​En 2026, parler coûtera moins cher, fumer coûtera plus cher !


Rédigé par le Samedi 6 Décembre 2025

Il y a des paradoxes qui racontent mieux un pays que mille discours officiels. Celui qui se joue aujourd’hui autour du projet de loi de finances en est un presque poétique : le gouvernement réduit drastiquement les droits de douane sur les smartphones — pendant qu'il refuse d’augmenter la taxe sur les cigarettes électroniques. En clair : parler, filmer, commenter, scroller, partager… coûtera moins cher. Fumer, en revanche, devrait coûter plus cher — mais ne coûtera pas plus cher, au nom de la lutte contre la contrebande.



Bienvenue dans une équation publique où économie, santé et fiscalité s’entrecroisent sans jamais se rencontrer vraiment.

Car derrière l’annonce spectaculaire de la baisse du droit d’importation sur les smartphones — de 17,5 % à 2,5 % — se cache une intention assumée : rendre le marché officiel compétitif, tuer l’informel et fluidifier l’accès à un outil devenu vital. Le smartphone n’est plus un gadget : c’est un portefeuille, un bureau, une salle de classe, un taxi, une agence bancaire, un lien social. En réduisant le coût de l’entrée, le gouvernement fait un choix presque sociétal : la connectivité n’est plus un luxe, c’est un droit fonctionnel.

Et contrairement à ce que certains répètent machinalement, rendre les smartphones plus abordables n'est pas qu'un cadeau aux importateurs. C’est un message politique : la modernité doit être accessible.

En même temps, le même gouvernement fait un choix inverse sur un autre front : celui du tabac électronique. Là où l’opposition propose d’augmenter la taxe intérieure de consommation pour freiner un usage de plus en plus répandu — notamment chez les jeunes, parfois dès le collège — Fouzi Lekjaa oppose un refus catégorique.

Pourquoi ? Parce que taxer plus, c’est risquer de détourner encore plus les consommateurs vers la contrebande, déjà florissante.

Nous voilà donc face à un paradoxe aussi simple que troublant : le smartphone, produit légal ultra-importé, est allégé fiscalement ; la cigarette électronique, produit souvent mal contrôlé, reste fiscalement “préservée” au nom de la lutte contre l’illégal.

Chacun y verra ce qu'il veut : une stratégie, une contradiction… ou un peu des deux.

Le problème, c’est que le vapotage explose, notamment chez les adolescents. Les députés de l'USFP et du PJD l'ont rappelé : au Maroc, certains modèles vendus librement sont interdits dans plusieurs pays européens. Leur prix est ridiculement bas, leur marketing hyper-agressif, leur disponibilité totale. Si l’État veut vraiment protéger les jeunes, ne devrait-il pas commencer par rendre ces produits moins attractifs, moins accessibles, moins banalisés ?

Mais voici le nœud de l’histoire : une hausse de taxes ne freinerait peut-être pas la consommation, selon Lekjaa. Elle déplacerait simplement les acheteurs vers des circuits plus opaques. Et l’État perdrait à la fois le contrôle sanitaire et les recettes fiscales.

Le Maroc invente la fiscalité paradoxale

Un équilibre qui peut sembler cynique mais qui répond à un calcul froid : mieux vaut un vapotage contrôlé et taxé qu’un vapotage incontrôlé et trafiqué.

Pour autant, la décision laisse un goût amer. Car si parler coûtera moins cher, si s’équiper coûtera moins cher, si communiquer avec le monde deviendra plus simple, fumer — ou vapoter — ne coûtera pas plus cher, malgré toutes les alertes de santé publique. Alors que le Royaume-Uni s’apprête à interdire les cigarettes électroniques jetables, alors que plusieurs pays serrent la vis sur ces produits, le Maroc opte pour la prudence fiscale plutôt que pour l’audace sanitaire.

Le pragmatisme est-il une stratégie ? Oui.
Est-il une vision ? Peut-être pas.

Le fond de l’histoire, c’est que le Maroc est en train de dessiner un paysage fiscal qui dit beaucoup de son époque : un pays qui mise sur la connexion plutôt que sur l’introspection, sur l’accès rapide plutôt que sur la régulation lente, sur l'équilibre budgétaire plutôt que sur la prévention radicale.

D’un côté, l’État veut que le citoyen soit connecté — pour travailler, apprendre, acheter, consommer, se déplacer, voter un jour peut-être.
De l’autre, il hésite encore à se positionner fermement sur les questions sanitaires émergentes, car la contrebande, comme toujours, menace de tout fausser.

En somme : parler coûtera moins cher. Fumer aurait dû coûter plus cher. Mais, pour l’instant, c’est le portefeuille qui l’emporte sur les poumons.

Et dans ce théâtre fiscal, chacun trouvera son rôle :
L’État, celui de l’équilibriste.
L’opposition, celui du lanceur d’alerte sanitaire.
Et les citoyens… celui de spectateurs, souvent perplexes, parfois résignés, toujours impactés.




Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls… En savoir plus sur cet auteur
Samedi 6 Décembre 2025
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