​Comptabilité publique : la clé de voûte d’un État moderne

Ce que révèle l’intervention de Monsieur Bensouda, Trésorier Général du Royaume, en marge de la 16ème édition du Colloque International des Finances Publiques, organisée par la Trésorerie Générale du Royaume


Rédigé par La rédaction le Lundi 1 Décembre 2025

Dans une salle où se côtoient hauts fonctionnaires, enseignants-chercheurs, experts internationaux et représentants de la société civile, Monsieur Bensouda, Trésorier Général du Royaume, ouvre une nouvelle conférence organisée en partenariat avec Fondafip. Le choix d’un samedi matin n’est pas anodin : comme il le glisse avec humour, la comptabilité « réveille toujours tôt pour produire des comptes sincères et fidèles ». Mais très vite, l’intervention prend des allures de cours magistral sur les fondements démocratiques, stratégiques et institutionnels de la comptabilité publique dans un État moderne.




Ce rendez-vous, inscrit dans une série consacrée à la modernisation des finances publiques, dépasse largement la simple technique. Il s’agit d’un espace de réflexion collective où les praticiens, universitaires et décideurs viennent confronter leurs expériences, croiser leurs analyses et identifier ce qui peut faire progresser l’action publique. La présence du professeur Michel Bouvier, président de Fondafip, est saluée avec chaleur : selon Monsieur Bensouda, son engagement intellectuel constant et son sens du partage en font une référence internationale en matière de finances publiques.

La comptabilité publique : un rempart contre les dérives autoritaires

Si l’on s’attendait à un exposé purement technique, Monsieur Bensouda surprend dès les premières minutes en inscrivant son propos dans une réflexion politique et philosophique. Citant Dominique de Villepin et son ouvrage Le pouvoir de dire non, il évoque la montée de modèles autoritaires qui s’attaquent à la démocratie libérale. Ces modèles, explique-t-il, reposent soit sur l’« illimitisme », cette tentation de ne reconnaître aucune contrainte, soit sur un « contisme » qui fait mine d’accepter les limites tout en les contournant de l’intérieur.

Dans ce contexte, la séparation des pouvoirs reste le socle indispensable de la liberté. Monsieur Bensouda rappelle d’ailleurs, non sans humour, que l’un des invités présents — de la « promotion Montesquieu » — a fait ses études dans un établissement portant le nom du philosophe. Un clin d’œil qui sert à souligner l’essentiel : la séparation des pouvoirs n’est pas seulement institutionnelle, elle est aussi financière.
Autrement dit, sans transparence et sans reddition des comptes, il ne peut y avoir de démocratie robuste.

Cette idée est résumée dans une citation forte de Pierre Joxe, ancien premier président de la Cour des comptes française :
« Il n’y a pas de finance démocratique sans comptes clairs et lisibles. L’obscurité financière est la source de tous les abus. »

Ainsi, la comptabilité publique n’est pas un simple outil administratif. Elle devient un levier de légitimité démocratique, un mécanisme de contrôle citoyen, une barrière contre les dérives autoritaires et un pilier de l’État de droit.

De l’enregistrement des flux au pilotage stratégique : une révolution silencieuse

Longtemps, la comptabilité publique s’est limitée à une logique de caisse : on enregistrait les dépenses lorsqu’elles étaient payées et les recettes lorsqu’elles rentraient. Une vision utile, mais insuffisante pour une gouvernance moderne.

Monsieur Bensouda explique que la plupart des pays — dont le Maroc — ont entamé une migration progressive vers la comptabilité d’exercice, portée notamment par les normes internationales IPSAS. Ce changement, discret pour le grand public, est en réalité majeur pour l’État.

Une révolution en trois apports décisifs

Une meilleure connaissance du patrimoine public
Immobilisations, infrastructures, participations financières, stocks…
Cette vision patrimoniale permet de mieux décider : faut-il céder, réaffecter ou investir ? Quelle est la valeur réelle des actifs ? Comment optimiser leur gestion ?

La prise en compte des passifs latents
Dettes, engagements hors bilan, retraites…

Grâce à la comptabilité d’exercice, l’État ne raisonne plus seulement à l’année. Il adopte une vision pluriannuelle qui permet de juger la soutenabilité des politiques publiques.

