneur n’est pas une fonction technique parmi d’autres. C’est un carrefour où se croisent la politique, la finance et la souveraineté. Il commande la politique monétaire, supervise le système bancaire, dialogue avec les marchés internationaux, et tient entre ses mains la valeur du dirham, donc le pouvoir d’achat de millions de citoyens.

À l’intérieur, il rassure les banques commerciales, surveille l’inflation, arbitre entre croissance et stabilité. À l’extérieur, il représente le Maroc auprès des institutions financières mondiales et crédibilise la signature du pays sur les marchés. Chaque mot du gouverneur, chaque hausse ou baisse de taux directeur, peut peser sur les cours, influencer la confiance des investisseurs, orienter les choix budgétaires.

En clair, il est à la fois gardien de la forteresse monétaire et figure publique dont la voix engage l’État. Un profil qui exige autant de technicité que de stature.

Les profils qui émergent dans les conversations

Dans les cercles où l’on cause en aparté, les spéculations vont bon train. Mais elles ne portent pas sur des noms précis — que personne n’oserait avancer publiquement sans prendre un risque politique —, plutôt sur des profils.

Certains imaginent un successeur issu du sérail même de la Banque centrale, un technocrate pur, ayant gravi les échelons internes et maîtrisant de l’intérieur les subtilités de l’institution. L’avantage : continuité, expertise, zéro apprentissage nécessaire. L’inconvénient : moins de vision politique, moins de capacité à dialoguer avec le gouvernement.

D’autres parient sur un profil venu des finances publiques, un ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Économie ou du Trésor, capable de parler la langue des budgets et des réformes structurelles. Atout : une connaissance fine des contraintes de l’État. Risque : être perçu comme trop proche du politique, au détriment de l’indépendance.

Enfin, certains soufflent l’idée d’un profil international, passé par les grandes banques multilatérales ou des institutions financières de renom. L’avantage : crédibilité immédiate auprès des marchés et aura diplomatique. La limite : l’ancrage local, la connaissance des réalités marocaines, l’acceptation par les cercles domestiques.

Chaque profil dit quelque chose de la direction que le pays veut donner à sa politique monétaire : continuité prudente, arrimage budgétaire ou ouverture internationale.

Il est fascinant de voir comment une annonce institutionnelle se transforme en conversation mondaine. Dans les salons huppés de Rabat, les diplomates, les banquiers et les politiques spéculent avec le même entrain que l’on met à commenter un match de football. Sur les greens de Casablanca, entre deux putts, les joueurs refont le casting de la Banque centrale comme on referait celui d’un gouvernement.

Ces espaces d’entre-soi fonctionnent comme des chambres d’écho. Ils ne décident pas, mais ils testent, ils murmurent, ils fabriquent de la rumeur. Et la rumeur, dans un pays où les signaux officiels restent rares, a un pouvoir structurant : elle alimente les marchés, façonne les anticipations, installe des scénarios mentaux.

Il faut prendre ces conversations pour ce qu’elles sont : une manière pour les élites de se rassurer, de s’approprier symboliquement une décision qui, en réalité, échappe à leur pouvoir. Le choix du successeur relèvera du pouvoir régalien, et de lui seul. Mais en attendant, chacun se plaît à jouer les oracles.

Le départ du gouverneur intervient à un moment délicat. L’économie marocaine est en transition, entre les grands chantiers d’infrastructures, les défis de l’emploi et les pressions sociales. La politique monétaire ne peut pas tout, mais elle doit donner de la lisibilité.

Un gouverneur trop accommodant risquerait de nourrir l’inflation et de fragiliser le pouvoir d’achat. Un gouverneur trop strict freinerait la croissance et renforcerait les tensions sociales. Trouver l’équilibre est une équation insoluble, mais indispensable.

De plus, le symbole compte : changer de visage à la tête de la Banque centrale, c’est envoyer un signal fort. Aux citoyens, que la transition est maîtrisée. Aux marchés, que la continuité est garantie. Aux partenaires internationaux, que la crédibilité du Maroc n’est pas affaire d’un seul homme, mais d’une institution robuste.

La question de la succession des banquiers centraux n’est pas propre au Maroc. On se souvient de la fin des mandats de figures comme Mario Draghi à la Banque centrale européenne ou Ben Bernanke à la Fed. Chaque fois, la transition fut un moment scruté avec fébrilité, où l’ombre de l’ancien pesait sur le futur.

Ce que ces exemples montrent, c’est que le plus dur n’est pas d’entrer en fonction, mais de s’imposer rapidement comme une voix crédible. Les marchés, les banques, les citoyens n’accordent pas de délai de grâce. Le nouveau gouverneur sera attendu dès son premier discours, dès sa première décision.

Alors que les salons continuent de bruire et que les greens s’emplissent de spéculations, une vérité demeure : le départ annoncé clôt une page et en ouvre une autre. Le futur gouverneur n’aura pas le luxe du temps. Il devra s’inscrire dans un héritage imposant, tout en affirmant sa propre marque.

Cette chronique pourrait se conclure par une formule toute faite : « nul n’est irremplaçable ». Mais dans le cas présent, ce n’est pas si simple. L’homme qui s’en va a incarné une vision, un style, une époque. Le remplacer, ce n’est pas seulement désigner un technicien compétent. C’est choisir une orientation, une philosophie monétaire, et, au fond, un message au pays et au monde.

Dans l’attente, les élites continueront de spéculer, les marchés d’anticiper, et les golfs de servir de théâtres à ces discussions feutrées. Car parfois, les décisions les plus lourdes se devinent non pas dans les communiqués officiels, mais dans les chuchotements d’un week-end ensoleillé.

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Samedi 27 Septembre 2025
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