​Cyberattaque déjouée au Sénégal : quand l’Afrique devient un champ de bataille financier invisible


Rédigé par La rédaction le Lundi 22 Décembre 2025

L’information est passée presque inaperçue, noyée dans le flot des faits divers technologiques mondiaux. Pourtant, elle dit beaucoup plus que ce qu’elle laisse entendre. Au Sénégal, une tentative de cyberattaque visant un transfert frauduleux de 7,9 millions de dollars a été stoppée in extremis. Un virement colossal, destiné à disparaître en quelques minutes dans les méandres des circuits financiers internationaux. Ce qui aurait pu devenir l’un des plus importants détournements numériques de l’année en Afrique s’est finalement transformé en signal d’alarme.



Les faits, d’abord. Des cybercriminels parviennent à infiltrer le système de messagerie d’une grande entreprise opérant dans le secteur pétrolier

Ils observent, analysent, patientent. Puis, au moment opportun, ils se font passer pour des cadres dirigeants et déclenchent une demande de transfert bancaire urgente. Montant : 7,9 millions de dollars. Objectif : profiter de la pression, du rythme industriel, de la confiance hiérarchique. La mécanique est simple, presque banale. Et c’est précisément ce qui la rend redoutable.

Ce type d’attaque n’a rien de spectaculaire sur le plan technique. Pas de code malveillant sophistiqué, pas de panne massive, pas d’écrans noirs. Il s’agit d’une fraude par compromission de messagerie professionnelle, aujourd’hui l’une des armes favorites du cybercrime mondial. Elle repose sur un principe vieux comme le monde : tromper l’humain plutôt que la machine. En Afrique, où de nombreuses entreprises gèrent encore des flux financiers importants avec des procédures internes parfois inégales, la faille est réelle.

Si le pire a été évité, c’est grâce à une détection rapide de l’anomalie et à une réaction coordonnée entre l’entreprise concernée, les banques et les autorités. Les comptes destinataires ont été gelés à temps. L’argent n’a pas quitté le circuit contrôlé. Une victoire, certes. Mais une victoire fragile, qui ne doit pas masquer la tendance de fond.

Car cette affaire sénégalaise s’inscrit dans un cadre bien plus large. Ces dernières semaines, une vaste opération panafricaine a permis l’arrestation de 574 individus dans 19 pays, liés à des réseaux de cybercriminalité. Les enquêtes ont concerné des fraudes financières, des escroqueries en ligne, des extorsions numériques et des attaques par rançongiciel. Le chiffre le plus frappant n’est pas celui des arrestations, mais celui des pertes évitées : plus de 21 millions de dollars. Autrement dit, ce qui aurait pu disparaître sans laisser de trace.

Cela révèle une mutation profonde. Pendant longtemps, la cybercriminalité en Afrique a été perçue comme un phénomène marginal, ciblant principalement des particuliers ou des victimes étrangères. Ce temps est révolu. Désormais, ce sont les entreprises africaines elles-mêmes, parfois stratégiques, qui deviennent des cibles prioritaires. Les flux pétroliers, miniers, logistiques, télécoms ou financiers attirent des réseaux structurés, mobiles, souvent transnationaux.

Face à cela, les États africains commencent à s’organiser. Coopérations policières, échanges d’informations, partenariats techniques, montée en compétence des unités spécialisées. Le cas sénégalais montre que, lorsqu’un signal est pris au sérieux et que la chaîne de décision fonctionne, le cybercrime peut être stoppé avant de produire ses effets. Mais il montre aussi à quel point tout se joue sur la vitesse. Quelques heures de retard, un mail mal interprété, une validation trop rapide, et le scénario bascule.

Il reste cependant de nombreuses zones d’ombre. Les autorités communiquent peu sur les méthodes exactes utilisées, sur l’éventuelle complicité interne, ou sur le devenir des réseaux impliqués. Prudence judiciaire oblige. Mais une question demeure : combien d’attaques similaires n’ont pas été détectées, ou l’ont été trop tard ?

Au fond, cette affaire pose un enjeu stratégique. La cybersécurité n’est plus un sujet technique réservé aux informaticiens. Elle est devenue une question de gouvernance, de souveraineté économique et de sécurité nationale. Lorsqu’un simple échange d’e-mails peut mettre en péril plusieurs millions de dollars, ce n’est pas seulement une entreprise qui est visée, mais tout un écosystème.

Le Sénégal a évité le choc. D’autres pays n’auront peut-être pas cette chance. Le cybercrime, lui, ne prévient jamais.




Lundi 22 Décembre 2025
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