La connaissance du coût réel des services publics
Construire une école, faire fonctionner un hôpital, entretenir une route…
Le coût intégral — incluant amortissements, provisions et charges futures — devient visible, permettant une allocation plus précise et plus efficace des ressources.

La réforme de la Loi organique des finances de 2015 est citée comme une rupture déterminante au Maroc. Elle a aligné réforme budgétaire et réforme comptable, donnant au pays des outils modernes pour piloter les politiques publiques avec rigueur, transparence et prévisibilité.

La comptabilité comme fondement du débat démocratique

Monsieur Bensouda insiste : la comptabilité permet de connaître les ressources consommées et les résultats obtenus.
C’est elle qui offre au Parlement, aux institutions de contrôle et aux citoyens une base objective pour juger la performance de l’État.
Dans un système démocratique, c’est un élément « non négociable » de la confiance publique.

Normes internationales : entre harmonisation et souveraineté nationale

Le deuxième grand axe de l’intervention aborde un sujet sensible : l’harmonisation des normes comptables internationales. Les IPSAS, explique-t-il, ne sont pas neutres. Elles portent la marque du New Public Management, une doctrine qui incite à évaluer l’État comme une entreprise : bilan, performance, rentabilité.

Les avantages

– Transparence accrue
– Comparabilité internationale
– Renforcement de la crédibilité auprès des marchés
– Amélioration des conditions d’accès au financement

Mais aussi des risques et défis

– Imposition d’une vision de l’État parfois éloignée des réalités administratives locales
– Coûts élevés de transition
– Résistance culturelle
– Besoin de compétences nouvelles et de systèmes d’information robustes
– Nécessité d’adapter les normes aux spécificités nationales

Monsieur Bensouda défend une position équilibrée : ni rejet des normes internationales, ni alignement aveugle. Il prône une hybridation intelligente qui préserve les spécificités du pays tout en profitant des gains de transparence et de comparabilité.

La comptabilité verte : un outil pour intégrer l’environnement dans l’action publique

Le troisième axe du discours aborde un défi contemporain majeur : le développement durable.

Face à l’urgence climatique, la comptabilité publique doit évoluer pour intégrer :

les coûts environnementaux,
les impacts sociaux,
l’empreinte carbone des politiques publiques,
et la traçabilité des fonds verts.

Monsieur Bensouda insiste sur un point : les indicateurs environnementaux et sociaux sont moins standardisés, plus difficiles à mesurer, parfois subjectifs.
D’où l’importance d’une comptabilité solide capable de documenter, tracer et objectiver les efforts publics.

Elle devient ainsi un outil stratégique pour éviter le greenwashing, pour orienter les financements, et pour aligner l’action publique avec les Objectifs de développement durable (ODD).

La comptabilité verte transforme la volonté politique en feuilles de route concrètes, mesurables et imputables.

La comptabilité, garante de la légitimité démocratique et du développement

En conclusion, Monsieur Bensouda élargit encore le champ du débat en évoquant les travaux des économistes Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson (prix Nobel 2024).

Leur thèse est claire : les pays prospèrent lorsqu’ils disposent d’institutions inclusives, c’est-à-dire transparentes, responsables et ouvertes à la participation citoyenne.

La comptabilité publique, dans cette perspective, n’est pas une technique froide.
Elle est un instrument politique au sens noble du terme :
elle renforce la confiance, soutient la légitimité, consolide les institutions et prépare les fondations d’un développement durable et équitable.

Une conclusion forte : moderniser la comptabilité, c’est moderniser l’État

À travers un exposé dense, érudit et très structuré, Monsieur Bensouda délivre un message clair : la comptabilité est désormais un outil de gouvernance stratégique, au cœur de la performance publique, de la transparence démocratique et de la soutenabilité des politiques publiques.

De l’enregistrement classique aux enjeux institutionnels, du pilotage budgétaire à la transition écologique, elle est partout :

dans la manière dont l’État planifie,
dans la façon dont il rend des comptes,
dans sa capacité à résister aux dérives,
dans son rapport aux citoyens,
et dans la confiance qu’il inspire.

En refermant la séance, l’idée forte qui s’impose est simple : la comptabilité publique n’est pas un domaine réservé aux experts.
C’est une affaire de démocratie.
C’est une affaire de société.

Transcription LODJ Média / 
avec les réserves journalistiques d'usages 
 

Intervention de Monsieur Bensouda, Trésorier Général du Royaume





Lundi 1 Décembre 2025
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