​Croissance en vitrine, colère en coulisse : manuel (pas si) secret du néolibéralisme à la marocaine


Rédigé par le Jeudi 9 Octobre 2025

On nous l’assure, graphiques à l’appui : l’économie tourne, les investisseurs sourient, l’inflation rentre à la niche. Et pourtant, la rue gronde, jeune, têtue, technophile. Moralité : on peut gagner tous les powerpoints du monde et perdre une génération. La GenZ 212 ne débat pas avec des courbes ; elle vit avec des factures. Voilà le cœur du paradoxe marocain version 2025 : une réussite macro capable d’émouvoir les classeurs des bailleurs, adossée à une dissonance sociale qui fait vibrer les trottoirs.



GenZ 212 vs la macro : fin de la liturgie, place au service

Le récit dominant, poli comme un rapport trimestriel, dit ceci : l’inflation retombe, les prix de l’énergie desserrent l’étreinte, la dette reste tenable, la croissance se diversifie hors agriculture. Ce n’est pas faux ; c’est incomplet. Car l’inflation, quand elle ralentit, ne fait pas descendre les étiquettes, elle les fait monter moins vite. Traduction non technique : le panier reste cher, simplement il grimpe en escaliers au lieu de prendre l’ascenseur. Pendant ce temps, les salaires, eux, prennent le bus et ratent parfois la correspondance. L’économie dit « normalisation » ; le frigo répond « plateau haut ».

Le néolibéralisme local, lui, se porte bien, merci. On privatise, on dérégule, on fiscalise avec douceur les gagnants et on promet que le ruissellement fera le reste. Spoiler : le ruissellement adore l’évaporation. On récolte donc une croissance réelle, mais inégalement partagée, et une jeunesse exposée à un chômage autour de 36 % — championne dans des classements dont on se serait bien passés. Les chiffres officiels murmurent qu’il n’y a qu’environ 6 % de pauvres ? Charmant. Le problème n’est pas seulement la pauvreté administrative ; c’est la précarité vécue : loyers qui mordent, emplois qui clignotent, horizons qui se dérobent. On n’émigre pas parce qu’on déteste son pays ; on part parce qu’on ne voit plus comment y devenir.

Ajoutons la dramaturgie habituelle : « Regardez comme le monde salue nos réformes ! » Très bien. Mais l’applaudimètre international n’a jamais rempli un caddie. Les jeunes ne contestent pas l’ouverture au monde ; ils contestent l’ouverture sans pare-chocs sociaux. Ils n’ont rien contre l’industrie, le tourisme, l’automobile, les chantiers — ils veulent juste de la passerelle : apprentissages payés, formation courte mais efficace, mobilité soutenue, et surtout droits procéduraux simples (réponse publique sous 15 jours, guichets digitaux qui fonctionnent, données ouvertes pour vérifier). Ce n’est ni radical ni utopique ; c’est l’abécédaire d’une modernité crédible.

Le ruissellement qui s’évapore : mode d’emploi d’une colère

Tout cela n’absout pas l’État-providence old school, qui a parfois confondu subvention et solution. Mais l’antidote au clientélisme n’est pas l’indifférence ; c’est la politique sociale intelligente : ciblée, temporaire, conditionnée. Indexer partiellement SMIG, bourses et petites pensions au nouveau niveau de prix ; sanctuariser la maintenance biomédicale avant la peinture ; réserver une part des marchés publics aux jeunes entreprises, payer à l’heure (oui, c’est révolutionnaire) ; publier un tableau de bord des marges et délais le long des chaînes critiques (carburants, logistique, grande distrib, matériaux). Pas sexy, mais hautement pacificateur.

L’autre imposture est méthodologique : confondre moyenne et répartition. On peut gagner 4 % de PIB en moyenne pendant que des quartiers perdent 10 % de confiance. Une politique sérieuse ne se contente pas de « faire de la croissance » ; elle compose avec le territoire, l’âge, le diplôme. Cela suppose de mesurer ce qui compte : temps d’accès aux soins, délais d’obtention des bourses, qualité des emplois créés, taux d’insertion des filières courtes, satisfaction usagers. Le reste — les podiums, les rubans, les drones — c’est du théâtre d’ombres.

Sur le banc des accusés, le logiciel néolibéral n’est pas responsable de tous les maux ; il a simplement été promu au rang de religion d’État, là où il n’est qu’un outil partiel. Oui, attirer le capital et fluidifier les marchés est utile. Non, cela ne remplace ni l’État stratège, ni la médiation sociale, ni la justice de base (contrats respectés, concurrence réelle, conflits d’intérêts gérés comme des risques et non comme des anecdotes). Quand la régulation dort, la défiance se réveille.

Le pays n’a pas besoin d’un grand soir idéologique ; il a besoin d’un matin comptable. Trois colonnes, pas plus : Ce qu’on promet (clair). Ce qu’on livre (daté). Ce qu’on corrige (visible). Si l’on cherche la paix civile, on la trouve rarement dans un concept ; on la trouve dans un formulaire qui marche, un bus qui passe, un soin qui soigne, un stage qui embauche. Le reste, c’est du bruit de fond.

La GenZ 212, en réalité, ne demande pas qu’on renverse la table ; elle demande qu’on pose enfin des couverts. Que la macro cesse d’être un autel, redevienne un tableau de bord, et qu’on accepte d’être jugés sur pièces. Pour un pays qui veut compter, il est temps d’aimer les preuves. C’est moins brillant que la rhétorique, mais infiniment plus tranquillisant.

Mots-clés : GenZ 212, chômage des jeunes, néolibéralisme, inégalités, pouvoir d’achat, pass-through, État stratège, données ouvertes, marchés publics jeunesse, apprentissage rémunéré.





Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls… En savoir plus sur cet auteur
Jeudi 9 Octobre 2025
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